III. Verticale du pouvoir et auto-administration locale : le grand malentendu
III.1.1. Quête d’autonomie versus marchandages : l’évolution du rapport à Moscou
C’est donc une logique d’accords –le terme de dogovor revient très souvent - et de négociations au coup par coup et au cas par cas avec le centre fédéral qui prévaut (Mendras, 1997, 2003). Les réseaux et contacts dont disposent à Moscou les gouverneurs ont été essentiels dans ce processus de manière générale et en particulier en
385 Vladimir Gelman, “New Law on Regional institutions preserves status quo”, Russian Regional Report, 10 novembre 1999.
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ce qui concerne la question complexe du fédéralisme budgétaire : les quelques régions bộnộficiaires, qui donnent au centre plus de ressources budgộtaires qu’elles ne reỗoivent sont loin de compenser la plupart des régions déficitaires. Le principe même de cette division et les conflits qu’elle a suscités atteste la faiblesse de la solidarité que l’on pourrait attendre de responsables appartenant à un même État et a mis en relief l’attitude des gouverneurs se faisant les défenseurs acharnés des intérêts de leur région386.
La question du ô fộdộralisme budgộtaire ằ, jamais vộritablement rộsolue au cours des années 1990, est une des pierres d’achoppement principales des relations centre-régions, constituant à la fois un problốme ô local ằ pour les rộgions et pour les municipalitộs et un problème général pour la construction de la Fédération de Russie (Wallich, 1994), Partout en Russie, la préoccupation majeure des autorités régionales et municipales est la formation, l’adoption et les possibilités de dépenser le budget. Son adoption conditionne la continuité du fonctionnement des infrastructures et des équipements, de nombreux salaires, et la mise en place d’un certain nombre de politiques régionales. A Omsk comme dans les autres régions de Russie, les deux reproches principaux qui sont faits au centre sont, d’une part, de ne pas remplir en temps voulu ses obligations envers les budgets rộgionaux et d’entraợner localement de graves crises des paiements, d’autre part, et, surtout, de ne pas avoir accompagné le transfert de responsabilités budgétaires aux régions de transferts de ressources correspondants. Selon une estimation portant sur la répartition des contributions budgétaires pour tous les sujets de la Fédération387, 33%
des ressources budgétaires de la région d’Omsk, en 1994, venait du budget fédéral. Pour donner un exemple, plus de 1000 organisations relevant de la ô sphốre budgộtaire ằ n’avaient reỗu, en 1996, du centre fộdộral, au titre des transferts et des crộdits, que 390 milliards sur les 710 de dépenses prévues pour l’année388. Les retards de salaire s’accumulent, de même que les non-paiements par les entreprises, alors que la région était confrontée à une crise énergétique sans précédent.
En 1998, pour l’ensemble de la Russie, 53% des recettes fiscales restaient dans les régions et 47% transférées au niveau fédéral, tandis qu’une petite partie des impôts fédéraux était à son tour redistribuée aux régions. A la fin des années 1990, le débat va porter sur l’augmentation de la part revenant au pouvoir fédéral et à la différence de la
386 A titre d’exemple,
387 Segodnâ, 7/6/1995.
388 Omskij Vestnik, 24/9/1996.
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période antérieure, le débat va être résolu beaucoup plus nettement en faveur du pouvoir central389. Les logiques bilatérales n’ont pas pour autant disparu, et ce d’autant plus depuis qu’il a été mis fin à l’élection des gouverneurs (voir infra la conclusion générale) et que la loyauté envers le centre pèse d’autant plus lourd qu’elle n’est plus contrebalancée par la médiation du suffrage universel.
Dans leur relation au centre fédéral, les responsables régionaux oscillent entre deux attitudes. Tout d’abord une attitude de demande qui varie, selon les régions et selon les périodes, entre la revendication et la supplique, Omsk occupant à cet égard une voie moyenne. Ses dirigeants prennent grand soin d’éviter l’irréparable et préfèrent utiliser leurs relations à Moscou pour résoudre tel ou tel problème de la région que de jouer une confrontation qu’ils n’auraient sans doute pas les moyens de tenir longtemps.
Plusieurs événements observés au milieu des années 1990 illustrent cette attitude.
Dirigeant rộgional de Nach dom Rossia -le ô parti du pouvoir ằ du gouvernement Tchernomyrdine - pour la campagne électorale des élections législatives de décembre 1995, le gouverneur par ailleurs en campagne pour sa propre élection prend soin pour sa propre campagne de s’en démarquer en créant une filiale locale avec une dénomination propre, Omsk Priirtyshe, pour laquelle il cherche des appuis au centre. Son élection au suffrage universel au titre de l’exception accordée à quelques régions lui donne la légitimité nécessaire pour signer avec le Président Eltsine pendant la campagne présidentielle un accord sur la répartition des compétences avec le centre. La presse semi-officielle locale prend soin à cette occasion de souligner que c’est le résultat d’une initiative née dans la région cinq ans plus tôt, torpillée par des fonctionnaires gouvernementaux qui ont injustement accusé la région de séparatisme, et aboutie enfin grâce au soutien direct du Président390. En retour, l’administration régionale a fait ouvertement campagne en faveur de B. Eltsine, et les résultats favorables à G.
389 Elle passe à 57% en 2000 et à 63% en 2002, avec comme priorité un recouvrement plus efficace, favorisé par une nouvelle législation fiscale, par la présence des Représentants spéciaux du président . qui depuis 2000 veillent à la répartition et au contrôle.
390 ô Prezident Eltsin na Omskoj zemle ằ (le Prộsident Eltsine sur la terre d'Omsk"), Omskij Vestnik, 21 mai 1996, p.1.
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Ziouganov391 ont donné lieu à de vifs règlements de compte allant jusqu’au limogeage par le gouverneur des chefs d’administration des districts ruraux de la région392. Mais en même temps, le gouverneur a su éviter la vague d’élections des gouverneurs de l’automne 1996, organisée par le responsable de l’administration présidentielle A.
Tchoubạs, qui l’aurait obligé à se situer plus nettement dans le camp présidentiel, au risque de perdre une partie de son capital politique construit autour d’une position centriste.
La région d’Omsk n’échappe pas à quelques grandes tendances que l’on peut observer ailleurs sur le territoire russe. Le rapport à Moscou entre souvent en ligne de compte selon une ligne assez simple : L’opposition centre-région est une donnée de base et se montrer trop liés à des intérêts moscovites ne peut que nuire aux candidats, même s’ils peuvent démontrer le bénéfice à retirer pour la région de bonnes relations à Moscou.
Pendant la campagne pour les élections de gouverneurs en 1995-1996, ce fut d’ailleurs un des arguments principaux de l’opposition que de désigner les candidats du camp prộsidentiel comme ộmanant du ô parti du pouvoir ằ ou comme ộtant achetộs par des grands intộrờts financiers393, et d’opposer Moscou aux zemliaki (les ô gens du pays ằ), la pauvreté de la région à la richesse de Moscou etc. A l’inverse utiliser comme argument la confrontation avec le centre est contre-productif., l’électorat sachant parfaitement qu’il faudra à un moment ou à un autre gérer les relations avec Moscou (Šatilov, Netčaev, 1997).
A cet égard, la région d’Omsk nous semble caractéristique de relations de pouvoir clientélistes à caractère vertical, très présentes avant 1996, mais encore après : même si l’élection assure plus d’indépendance aux gouverneurs, le maintien de bonnes relations vis-à-vis du centre reste essentiel à l’obtention d’avantages en termes budgétaires et financiers, ces avantages étant eux-mêmes nécessaires pour la consolidation de la légitimité du gouverneur dans la population. De là découle par exemple la nécessité de garantir les ô bons rộsultats ằ aux ộlections de niveau fộdộral.
391 36,8% contre 32,8% à B. Eltsine au premier tour, 47,5% contre 46,2% au second, l'écart étant beaucoup plus fort si l'on ne considère que les districts ruraux.
392 Omskaâ pravda, 9 juillet 1996, Četverg, 11 juillet 1996.
393 Voir la campagne Kondratenko contre Egorov à Krasnodar qui accuse Egorov d’être l’homme de LUKọl