Construction d’un discours sur les professionnels

Một phần của tài liệu Acteurs locaux et régionaux face aux transformations du pouvoir en russie, 1989 1999 (Trang 325 - 328)

CHAPITRE IV Crise de la représentation, tentatives de réinvestissement du politique-

I.1. La difficile reconstruction des assemblées locales et régionales

I.2.1. Construction d’un discours sur les professionnels

La crise de l’action politique et du système représentatif se conjugue donc avec une logique de professionnalisation pour certains nouveaux élus qui rejettent le politique au motif des pratiques clientélistes qui ont marqué les mandats précédents ou de son inefficacité à produire des réformes locales et régionales. On vante par exemple à Omsk la faible place qu’occupent les partis politiques dans la vie locale - ils n’empêcheront pas de faire des affaires. Le débat sur la professionnalisation, très présent dans les administrations, on l’a vu dans le renouvellement des équipes à Omsk et Kalouga (cf.

supra chap. III), s’applique également aux élus, le débat tournant autour de la fonction même du mandat électif : s’agit-il de représentants du peuple ou de professionnels qui sauront, une fois élus, traiter des principales questions ?

Beaucoup pensent que dans une pộriode de transformation telle que la connaợt la Russie au milieu des années 1990, il faut être juriste ou économiste pour être un bon député.

495 O. Poptsov, Literaturnaâ Gazeta, 4 mars 1987. Cité par Kerblay, 1989, p. 59.

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Les propos d’un électeur de Dolgoproudny au cours d’un débat précédant une élection partielle au Parlement fédéral illustrent les termes du débat. Alors que la candidate met exclusivement l’accent sur sa compétence de juriste et son métier d’avocat, cet électeur finit par lui rộpondre : ô Mais si on vous suit, il n’y aura plus que des juristes au Parlement ! Comment le peuple sera reprộsentộ, alors ? ằ496.

Le président de l’Assemblée régionale d’Omsk déplore le peu de compétences juridiques et lộgislatives parmi les dộputộs -ô On vient seulement de s’apercevoir que l’on avait les mờmes droits que le Tatarstan ằ- : ô Le mieux serait comme aux ẫtats- Unis ó les députés sont des professionnels, permanents, qui sont en place pendant dix ou vingt ans ằ497.

Le fait d’être un élu communiste n’empêche pas le président du comité législatif de l’Assemblée législative régionale de Kalouga de tenir un discours axé sur la professionnalisation. Désireux d’ailleurs de compléter sa formation à l’Académie du service public, il dộclare : ô Je suis un lộgislateur, pas un dộputộ de quartier qui fait le tour des appartements ằ. Ce qui ne l’empờche pas de tenir des propos assez contradictoires lorsqu’il s’agit d’évoquer les principes généraux de l’auto- administration locale dont il se déclare fervent partisan498. Il critique sur ce sujet le nouveau maire, Minakov, un gestionnaire (Khoziạstvennik) pourtant proche des communistes : ô Il n’existe toujours pas de systốme d’auto-administration locale, les députés régionaux sont en fait des représentants du pouvoir d’État, et agissent comme dans une entreprise, alors qu’un député ne doit être que le représentant du peuple, ce n’est pas parce qu’il est élu qu’il est au-dessus des autres. Il ne doit pas exister de hiộrarchie entre les dộputộs, ce n’est pas comme le pouvoir exộcutif ằ499.

L’obsession de la professionnalisation du politique apparaợt aussi comme une rộponse qui tourne radicalement le dos à la proposition léniniste du système politique et administratif non professionnel tel qu’il est décrit dans l’État et la Révolution et qu’avait continué d’afficher le système soviétique, tout en privilégiant de fait la présence de professionnels parmi les élus. Cette réaction est-elle donc une vision

496 Réunion électorale, Dolgoproudny, 15 octobre 1994.

497 Entretien avec Vladimir Alexeevitch Varnavski, le 23 mars 1995

498 Il est co-auteur de la loi sur l'auto-administration locale de 1995.

499 Entretien avec Alexandre Sergueevitch Souvorov, le 8 avril 1995.

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tronquée du système soviétique dans son fonctionnement véritable, ou plutôt une volonté farouche pour les cadres au pouvoir et les nouveaux candidats à la fonction élective d’effacer ce qu’ils considèrent comme les errements des démocrates de 1990, qu’il s’agisse de leurs propres hésitations ou de celles de leurs adversaires ?

On se trouve ici également au plus loin du principe de la professionnalisation du politique intervenue en Europe au XXème siècle, ó la construction d’une sphère politique autonome est passée d’abord par l’émergence d’entrepreneurs politiques, les notables, qui disposent des ressources suffisantes, puis par la constitution progressive de professionnels de la politique qui conduit à une distinction de plus en plus marquée entre professionnels et profanes mais aussi à une différenciation de plus en plus marquée de l’ordre politique par rapport à l’ordre social (Lacroix, 1985). Dans le cas de la Russie, le principe de la représentation ne semble plus admis que s’il permet l’entrée dans la sphère politique de professionnels de tel ou tel domaine de l’économie et de la sociộtộ, en fonction des ô problốmes ằ que la sociộtộ rencontre et que les ộlecteurs le plus souvent veulent voir rộglộs au plus vite, ce processus tendant à faire disparaợtre le politique en tant qu’ordre spécifique.

Au milieu des années 2000, alors que les prérogatives du pouvoir représentatif et législatif régional se sont encore amoindries, on peut remarquer une prolongation de ces tendances, adaptées aux nouveaux enjeux : à Smolensk et Briansk500 par exemple, sont élus ou cherchent à se faire élire dans les nouvelles assemblées des fonctionnaires des services municipaux en charge des dossiers concernés par les grandes réformes mises en place par Moscou dans le cadre de la monétisation (monetizatsia) des avantages sociaux et de la réforme de la gestion municipale501. On peut comprendre la situation de deux points de vue : soit en prenant celui des électeurs, et en faisant donc l’hypothèse que celui-ci ô compte ằ : ceux-ci prộfốrent en effet ộlire des professionnels de la gestion dont ils estiment les compétences utiles pour prendre les décisions sur ces réformes ; soit en adoptant celui des administrations, qui s’arrangent pour faire placer leurs fonctionnaires aux postes électifs et être ainsi certains de voir voter les réformes dans le sens souhaité par le pouvoir exécutif. Il est d’ailleurs possible que les deux points de vue se rejoignent, les électeurs préférant s’en remettre aux professionnels.

500 Deux régions voisines de Russie centrale qui ont été étudiées en détail par Jean Charles Lallemand (1998, 2004).

501 Observations recueillies par Jean-Charles Lallemand.

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