CHAPITRE I Le pouvoir local et régional dans l’expérience soviétique : une clé pour
II. Du ô Pouvoir des soviets ằ au ô Parti-Etat ằ
II.1.2. A la veille de la perestrọka, des procédures essentiellement formelles face à la primauté
Au nombre de 2 500 000 à la fin de la période soviétique pour l’ensemble du territoire, dont plus de la moitié pour les seuls villages55, les membres des soviets, appelés députés56, sont titulaires d’une fonction politique bénévole compatible avec toute autre charge, y compris publique. Élus pour deux ans et demi, les députés locaux et régionaux sont autorisés à cumuler ce mandat avec un autre poste électif, ce qui conduit par exemple la plupart des présidents de soviets régionaux à être également membres du Soviet suprême, élément clé dans l’obtention d’avantages ou de bénéfices pour sa rộgion. A titre d’exemple, dans l’arrondissement urbain (rạon) sovietskiù de la ville d’Omsk, il y avait en tout 100 députés sur l’ensemble des niveaux ó étaient présents les soviets (oblast, ville et rạon) dont 25 uniquement pour le quartier Zaozernọ, (5 pour le soviet de rạsoviet, 10 pour le gorsoviet, 10 pour l’oblsoviet). En 1997, l’arrondissement qui a gardé quasiment les mêmes limites administratives ne comptera plus que trois députés au soviet municipal et trois à l’assemblée législative régionale.
Contrairement aux députés du Soviet suprême, les membres des soviets locaux et régionaux sont ancrés dans leur circonscription, et leur candidature, outre
55 Venaient ensuite les soviets de villes (d’arrondissement dans les grandes villes), de district, les soviets régionaux (territoriaux ou de républiques autonomes pour la RSFSR), puis les soviets républicains des 15 républiques fédérées et enfin le Soviet suprême pour l’Union.
56 Cette appellation vaut pour tous les échelons, du soviet de village au Soviet suprême de l’URSS.
- 51 -
l’appartenance au Parti, est également liée à leur spécialisation professionnelle : le système attend donc d’eux des compétences pour gérer des services municipaux ou régionaux, ces compétences étant autant d’ordre strictement technique que relationnel.
Les spécialistes sont donc aussi recrutés sur leur capacité à mettre en œuvre des réseaux de relations tissés au cours de leur carrière professionnelle, qui vont leur permettre, par exemple, d’éviter des problèmes d’approvisionnement énergétique, question cruciale à l’échelle d’une ville, pour l’industrie comme pour le chauffage urbain.
Chaque élection est marquée par un taux de renouvellement très important57. Un quart des députés est formé de membres du Parti intuitu personae ou de fonctionnaires rộgionaux ou locaux, plus de la moitiộ sont prộsentộs et ộlus en tant qu’ ô ouvriers ằ ou
ô kolkhoziens ằ, mais la plupart sont par ailleurs membres du Parti. Le principe de la candidature unique et la participation quasi-obligatoire garantissent au candidat d’être élu avec des résultats souvent supérieurs 99%, même si, dans les soviets de village notamment, il arrive que le candidat ne recueille pas la majorité des voix et que l’élection soit invalidée en raison d’un trop grand nombre de votes blancs ou nuls. Ce phénomène qui va être observé très fréquemment lors des élections locales en province dans la pộriode post-soviộtique, avec notamment la possibilitộ du vote ô contre tous ằ laissé aux électeurs russes (voir infra chap. IV).
Elus au sein des soviets pour administrer et exécuter les décisions entre les sessions, les comités exécutifs, ispolnitel’nyj komitet58, fonctionnent comme des services administratifs animés essentiellement par des fonctionnaires locaux. Pour un budget qui constituait 15% de celui de l’État fédéral (Lesage, 1987, 284), les comités exécutifs locaux59 ont à leur charge la grande majorité des dépenses d’enseignement et de santé, une bonne partie du parc de logements (celle qui ne relève pas des entreprises) et le développement des activités économiques et commerciales d’importance locale ou régionale : alimentation, textile, équipements ménagers, construction…
57 Les élections des soviets locaux s’effectuent sur le principe de la circonscription uninominale suivant des règles fixées par le niveau hiérarchique supérieur, à la différence du Soviet suprême dont le mode d’élection est fixé par la Constitution (art. 101, 110 notamment).
58 habituellement désigné par une abréviation découlant de l'échelon concerné (oblispolkom pour la région, rạispolkom pour le district, gorispolkom pour la ville…),
59 De région, de villes, ou de district à l’intérieur des régions, d’arrondissements urbains pour les grandes villes, de bourg et enfin de villages.
- 52 -
Les industries plus importantes ou les industries lourdes, élément stratégique de l’économique soviétique, dépendent quant à elles des échelons plus élevés, République ou Union. On va voir que la distribution des compétences, des charges et des bénéfices liés à la vie économique est au cœur du fonctionnement des pouvoirs locaux dans la pratique soviétique ; elle le sera tout autant lorsque ces compétences et ces charges seront redistribuées au moment des privatisations (voir Chap. III.).
C’est donc dans les faits le comité qui exerce le pouvoir, beaucoup plus que les soviets, considérés le plus souvent comme la chambre d’enregistrement des décisions du comité exécutif et de celles du Parti et comme l’alibi démocratique du système. Le système politico-administratif soviétique est un système unique de gouvernement avec fusion des fonctions législatives –élaboration, prise de décision- et exécutive. Non seulement les soviets sont essentiellement réduits à des fonctions administratives, mais n’étant pas le lieu ó se prennent les décisions politiques qui comptent –le lieu de concentration du pouvoir est surtout le Parti- ni même une instance forte d’élaboration ou de débat public, il s’ensuit un déséquilibre interne à l’organisation des soviets, qui revient presque automatiquement à donner la primauté à l’exécutif.
L’administration locale n’est que le représentant de la bureaucratie unitaire, ce qui se reflète, entre autres, dans la double tutelle des comités exécutifs locaux, élus par le plénum du Soviet, mais subordonnés aux comités exécutifs des échelons supérieurs qui peuvent annuler leurs décisions et leurs actes. Ainsi, l’ispolkom prend une décision votée par le plénum qui ne se réunit que quelques fois par an, ses initiatives législatives étant contrôlées par le Parti.
Renversộ un temps par le ô retour des soviets ằ et l’effervescence dộmocratique qui accompagne la perestrọka, ce déséquilibre est rapidement réapparu dès 1991 et encore plus après 1993 dans la mise en place de pouvoirs locaux et régionaux de la Russie post-soviétique60.
60 Voir plus loin les développements des chapitres II et III.
- 53 -