Le passage à l’action politique, à l’extérieur et à l’intérieur du système

Một phần của tài liệu Acteurs locaux et régionaux face aux transformations du pouvoir en russie, 1989 1999 (Trang 148 - 154)

CHAPITRE II A la recherche du politique : des mouvements informels au renouveau

II. L’émergence des mouvements démocratiques indépendants : l’état de grâce de la démocratie locale ?

II.1. Perestrọka from below… acteurs sociaux ou politiques ?

II.1.1. Des nouveaux acteurs politiques ? Des clubs aux Partis

II.1.1.2. Le passage à l’action politique, à l’extérieur et à l’intérieur du système

En somme, les dirigeants soviộtiques avaient voulu ô crộer de la sociộtộ civile ằ et ils allaient trouver du politique.

Partie de revendications spécifiques sur des questions souvent locales et concrètes, la dynamique générale des mouvements indépendants va donc ensuite évoluer vers une montée en généralité sur des revendications beaucoup plus globales qui interrogent l’ensemble du système. Dans le même temps, et les deux sont liés, leur mode d’action se tourne assez rapidement vers l’institutionnalisation politique, utilisant les possibilités ouvertes par les réformes du système et entrant dans des logiques de relations complexes avec le pouvoir politique et administratif encore en place.

Initialement favorable à une coopération avec un Parti communiste en voie de se réformer, les mouvements informels vont s’en détourner lorsqu’il devient clair, à partir de 1988, que cette stratégie ne donne pas de résultats satisfaisants. Destinée à appuyer les réformes en cours, à impulser notamment une nouvelle législation électorale, la Conférence nationale du Parti de 1988 constitue un moment de rupture. Les appareils locaux du Parti tentent de freiner la participation des mouvements informels pourtant autorisée et encouragée au sommet, mais la publicité des débats rend d’autant plus visible dans l’espace public l’ampleur des enjeux et des désaccords politiques. Comme le dit un participant à cette effervescence de l’époque, la situation était arrivé à un point

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de division irréductible entre la société et l’État, la société civile et l’appareil, l’intelligentsia et la bureaucratie (Fadin, 1989, p. 94).

Par ailleurs, un ressentiment croissant à l’égard du système politique dans son ensemble va fournir, dans les centres urbains notamment, le terreau nécessaire à ces mouvements pour s’implanter dans les organes représentatifs du pouvoir. L’action de ces groupes, le niveau d’action et les enjeux qu’ils visent se sont trouvés d’emblée très politiques ou politisés, même lorsqu’il s’agissait de revendications locales ou spécifiques. Le poids du système et de l’hégémonie du Parti communiste se fait ici fortement sentir : la politisation par en bas se construit durant ces années en miroir de la politisation omniprésente de tous les aspects de la vie sociale. Assez rapidement ensuite, une phase d’institutionnalisation s’impose lorsque ces groupes vont rechercher une représentation dans les organes du pouvoir ó ils en ont la possibilité, les soviets, à l’occasion de l’élection du Congrès des députés du peuple de l’URSS en 1989 et surtout de celles des soviets locaux, régionaux et républicains en 1990. Mais cette institutionnalisation se produit sans qu’une base politique pour l’émergence de partis ait pu se constituer.

L’Union démocratique à Moscou est la première organisation à défier ouvertement le régime sur la scène publique : elle s’oppose directement au Parti et demande dès sa création en 1988 l’instauration d’une démocratie parlementaire à l’occidentale et l’économie de marché, tout en se définissant comme un parti politique, défi lancé face à l’interdiction des partis autres que le PCUS160.

Dans la perspective des élections au Congrès des Députés du Peuple d’Union soviétique de 1989 puis au Soviet suprême de la RSFSR en 1990, les groupes informels se constituent peu à peu en regroupements politiques plus structurés, pour tenter de gagner des sièges. Ils en gagnent de nombreux dans le nouveau Congrès des Députés du Peuple de l’URSS, notamment les fronts populaires qui portent les revendications nationales et politiques dans les pays baltes, et les grandes villes comme Leningrad ou Moscou. Les résultats montrent une évolution marquée par l’arrivée de nouvelles couches sociales et notamment de l’intelligentsia à des postes de responsabilité, avec une forte motivation à faire évoluer le système politique et notamment à réduire l’emprise du Parti sur la vie

160 Cinq ans plus tard, moribonde, et alors que la scène politique s’était structurée entre temps sans elle, l’Union démocratique souhaitait revenir à une appellation de mouvement, reconnaissant qu’elle n’avait rien d’un parti politique classique.

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politique. Les commentaires font état d’une forte proportion de membres des

ô catộgories intellectuelles ằ parmi les vainqueurs des ộlections de 1990 en Russie. Mais encore faut-il prộciser le terme d’intelligentsia car il paraợt difficile de mettre dans la même catégorie les médecins, les directeurs d’écoles, les journalistes et les directeurs de kolkhozes ou d’usine. S’ils ont en commun un niveau d’éducation, un passage par les mêmes institutions de socialisation, un âge proche, leur position par rapport au pouvoir n’est pas la même. En revanche, il est en effet intéressant de considérer ce moment comme celui ó le désir de réforme va voir converger ces différentes catégories.

La surreprésentation de l’intelligentsia dans les zones urbaines est particulièrement défavorable aux dirigeants régionaux du Parti, dont la base sociale repose beaucoup plus sur les zones rurales. Ainsi 23 secrétaires d’obkom ne sont pas réélus et 36 sur les 47 restants n’osent pas postuler dans la capitale régionale et choisissent une circonscription rurale pour se présenter. Mais ce désaveu des candidats du Parti en ville témoigne tout autant du vote réformateur des catégories ouvrières, elles-mêmes concentrées en milieu urbain. Dans la région industrielle de Kemerovo, marquée en 1989 par une longue grève des mineurs, ce sont des candidats de l’intelligentsia qui sont désignés par les ouvriers dans plusieurs entreprises de l’oblast. Il est clair que se rencontrent le bas et le haut dans cette propulsion de l’intelligentsia vers les postes élus, cette catégorie étant pour M.

Gorbatchev le fer de lance le plus sûr de sa politique de réformes. Dans les votes cruciaux, notamment l’abrogation de l’art. 6 de la constitution soviétique sur le rôle dirigeant du Parti (CPD d’URSS) ou d’autres réformes (au niveau de la RSFSR) sur la subordination du Parti à l’État, l’obligation pour les juges et les policiers de démissionner du Parti, les chiffres montrent une surreprésentation de l’intelligentsia et des couches moyennes urbaines (Embree, 1991, 1066161).

Sur le plan des forces politiques, on observe pendant et après ces élections une fragmentation en factions du Parti, sur des lignes idéologiques – plate-forme démocratique, plate-forme marxiste, initiative de Leningrad, Constitutionnels- démocrates, Club-parti de Moscou…- et régionales. Après l’abolition de l’article 6 de la Constitution soviétique, des partis politiques éclosent dans tout le pays, on en compte

161 Voir annexe n°6

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une centaine au bout de six mois, douze d’entre eux se réclamant d’une audience à l’échelle de l’Union162, mais très peu ressemblent à des partis classiques.

A l’époque la question qui se pose pour les observateurs est de savoir quels acteurs vont structurer le champ politique et conduire les changements, le PCUS réformé, ou bien la coalition hétéroclite de nouveaux acteurs politiques, et surtout comment la scène politique va se structurer, avec quels mécanismes institutionnels et législatifs permettant de faire médiation et d’aboutir à un consensus minimum permettant les réformes. Les aspects programmatiques de ces partis n’ont qu’une très faible visibilité dans la société et sont pour le moins peu explicites. Malgré une volonté affichée de vider l’espace politique de l’idéologie obligée du Parti, on constate son remplacement rapide sous la forme de la proclamation des grands principes du ô socialisme de marchộ ằ, de la dose de capitalisme à introduire etc... C’est bien toute la difficulté à se situer pour des formations politiques naissantes, avec des objectifs très larges, mais qui vont se trouver d’une certaine manière redondantes avec les projets de réformes dirigés par en haut.

Pourtant, ces formations politiques ne veulent pas apparaợtre comme un simple support à la politique de perestrọka.

Les mouvements informels vont donc s’engager plus directement dans la constitution d’une opposition politique à l’extérieur du Parti, à l’approche des élections au Congrès des Députés du Peuple de 1989. A Moscou et dans d’autres grandes villes, c’est sous la forme de ô fronts populaires ằ que se forment des coalitions d’organisations indépendantes, sur une ligne de revendication démocratique et/ou nationale dans le cas des républiques fédérées. Cette rupture constitue la fin de l’illusion d’une réforme possible de l’intérieur. Dès lors, l’enjeu principal devient la remise en cause non plus à l’intérieur du système mais du système lui-même dans son ensemble, un basculement qui est porté par les plus politiques des fronts populaires, ceux des villes de Moscou et de Leningrad. Il va avoir pour conséquence d’amener ces organisations à engager le débat non plus seulement entre elles ou avec les élites du Parti et de l’État mais avec la société dans son ensemble, à construire un programme afin de constituer une base sociale en vue des élections prochaines. Les discussions sur le positionnement idéologique donnent lieu d’ailleurs à des affrontements politiques qui influent aussi sur

162 Dans les républiques, comme on l’a vu, ce sont surtout les Fronts populaires qui émergent avec leur forte dimension nationale.

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la stratégie adoptée vis-à-vis du Parti : se situer en rupture complète ou continuer le dialogue.

Les élections de 1989 se déroulent dans un climat de grande effervescence politique et donnent lieu notamment à la crộation du ô Groupe interrộgional ằ, bloc de dộputộs souvent issus de l’intelligentsia et très engagés pour des réformes radicales dans le Congrès des députés du peuple. Moins populaires mais tout aussi importantes dans la formation politique du mouvement démocratique, qui tente de s’organiser notamment sous la bannière de la coalition Russie démocratique, les élections de 1990 donnent lieu à l’émergence de partis que M. Gorbatchev doit accepter de légaliser. Après cette période, il devient clair que la scène politique est pluraliste et conflictuelle, et que les dirigeants réformateurs eux-mêmes doivent en quelque sorte suivre les événements en tentant de les inscrire a posteriori dans une dynamique commune.

A la différence des Pays baltes par exemple dans lesquels les Fronts Populaires sont devenus le vecteur principal et fédérateur de la revendication politique et nationale, il ne s’est pas produit de processus similaire dans les régions russes. La constitution de ces fronts était cependant, au départ, de la part des informels, une tentative de consolidation du mouvement démocratique en Russie. Mais pris un à un, les leaders de chaque mouvement n’ont pas pu consolider leurs propres positions ni conserver leur autonomie.

Cet affaiblissement du statut des leaders a constitué un obstacle supplémentaire à la création de partis politiques, puisque ces mouvements ne sont pas devenus une force alternative, au delà de leur réussite indéniable : le soutien aux candidats pour les élections de 1990.

La question qui se pose est donc celle de l’articulation entre les processus d’émergence des mouvements démocratiques et leur passage à une action plus directement politique.

Les mouvements informels et spontanés s’organisent durant l’année 1989-1990 pour former des organisations plus formalisộes, en vue des ộlections. 1990 serait donc la ô fin de l’ộmergence ằ (Butterfield, Sedaitis, 1991, 2) et le dộbut de l’institutionnalisation.

On peut en effet voir à l’œuvre ce ralliement aux élections même chez les plus éloignés de cette démarche institutionnelle, les anarcho-syndicalistes qui présentent des candidats au soviet de Moscou aux élections municipales de 1990163.

163 Butterfield, Sedaitis, 1991, 7.

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On assisterait alors à une sorte de canalisation de ces mouvements par le pouvoir, avant qu’ils ne puissent / ou sans qu’ils ne veuillent aller au delà pour formuler d’autres enjeux. On peut se poser la question de savoir si cette institutionnalisation correspond à un changement de nature de ces mouvements ou s’il s’agit d’une évolution conjoncturelle et tactique, en fonction des possibilités qu’offre le système. Mettant au centre du processus de démocratisation les élections pluralistes, c’est vers elles que porte l’effort principal des mouvements. C’est le cas notamment de la mouvance Russie Démocratique164, constituée à l’automne 1990 seulement, pour fournir un cadre de coordination des différents mouvements démocratiques et devant les difficultés de structuration du champ politique et l’émiettement constatés. Russie démocratique constitue la formation politique qui essaie de plus d’agréger différents intérêts mais aussi d’élargir sa base sociale au delà de cercles d’intellectuels et sa base géographique au delà de Moscou. Le bloc est sans conteste entre 1990 et 1991 la principale bannière de ralliement des réformateurs radicaux.

Cependant, de manière générale, après le pic de 1989-1990, l’ensemble de ces mouvements décline en termes de nombre de membres comme en terme de visibilité dans l’espace public, au profit des luttes d’influence entre conservateurs et réformateurs au sommet de l’État. Steven Fish met en avant les difficultés de ces groupes à trouver les moyens d’accéder aux institutions, et à articuler les différents types d’intérêts représentés sur la scène publique. En témoigne selon lui l’impossibilité à transformer l’essai des élections de 1989 et 1990 : les membres des formations démocratiques ont obtenu de nombreux élus, mais sont peu parvenus, en tant qu’instance politique collective, à établir des liens avec les administrations, à faire exister et aboutir leurs revendications. De nombreuses négociations ont lieu, des réformes sont engagées, pour le dire autrement, des processus de changement d’ordre social, économique, ou politique se font jour, mais largement en dehors ou à côté de ces formations. Ou bien lorsqu’elles sont présentes, c’est par l’intermédiaire de personnalités en capacité de négocier avec les autorités, via des liens personnels établis de longue date ou par une ancienne position formelle occupée par l’individu en question. Mais ce sont les individus qui sont la clé du processus. Par ailleurs, on constate aussi que nombre de ces réformes, parfois très locales, qui courent avant aỏt 1991, sont le fait d’individus qui

164 Demokratičeskaâ Rossia, plus couramment appelé Demrossia.

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les promeuvent de l’intérieur du système. On constate à Omsk par exemple, une certaine convergence entre des membres réformateurs du Parti et les clubs réunis ensuite au sein de Russie démocratique. C’est là la clé du processus, dans ces interstices entre l’individuel et le collectif, le formel et l’informel. Pour cette raison, souligner la faiblesse des canaux formels d’accès aux décideurs (Fish, 1995, 58) comme un obstacle pour ces mouvements c’est méconnaitre le caractère informel de la prise de décision et de la négociation comme trait prégnant du fonctionnement soviétique, trait auquel ces mouvements vont justement avoir largement recours.

On ne peut faire l’économie pour comprendre le sens de ces mouvements de s’interroger sur leur gestion des relations avec le pouvoir officiel et sur leur degré d’autonomie vis à vis du système. Tous vont adopter des logiques d’alliance et/ou de substitution aux appareils administratifs ou aux institutions existantes pour agir, selon les cas de figure et notamment selon le degrộ de ô rộsistance ằ des institutions.

L’absence de formes organisées indépendantes préalables a produit des modalités spécifiques d’organisation pour ces nouveaux groupes. C’est aussi parce que les organisations sociales soviétiques étaient bureaucratiques, tournées vers la satisfaction des besoins, mais sans pouvoir d’action réel, que les groupes et mouvements indépendants ne les ont pas investis ou très peu : soit ils ont opté pour le travail ou le minage de l’intérieur des institutions du système directement en s’appuyant sur les courants réformateurs à l’intérieur de celles-ci (Parti, administrations, ministères…), soit ils ont choisi de se situer résolument à l’extérieur pour tenter de les contourner.

C’est ainsi que l’on va voir les mineurs ou d’autres syndicats ouvriers plus marginaux opter, autant pour le répertoire classique de l’action ouvrière (manifestations, grèves, blocage) que pour le lobbying en choisissant les interlocuteurs. Les courants du système qui ont tout intérêt à les écouter et à se saisir d’une partie de leurs demandes, levier de poids dans leurs luttes internes contre les courants conservateurs, deviennent ainsi rapidement, non des adversaires dans le cadre d’un conflit social ou politique, mais des interlocuteurs.

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