La ô sphốre sociale ằ ou comment s’en dộbarrasser…

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II. Administration et modernisation : l’invention d’une forme de ô gouvernance ằ

II.2.2. La ô sphốre sociale ằ ou comment s’en dộbarrasser…

Les réformes économiques et sociales du début des années 1990 se traduisent par une redéfinition fondamentale les relations entre les différentes composantes de la société.

L’entreprise était au cœur du contrat social implicite État-citoyen qui caractérisait le systốme soviộtique : ô le citoyen s’adapte, c’est-à-dire qu’il renonce à ses droits individuels (civiques) et collectifs (d’association) et obtient en échange la sécurité de l’emploi et un niveau de vie en progression lente, mais assez rộguliốre ằ (Rupnik, 1984, 60). Elle était aussi, pour le citoyen, le centre de la vie urbaine : non seulement parce que c’est autour d’elle que s’était construite les quartiers de la ville mais aussi en tant que pourvoyeuse de biens et services, qu’il s’agisse des jardins d’enfants, des établissements de soins, des maisons de la culture ou des centres de vacances (Shomina, 1992, Lefèvre, 1995, cf. aussi infra chapitre I).

La question semble être un enjeu central pour tous les acteurs locaux et les préoccuper beaucoup plus que la privatisation des entreprises. Quelle que soit la forme des privatisations ou l’identité des nouveaux propriétaires, la question se pose, y compris pour les entreprises non encore privatisées. L’entreprise a compris la logique de rentabilité et cherche ainsi à se décharger de ses activités non rentables sur les municipalités. Celles-ci, fragiles, cherchent elles-mêmes à se débarrasser de leurs logements ou de leurs commerce pour augmenter leurs ressources, ou à mener la bataille à Moscou et auprès de l’oblast pour obtenir une part plus importante du budget.

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Les dirigeants politiques locaux semblent alors hésiter entre une volonté de voir les entreprises continuer à assumer leur rôle et la tentation d’une privatisation complète y compris des services. On voit là la difficulté pour ces nouvelles instances à devenir véritablement des municipalités, avec un certain nombre d’attributions d’ordre collectif, une politique urbaine, etc. De son côté, l’entreprise veut-elle vraiment rompre avec une logique paternaliste qui lui assurait puissance et contrôle sur la ville ?

Avec le nouveau partage des compétences et des fonctions, disparaissent des possibilités de recours aux entreprises pourvoyeuses de services pour les autorités locales, y compris de services de proximité pour les habitants. Le problème est particulièrement aigu pour le logement, dont les municipalités se voient chargées de la gestion, sans bien souvent recevoir les ressources financières correspondantes, malgré l’existence d’un fonds fédéral de compensation. Pour les services sociaux, culturels et de santé, tout doit à terme être pris en charge par le budget de la municipalité. D’une manière plus générale, c’est en réalité un transfert de la protection sociale de l’entreprise vers l’État qui s’opère, alors même que l’État entend mener des réformes libérales et que ses ressources budgétaires sont laminées par la crise des paiements et l’endettement généralisé. En somme, la puissance publique, déclinée à ses différents échelons territoriaux, récupère les fonctions de l’État providence qu’elle n’avait, paradoxalement, que très partiellement assumées dans un système pourtant réputé totalement étatisé.

Mais l’État fédéral n’ayant pas les moyens de gérer l’ensemble des dépenses sociales324, il décide d’en déléguer une grosse partie aux administrations régionales et municipales.

Le transfert progressif vers les municipalités de la sphère sociale, ainsi qu’est nommée cette nébuleuse, très cỏteuse -personnel, locaux et terrains, équipements, cỏts de fonctionnement permanents - est mis à l’agenda des réformes dès le début des années 1990. Mais très rapidement, au delà des discours de bon sens sur la nécessité pour les entreprises devant s’adapter à un univers concurrentiel de se recentrer sur leur métier principal et d’externaliser les activités connexes325, plusieurs problèmes se posent : d’une part, les impôts que doivent payer les entreprises à la ville en contrepartie de ce

324 Elles comptent pour 50% des dépenses de l’État au milieu des années 1990 contre un tiers à la fin de la période soviétique.

325 Ainsi ce directeur d’une des plus grosses entreprises de machines agricoles de Russie, rencontré à Taganrog en mai 1993, parvenait difficilement à admettre qu’il allait devoir abandonner les champs qui produisaient la nourriture pour les porcs dont on faisait ensuite la viande qui servait à nourrir les employés de l’usine.

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transfert de charges sont loin d’être recouvrés ni de compenser le poids budgétaire de ces activités sociales ; d’autre part, d’un point de vue pratique et logistique -proximité géographique avec l’entreprise, insertion de l’entreprise dans un réseau d’approvisionnement que n’a pas la municipalité, …-, le transfert n’est pas toujours simplement réalisable. C’est l’entreprise qui continue à savoir le mieux gérer ce qu’elle avait construit autour d’elle et en pleine pộriode de ô thộrapie de choc ằ, ce filet de protection sociale minimale est parfois la seule source de revenus indirects326 pour des salariés qui ne sont pas payés pendant des mois. Ainsi, si les entreprises sont plutôt désireuses de transférer le cỏt de la sphère sociale à d’autres payeurs, elles ne sont pas forcément pressées d’en abandonner le contrôle et les avantages qu’elles continuent d’en retirer, pour payer moins d’impôts ou pour retenir des salariés.

A Dolgoproudny, l’administration et les membres réformateurs du soviet souhaitent que le transfert se fasse, en douceur et avec la coopération des entreprises mais il se sont heurtộs à la rộsistance des directeurs soutenus par le soviet : ô Les directeurs ont refusộ de coopérer et préféré tout conserver pour ‘tenir’ leurs salariés, continuer de recevoir pour cela des subventions et ne pas payer d’impụts locaux en ộchange du ô service ằ qu’ils continuent d’offrir. La majorité des députés du soviet a soutenu les directeurs.327 ằ. Le responsable des petites entreprises est en faveur d’une double prise en charge par la municipalité et par les entreprises, tout en soulignant que c’est l’affaire des grosses structures : ô Nos membres n’ont malheureusement pas d’argent pour la sphốre sociale ằ328.

A Taganrog329, le chef de l’administration plaide en faveur de la diffộrenciation ô il faut une “révolution formelle” pour sortir de la situation ó la municipalité demande l’aumône aux entreprises. Que la ville ne soit pas prête n’est pas le problème, c’est aux entreprises de les financer (via les impôts), elles nous donneraient avec plaisir des jardins d’enfants ằ. Il souligne le contraste avec les pays occidentaux ú dans une logique inverse, les villes attirent les entreprises en baissant les impôts et charges et en

326 Ou plus exactement des avantages en nature pour des biens et services de première nécessité : produits alimentaires, soins, garde des enfants… mais aussi logements, qui évitent aux employés de s’adresser aux structures commerciales.

327 Entretien avec V. A. Novikov, Dolgoproudny, 8 octobre 1994

328 Entretien avec le directeur exécutif de l’Union des entrepreneurs, Dolgoproudny, 25 octobre 1994.

329 Séance de travail avec les membres de l’administration et du soviet menée dans le cadre de la recherche franco-russe, Taganrog 15 mai 1993.

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offrant des services sociaux et culturels. Ce passage de la logique intégratrice soviétique -qui permettait en contrôlant l’ensemble de contourner les pénuries et dysfonctionnements du système et de conserver sur place une main d’œuvre volatile - à la logique d’externalisation caractéristique du marché et de la recherche de rentabilité est bien exprimé par le directeur de l’immense usine de machines agricoles Rosselmach330. Il a pris conscience de l’hypertrophie des activités connexes par rapport à son activité principale lors d’une visite aux États-Unis dans une entreprise similaire et exprime une certaine nostalgie pour cette période qu’il qualifie pourtant de

ô prộhistoire ằ : ô j’ai quand mờme eu des mộdailles pour tout ce que mon entreprise a construit pour la ville 331ằ. La discussion qui suit tente de dộgager les voies de construction de nouvelles relations entre la ville et l’entreprise, condition nécessaire à la modernisation. Mais l’administration, très radicale dans ces propos en faveur d’une stricte différenciation et soucieuse avant tout de dégager des recettes fiscales, semble peu prête à imaginer une transition progressive en partenariat avec les entreprises.

A Kalouga, on a le sentiment que l’administration tente de faire contre mauvaise fortune bon cœur : ô la municipalitộ est obligộe d’accepter les ộquipements et logements sociaux, elle reỗoit une aide d’un fonds fộdộral pour le logement, mais rien pour les jardins d’enfants ; de toutes faỗons, je suis pour que chacun s’occupe de ses affaires, les entreprises doivent en premier lieu de s’occuper de produire ằ. Mais en rộalitộ en 1995, ce transfert est à peine commencé et les entreprises qui souhaitent conserver la sphère sociale obtiennent une rộduction d’impụt, forfaitaire et rộvisộe chaque trimestre ô pour ne pas qu’ils se mettent à dộpenser n’importe quoi et nous faire payer ensuite ằ332. Le maire élu en 1994, A Minakov est plus tranché sur le logement, refusant que la ville n’en prenne la charge sans contrepartie : ô pour le logement, si on ne reỗoit pas d’argent du fonds fộdộral, on ne les prend pas à notre charge et les entreprises les gardent ằ333. A Omsk, le nouveau maire V. Rochtchoupkine, au profil gestionnaire issu de l’administration rộgionale, dộveloppe un discours pragmatique et consensuel : ô on essaie de s’entendre pour récupérer les infrastructures de manière civilisée (…) parfois

330 Ibid. 14 mai 1993.

331 Entre autres 14 crèches et plusieurs maisons de repos…

332 Entretien avec Iouri Vassilievitch Fomine, responsable du comité de prévisions économiques de l’administration régionale de Kalouga, 22 février 1995.

333 Entretien avec Anatoly Ivanovitch Minakov , 23 février 1995. En 1994, environ un tiers du parc de logements avait été transféré à la ville, la totalité devant être faire en 1998.

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la ville les prend totalement en charge, parfois c’est un financement partiel de la municipalitộ ằ334. C’est sur ces questions que les conflits entre la ville et la rộgion sont réapparus dès le printemps 1995 et se sont aggravés en 1996 (cf. infra section III-2 de ce chapitre). Selon V. A. Zoubakine, économiste local, le transfert ou non à la municipalité dépend des relations des directeurs avec l’administration, dans quel cercle de relation à quel niveau de lobby ils gravitent autour du maire. Il y a ceux qui y arrivent et ceux qui n’y arrivent pas. Ces derniers voient une partie des revenus de l’entreprise partir dans les dépenses de la sphère sociale et ont beaucoup plus de mal à s’en sortir335.

En 1998, ces questions sont toujours d’actualité et n’épargnent pas une grande compagnie pétrolière comme Sibneft (cf. infra) dont le directeur doit se justifier des conditions du transfert à la municipalitộ du parc de logements : ô nous ne voulons lộser aucun intérêt et les décisions ont été prises en commun entre l’usine et la municipalité.

Nous payons déjà pour ce transfert (fourniture de chauffage au gaz et de combustible pour les transports) bien que nous ne l’ayons pas commencộ ằ ; il renvoie aussi le problốme à l’ẫtat : ô La sphốre sociale ộtait une propriộtộ fộdộrale, c’est le centre qui a décidé du transfert aux municipalités, il divise sa propriété comme il l’entend ce n’est pas la propriộtộ de l’usine ằ336. Fin 1997, aprốs une longue pộriode de conflit, la mairie et Sibneft parviennent à un accord selon lequel l’entreprise transfère la charge de la gestion du parc de logements à la municipalité en échange d’une contribution de l’entreprise de130 milliards de roubles au budget municipal337.

Pour la ville d’Omsk, la question du logement dépasse le seul problème du parc de l’entreprise Sibneft et semble constituer à la fin des années 1990 un handicap considérable pour les finances municipales. Les autorités locales tentent de trouver un argument juridique en jouant sur la détermination antérieure de la propriété : pendant la période soviétique, un parc de logements affecté à une entreprise appartenait-il à l’État ou à l’entreprise ? La municipalité considère que c’est l’État le propriétaire et que c’est donc à lui d’assumer la responsabilité du parc de logements non encore transféré à la

334 Entretien le 27 mars 1995.

335 Entretien avec V. A Zoubakine, économiste et directeur de 3 fonds d'investissement dans la région, le 28 mars 1995.

336 ô Nam ne nužny advokaty (Nous n’avons pas besoin d’avocats) ằ, interview du directeur de Sibneft Konstantin Potapov, Vremâ(Omsk), 4-10 mars 1998, p.13.

337 Zerkalo 48, 1998.

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municipalité, soit la moitié, un taux très supérieur à la moyenne en Russie à la fin des années 1990. Au passage, la municipalité souligne qu’elle a déjà pris en charge tout ce qu’elle pouvait conformément aux sommes allouées mais que puisque les entreprises sont au bord de l’asphyxie et dans l’obligation de transférer les logements et les équipements sociaux, la municipalité est bien obligée d’accepter d’en récupérer la gestion et l’entretien ô pour sauver les habitants d’Omsk ằ338.

Autre sujet de préoccupation, qui deviendra central pour les municipalités et pour leurs administrés à partir de la fin des années 1990, les différents services et équipements communaux et leur financement, comme l’illustre l’exemple de Kalouga :

ô C’est un boulet pour les nouvelles municipalitộs, sur qui tout repose alors qu’elles n’en n’ont pas les moyens, notamment pour le chauffage, puisque les prix sont très largement subventionnés. Un décret présidentiel prévoit le passage progressif au cỏt réel pour l’usager mais pour le moment, personne ne paye car personne n’a les moyens. Par exemple à Kalouga, les usagers paient 25%, à Obninsk339 40% : quand les habitants l’ont appris ils ont organisé des manifestations et une grốve du paiement des charges ằ340.

ô Les mentalitộs ộvoluent, mais comment parler de payer 100% des services si les salaires ne sont pas payés depuis 6 ou 8 mois ? Tous les fournisseurs de la ville sont créanciers pour des milliards, car l’argent du budget n’étant pas rentré, la municipalité ne peut payer sa part de 80%. Elle doit actuellement 100 milliards de roubles à Kalouga Elektroset’ l’entreprise fournissant l’électricité).

Avant les entreprises chauffaient les logements leur appartenant avec l’excès de leur propre chauffage. Aujourd’hui, on voit par exemple un conflit entre les entreprises et la municipalité à propos des réseaux de chauffage que la ville a récupérés, mais sans argent pour les faire réparer, ce qui devait être à la charge des entreprises ằ341.

Les responsables de l’équipe d’A. Minakov dénoncent l’expérience malheureuse de son prédécesseur à la mairie de Kalouga en matière de voierie : dans le prolongement des départements municipaux créés par V Tchernikov avec un budget autonome, la voierie s’était externalisée avec une entreprise para-municipale de 25 véhicules, devenue entreprise privée qui s’est mise à facturer ses prestations en dollars. La municipalité a

338 Kommerčeskie Vesti, 25 janvier 1998

339 Autre ville importante de l’oblast, limitrophe de l’oblast de Moscou et abritant une grosse cité scientifique.

340 Entretien avec O. Bykhovski le 8 avril 1997. Elément phare de la politique du vice premier-ministre B.

Nemtsov, la réforme des services communaux est annoncée début 1997 comme un processus de longue haleine puisque c’est la date de 2004 qui est annoncées pour le passage au 100% du tarif financé par l’usager (particulier ou entreprises).

341 Entretien avec Vladimir Alexandrovitch Magala, adjoint du maire de Kalouga, responsable des services techniques, 9 avril 1997.

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donc mis fin à cette expérience et créé depuis 1994 deux entreprises municipales avec une comptabilité autonome et un statut juridique propre, mais financées sur le budget des districts urbains (rạony). Les transports urbains sont également gérés par une entreprise municipale mais très largement subventionnée par la municipalité : Pour les transports, subventionnộs à 90% par la mairie en 1997, ô tout le monde doit à tout le monde ằ. Les autres services sont de simples dộpartements de la mairie342.

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