II. Administration et modernisation : l’invention d’une forme de ô gouvernance ằ
II.1. La redéfinition des relations avec le monde économique
II.1.2. Les administrations, actrices des privatisations
Menée par le Premier ministre Egor Gạdar et son vice-premier ministre A. Tchoubạs, responsable de la Commission d’État en charge de l’administration des propriétés d’État (GKI270), la première vague de privatisation à grande échelle271, doit compter, pour être
269 finanso-prommyšlennye gruppy
270 Goskomimuŝestvo
271 On a vu que les prémices du transfert de la propriété économique étaient largement présents via les coopératives dans les années 1988-1991. En juillet 1991, juste avant l’effondrement de l’URSS, la Russie encore soviétique (RSFSR) avait adopté un programme de privatisation des entreprises industrielles et commerciales, mais qui n’avait pas été mis en place.
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efficace, sur les structures locales et régionales chargées des transferts de la propriété d’État. Cette propriété est répartie selon des critères complexes entre propriété d’importance fédérale, régionale et enfin locale272. Elle est l’objet de nombreux conflits et négociations entre les différents échelons du pouvoir Outre les problèmes de répartition des biens d’État entre les différents échelons territoriaux, la dualité de ces structures, qui suit la double hiérarchie des pouvoirs soviets/administrations, va occasionner des conflits sérieux entre les soviets et l’administration, l’affrontement portant le plus souvent sur le rythme des privatisations : les administrations réformatrices veulent aller souvent plus vite que les députés des soviets.
En règle générale, vont s’opposer le Fonds de gestion des propriétés d’Etat273, placé sous l’autorité des soviets et censé contrôler le processus en organisant notamment les ventes aux enchères des entreprises, et le Comité de gestion des propriétés d’Etat, chargé au sein des exécutifs locaux et régionaux de la mise en œuvre concrète des privatisations, soit en les proposant directement, soit en réagissant à la demande d’un acheteur potentiel. Les fonctionnaires en charge de ces comités vont jouer un rôle tout à fait crucial dans cette première phase de privatisations. L’agence fédérale en charge des privatisations, le GKI, a du en effet s’appuyer beaucoup sur les administrations locales et régionales pour mener à bien une tâche sans précédent (au sens propre du terme), dans la mesure ó celles-ci avaient acquis une place centrale dans les processus économiques, notamment de par les réformes de la période Gorbatchev274.
Parmi les problèmes principaux émergent ceux des contraintes politiques et de la dissymétrie en terme d’information entre gouvernement central et autorités locales/régionales. Le positionnement personnel par rapport aux réformes des fonctionnaires locaux et régionaux en charge des privatisations a été un facteur déterminant dans la transmission ou la rétention d’informations et dans la mise en œuvre effective du processus. C’est aux fonctionnaires locaux du GKI que revenait la tâche de mettre en œuvre pratiquement une privatisation, qu’ils l’aient eux mêmes proposée ou bien qu’ils aient été sollicités par un acheteur : c’est sur cette mise en œuvre que repose leur pouvoir. Le fonctionnaire peut en effet choisir comment mener le
272 Federal’noe, oblastnoe i mestnoe značenie. La répartition est essentiellement fonction de la taille et du nombre de salariés mais aussi de l’importance stratégique éventuelle. Voir infra pour les nombreux contournements de cette règle en fonction des configurations politiques locales.
273 Fond upravleniâ imuŝestvom
274 Cf. chap. II. C’est notamment le cas pour le contrôle des coopératives.
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processus, à qui l’offre va être annoncée ; il peut faire, au lieu d’une mise aux enchères, un appel d’offre à des conditions telles que les concurrents éventuels de l’acheteur intéressé ou aux de ceux que le fonctionnaire veut privilégier ne pourront concourir ; un fonctionnaire hostile à la réforme pouvait rendre moins attractive une entreprise à privatiser en posant des conditions trop rigides, ou bien pouvait interrompre le processus. La puissance des fonctionnaires locaux était d’autant plus grande que l’information disponible localement pour les acheteurs était très faible. (Friebel, 2000275).
En 1993 et plus encore en 1994, dans le souci de contourner l’opposition de groupes politiques au niveau central, le gouvernement russe va de plus en s’appuyer sur les exécutifs régionaux dans la mise en œuvre des privatisations. Mais pour ce faire, il doit tenir compte des intérêts régionaux et opérer des inflexions dans le programme : A.
Tchoubạs va autoriser les fonds régionaux de propriété à ne plus reverser au fonds fédéral une partie des bénéfices retirés des privatisations des propriétés régionales et à en conserver la totalité ; les administrations régionales vont détenir 20% des droits de contrôle dans les entreprises privatisées dans leurs territoires et obtenir le contrôle d’un certain nombre d’équipements et services publics (transports, eau…). Le programme de 1994, décrété le 24 décembre 1993 par le président Eltsine, transfère surtout aux régions le processus de décision en matière de privatisation puisque ce sont les fonds régionaux qui auront latitude pour approuver ou refuser telle ou telle proposition (Appel, 2004, p.
88-89). En levant les contraintes politiques au centre, le gouvernement en crée aussi de nouvelles, certaines régions opposant une forte résistance au processus et allant même jusqu’à annuler les vouchers : pour certaines, il s’agit d’une opposition idéologique aux privatisations, pour d’autres, notamment les entités nationales du Tatarstan et du Bachkortostan, il s’agit de revendiquer plus de souveraineté pour mener comme elles l’entendent le processus
275 utilisant par ailleurs une analyse modélisée l’auteur explique que les deux atouts principaux du gouvernement ont été de favoriser d’une part les insiders, managers et salariés, afin qu’ils acquièrent les paquets de contrôle, et d’autre part de favoriser les administrations locales et régionales qui ont tiré bộnộfice des ô petites privatisations ằ,. Mais qu’ensuite, pour l’ộtape suivante des vouchers, les administrations locales et régionales n’y avaient pas leur intérêt : l’avantage donné aux insiders dans la première phase était nécessaire politiquement ; mais dans une deuxième phase, il a joué contre les réformateurs du gouvernement en leur enlevant un levier pour inciter à privatiser rapidement les administrations locales et régionales.
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À Dolgoproudny, pourtant une ville de petite taille, le conflit entre le soviet et l’administration se cristallise sur les privatisations, dont la mise en œuvre voit s’affronter les partisans de l’administration et des réformes économiques qui déplorent l’attitude d’opposition systộmatique du prộsident du fonds – qui dộpend du soviet : ô il avait pour seule préoccupation d’empêcher les opérations de privatisation, particulièrement quand le candidat acheteur n’était pas russe. Son action revenait à bloquer tout le processus ou à faire fuir du territoire de la ville les entreprises dynamiques ằ276. Mờme lorsqu’elles sont favorables aux rộformes, les administrations souhaitent néanmoins conserver un certain nombre de biens, souvent pour en tirer des ressources budgétaires pour d’autres domaines de l’action municipale, et n’avancent donc pas toujours au rythme souhaité par les entrepreneurs privés. A Dolgoproudny, le président de l’Union des entrepreneurs, qui met en avant les bonnes relations avec l’administration de maniốre gộnộrale, est dộỗu du frein qu’il perỗoit dans les privatisations. ô On voudrait que cela aille plus vite, que ce soit menộ de maniốre plus active et plus intelligente. Dans ce domaine, il y a des problèmes avec l’administration, qui veut garder pour elle les immeubles et récupérer l’argent des loyers au lieu de vendre aux entreprises qui le souhaitent ằ277. En situation de pộnurie budgộtaire et de faibles rentrées fiscales en provenance des entreprises, la ville refuse de se dessaisir d’une source de revenus non négligeable.
A Omsk, le principal enjeu de la privatisation du début des années 1990278 est révélé par le conflit qui oppose la municipalité favorable à un programme de réformes radicales et l’administration rộgionale, qui finit par sortir victorieuse d’une ô guerre des certificats de privatisation ằ. Les entreprises de la rộgion sont donc transformộes peu à peu en sociộtộs par action, en commenỗant par privatiser une partie de l’entreprise, et pour la plupart selon le mode dit fermé, un paquet de contrôle demeurant aux mains de l’État : l’État, mais à quel niveau ? C’est ici que se noue, à Omsk comme dans la plupart des
276 Entretien avec V. A. Novikov, Dolgoproudny, 8 octobre 1994.
277 Entretien avec le directeur exécutif, Dolgoproudny, 25 octobre 1994.
278 A Omsk, les redistributions occasionnées par les privatisations ont concerné trois secteurs principaux, qui ont mis en scène des acteurs différents : le complexe militaire, très présent dans la région par le biais notamment de l’aéronautique (50% des emplois industriels en 1992 [Radvanyi, 2004, p. 354]) et pour lesquels les programmes de reconversion, comme ailleurs en Russie, peinent à démarrer ; la pétrochimie, pour laquelle le processus va se faire en plusieurs phases et occasionner l’entrée d’une région plutôt repliộe sur elle-mờme dans le ô grand jeu ằ des phases suivantes de privatisation, et tout le secteur issu des coopératives (voir supra chap. II) et d’une pré-privatisation opérée à l’intérieur des entreprises avant 1992.
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régions russes, le cœur du conflit entre les différents échelons du pouvoir. En effet , selon les secteurs, la nature stratégique de l’activité concernée ou la taille de l’entreprise, il peut s’agir du niveau fédéral ou du niveau de l’Oblast. Ce qui frappe l’observateur pendant cette période est le flou généralisé qui règne quant à cette rộpartition pour dộcider si le paquet de contrụle (51%) de telle ou telle entreprise ô ira à Moscou ou à l’oblast ằ. En principe, les industrie de transformation, (chimie, automobile, construction) relevaient de la propriété régionale, les secteurs stratégiques comme l’aéronautique et le pétrole devaient rester propriété de l’État. Le résultat final a souvent été le fait soit du hasard de décisions prises dans l’urgence, soit de comportements délibérés des instances en charge de la privatisation.
La manière dont s’est déroulé le processus de privatisation dans la ville et dans l’oblast illustre le fonctionnement les relations entre l’administration et les dirigeants économiques d’une part, entre la ville et la région d’autre part. La région d’Omsk, sans que l’on puisse la considérer comme particulièrement en retard, ne fait pas non plus figure de leader dans le processus de privatisation. Il faut ici distinguer la ville de la région. En ce qui concerne la ville elle-même, le début des privatisations a correspondu à l’arrivée de Iouri Chọkhets à la tête de l’administration. Avant même le décret marquant le début des privatisations, un certain nombre d’entreprises industrielles avaient pu se privatiser par le biais de l’option bail avec droit de rachat. Ensuite, des liens personnels du maire avec E. Gạdar ont permis à la ville de recevoir le statut d’agence fédérale, avec le droit de privatiser pour le compte de l’Etat, la tendance étant au niveau de l’oblast de freiner le processus sous la pression des différents lobbies directoriaux279. De plus, il s’agissait souvent d’entreprises militaires dépendant directement des départements ministériels centraux qui tentaient de contrôler le processus. La difficulté à répartir la propriété des entreprises entre niveau régional et niveau fédéral ajoutait encore à la confusion.
Le bilan fait en 1994 de cette première phase indique que la plupart des directeurs des grandes entreprises, y compris la raffinerie ONPZ280 ont en effet fait le choix de soutenir l’homme fort de la rộgion, L. Polejaev, et sont ô passộes à l’oblast ằ ; il en va de même des usines du complexe militaire Baranov et Poliot, dont les responsables
279 Entretien avec A. Saraev le 23 mars 1995
280 Omsk neftepererabotảŝij zavod, dirigé par Litskievitch jusqu’à sa mort en 1995.
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appartiennent à la génération des grands directeurs soviétiques. Mais cela ne s’est pas fait sans une très forte opposition de la part de la tendance réformatrice radicale et notamment du président du Comité régional de gestion des propriétés, l’un des militants démocrates les plus en vue à la fin des années 1980, membre actif du parti Russie démocratique, Vladimir Zakhartchenko. Partisan des réformes économiques rapides et radicales, proche du gouvernement central, il joue le rôle d’un Cheval de Troie dans l’administration régionale et tente systématiquement de transmettre directement à A.
Tchoubạs les certificats de privatisation afin que la gestion soit assurée par l’administration municipale et non l’administration régionale. Il se constitue donc une alliance entre la municipalité et le gouvernement central pour contourner l’administration régionale. L’enjeu est de taille dans la mesure ó il ne s’agit pas de privatisations à 100% et ó l’autorité en charge conserve un pourcentage plus ou moins important du capital. Dans le cas de l’administration régionale, elle a d’autant plus d’importance que le type d’entreprise qui lui revient appartient le plus souvent aux secteurs clés de l’industrie lourde et des ressources naturelles, signe du maintien par l’État d’un poids important dans l’économie.
L’ancien responsable du Comité de gestion des biens de la municipalité, aujourd’hui directeur du comitộ ộconomique de l’administration rộgionale, A. Saraev, s’il reconnaợt des ô erreurs de jeunesse ằ et souligne le problốme de la sphốre sociale, considốre comme positif le bilan des privatisations municipales qui ont largement débordé sur les compétences de l’oblast. Il cite à ce propos une lettre à A. Tchoubạs signée de plusieurs directeurs et demandant à relever de l’autorité municipale en raison de la lenteur et du manque de compộtence du comitộ rộgional, et souligne : ô eux, ils criaient, nous on travaillait ằ281 Le conflit entre ‘rộformateurs’ et ‘conservateurs’ - nous citons entre guillemets ces catégories, utilisées très couramment par les acteurs et les commentateurs - opposait ainsi un axe regroupant la municipalité et le gouvernement central de Moscou contre un pouvoir rộgional perỗu essentiellement comme conservateur. Dans le mờme temps, des tensions entre réformateurs et conservateurs existaient dans toutes les instances, et surtout au niveau régional. Au niveau municipal, le soviet a fait confiance à la nouvelle équipe pour qu’elle gère au mieux les intérêts de la ville sans avoir de position de principe vis à vis des privatisations. La partie active du soviet, composée en
281 ibid.
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majorité de démocrates qui avaient élu Iouri Chọkhets chef de l’administration considérait à l’époque comme suffisantes l’image de démocrate et le discours de marché du maire pour lui abandonner la gestion des privatisations. Il en est allé tout autrement du soviet de l’oblast ó la confrontation a été permanente et très idéologique de part et d’autre. Une très forte majorité de ses membres était composée des représentants de la nomenklatura industrielle et agraire, hostile aux privatisations. Compte tenu de l’insuffisance de documents juridiques régulant le processus et du caractère contradictoire ou imprécis de nombre d’entre eux, une grande latitude lui était laissée, via notamment le soviet restreint, pour les interpréter ou pour édicter ses propres règles, par exemple de réserver 20% des paquets d’action d’une entreprise à l’oblast282.
A l’intérieur même de l’administration, un conflit opposait le gouverneur qui souhaitait conserver un contrôle sur la propriété comme sur la gestion des entreprises, au Comité régional des propriétés dirigé par V. Zakhartchenko, qui, soucieux de faire tomber dans les ô bonnes mains ằ les entreprises privatisộes, transmettait donc les certificats de privatisations directement à Moscou. Il semble même qu’il ait tout fait pour être élu à ce poste afin d’avoir le contrôle de ce qui se passait au niveau de l’oblast et de pouvoir souligner le caractère foncièrement négatif et conservateur du processus de privatisation mené par l’administration régionale. V. Zakhartchenko se posait en 1995 comme victime des agissements de l’administration rộgionale - ô Le gouverneur veut me renvoyer, c’est un ordre politique de Moscou ằ-, et dộveloppait une logique de derniốre forteresse réformatrice assiégée face au ‘complot communiste’ :
ô Il n’y a pas de diffộrentiation entre les sphốres ộconomique et politique. On est encore dans un pays communiste et les communistes ont construit l’économie à travers le politique (…) Ils n’ont plus de responsabilités mais ils ont encore le pouvoir. Les privatisations sont le coup le plus fort qu’ont essayé de donner les réformateurs pour en finir avec le système, mais les communistes essaient de prendre leur revanche, par exemple avec la guerre en Tchétchénie : c’est une guerre entre les mafias communistes ằ283.
Une affaire de corruption touchant ses collaborateurs va fournir l’occasion au gouverneur pour le limoger au printemps 1995 et le remplacer par A. Saraev, déjà en charge du Comité économique de l’administration régionale.
282 Omskaâ oblast’: sovremennoe sostoânie hozâjstva (la région d’Omsk : situation actuelle de l’économie), Omsk, comité des statistiques, p 23 et sq.
283 Entretien avec V. Zakhartchenko, 29 mars 1995.
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Selon un économiste lui-même acteur des privatisations en tant que gestionnaire de fonds d’investissements, la région d’Omsk est à la fin de la première étape dans les dix- quinze premières de Russie. Cependant, L’État est resté partiellement actionnaire (à 10%, 15% ou 20% selon les variantes) de la moitié des entreprises alors qu’elles auraient pu être privatisées à 100%, et les dirigeants régionaux ont essayé d’influer sur le processus dans le sens du maintien de la présence de l’État. Par ailleurs, le choix par 75% des entreprises de la liste fermée pour la privatisation atteste la tendance de l’ensemble des acteurs de la région à vouloir se protéger des influences extérieures.
Même une fois achevée cette première phase des privatisations, l’administration régionale surveille attentivement la part qu’elle détient dans les entreprises et influence constamment la situation dans les entreprises privatisộes : ô la moitiộ des arrờtộs et décisions de L. Polejaev concerne le gel des actions détenues par l’oblast ; même A.
Saraev, considéré comme un partisan des privatisations, s’est mis lui aussi à relayer cette politique qui consiste à geler les transmissions de paquets d’actions depuis qu’il est prộsident du comitộ de gestion des biens ằ284. Ce responsable d’un fonds d’investissements souligne le fait que les directeurs d’entreprise viennent constamment se plaindre à l’administration lorsque les fonds d’investissement veulent acheter des paquets d’action. En invoquant le risque du chụmage ou de la ô vente à des mains ộtrangốres ằ, ils demandent à l’administration de racheter elle-mờme les actions aux fonds d’investissements, à un prix très inférieur au marché285 ou de faire pression par d’autres moyens286. Toutefois, sept fonds d’investissements ont vu le jour dans la région, qui possèdent des actions dans 170 entreprises - dont 110 à Omsk -, rachetées essentiellement auprès des collectifs de travailleurs.
Au milieu des annộes 1990, le bilan fait sur les privatisations par les ô rộformateurs ằ de la fin des années 1980 en termes de changement en profondeur de la gestion des entreprises est trốs dộsabusộ : ô mờme si les entreprises sont privatisộes, rien n’a changộ dans les têtes ni dans la manière de travailler, les entreprises287 ne cherchent même pas de commandes, ni de nouveaux fournisseurs, tellement elles ont été habituées au plan. Il
284 Entretien avec V. A Zoubakine, économiste et directeur de 3 fonds d'investissement dans la région, le 28 mars 1995.
285 Par exemple si un fonds d’investissement a acquis 20% d'une entreprise qui vaut 10 milliards de roubles, soit 2 milliards, l'administration propose de les racheter pour 100 millions.
286 Entretien avec V. A Zoubakine 28 mars 1995.
287 Il cite l’usine de machine-outils (DMZ) et l’ancienne usine des dirigeables (DNPP). Il faut noter aussi le très fort endettement des entreprises, dont beaucoup sont en défaut de paiement sans pouvoir être mise en faillite jusqu’à la loi de fin 1993.
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faudrait de vrais managers qui soient aussi diplomates et pas seulement propriétaires.
Pour le moment il n’y en a pas. […] La loi sur les faillites ne fonctionne pas encore, de plus le montant de l’impôt foncier est tellement faible que les entreprises peuvent se permettre de garder d’immenses locaux et terrains qui ne servent plus à rien ằ288.
A Kalouga, la situation semble assez figée deux ans après le début des privatisations : les entreprises ont pratiquement toutes été transformées en SARL ou SA289, y compris les entreprises du complexe militaire290 mais pour l’essentiel, ce n’est qu’un changement de nom : ôles dirigeants sont dans l’ensemble restộs les mờmes, tout dộpend d’eux ằ291. Proche de Moscou, mais pas assez pour ờtre dans son orbite, à l’ộcart des grands axes de communication, la région peine à attirer les investissements productifs et s’enfonce dans la crise, tandis que l’administration régionale déplore le manque de moyens pour soutenir l’économie, l’essentiel des ressources disponibles passant dans le maintien des équipements, le paiement des salaires et le soutien à l’agriculture, activité essentielle de la région.
De son côté, le responsable des privatisations pour l’oblast considère que les premiers pas de transformation structurelle ont été franchis, et que certaines entreprises commencent à fonctionner selon des critères de rentabilité, malgré la difficulté à sortir de l’hyperspécialisation qu’avait généré le mode soviétique de gestion des territoires292 pour aller vers une diversification et une autonomisation. Malgré la faiblesse des investissements bancaires et les risques d’échec, certains banquiers ont commencé à investir dans le secteur productif en faisant un pari sur le long terme, le seul secteur commercial ne pouvant assurer à long terme la croissance. Il souhaite une politique active de soutien à l’économie - baisse des impôts au risque d’aggraver les problèmes budgétaires, recherche de fonds fédéraux et internationaux - il plaide aussi pour une
288 Entretien avec V. A. Novikov, Dolgoproudny, 8 octobre 1994.
289 TOO pour tovoriŝestvo s ograničniej otvestvennosti ou AO pour akcionernoe obŝestvo.
290 Des programmes de reconversion du gigantesque complexe militaire (konversia), l’un des plus en crise au niveau fédéral comme régional, sont lancées dès le début de la privatisation. A Kalouga, région particulièrement touchée, puisque 50% de l’emploi et 20% de la production en dépendent, très peu de l’argent du programme fédéral est arrivé à destination.
291 Entretien avec Iouri Vassilievitch Fomine responsable du comité de prévisions économiques de l’administration régionale- 22 février 1995.
292 Ce mode de gestion supposait pour que les biens soient produits, transportés…. une organisation en réseau très poussée à travers tout le territoire, qu’elle soit formelle ou informelle: pour certains, cette organisation s’est maintenue et a permis aux entreprises de continuer à fonctionner même avec un statut légal différent et une adaptation aux règles du marché, pour d’autres, notamment celles dont les entreprises partenaires se trouvaient hors de Russie, la fin de l’URSS a signifié une rupture des approvisionnements ou de l’écoulement de la production.