CHAPITRE IV Crise de la représentation, tentatives de réinvestissement du politique-
III. Entre participation politique et contrôle social : des comités de quartier aux
III.2. Les initiatives de quartier entre police auxiliaire et centre social
III.2.3.1. La brigade de l’université des transports : entre sécurité professionnalisée et médiation sociale
En 1998, une brigade de droujinniki a été créée par un groupe d’étudiants de la cité universitaire de l’Institut des transports d’Omsk : ô C’est la vie qui a rendu nộcessaire cette décision. La situation était assez difficile dans les foyers, avec du désordre, des
707 Entretien avec Iouri. E. Avroutine, colonel de police, Saint-Pétersbourg, 1er aỏt 2001.
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bagarres, ce qui explique que les étudiants aient eux-mêmes pris cette initiative. L’idée gộnộrale, c’ộtait de ‘vivre en paix chez soi’. (…) ằ708.
La décision a été prise par l’assemblée générale des étudiants, rassemblés autour du syndicat (branche étudiante du syndicat des chemins de fer, et non pas syndicat étudiant). C’est le syndicat qui a pris la responsabilité des négociations avec l’administration de l’institut, puis de la préparation d’un texte réglementaire, approuvé par le conseil scientifique. Le syndicat joue toujours un rôle clé dans cette initiative :
ô la brigade est directement liộe au syndicat, de toute faỗon, deux tiers des étudiants sont syndiqués. Beaucoup de membres de la brigade sont aussi membres du conseil des étudiants auprès de l’administration de l’institut. C’est un syndicat qui offre pas mal d’avantages, les mêmes que pour l’ensemble du personnel des chemins de fer, c’est un syndicat de branche. Par ailleurs, il est inscrit noir sur blanc dans le règlement de notre brigade que ses membres bénéficient via le syndicat d’un certain nombre d’avantages en nature (bons de voyages etc.), c’est une compensation normale vis-à-vis du travail fourni pour la collectivitộ ằ709.
Le responsable actuel de la brigade décrit ainsi leurs activités :
ô Au dộpart c’ộtait seulement dans la citộ ộtudiante, là ú sont les foyers, mais aujourd’hui, on patrouille jusqu’à 22h, tous les jours, sur tout le territoire de l’Institut. Il y a une loge dans chaque bâtiment, mais l’un d’entre nous est en patrouille aussi en permanence dans la journée. C’est en dehors des heures de cours que se posent les problèmes, avec les étudiants de l’Institut essentiellement, pas avec des intrusions de l’extérieur, problèmes pour lesquels le concierge suffit. Dans ce bâtiment, nous formons un groupe de 8 personnes. Si les gens veulent devenir membres, il y a une période d’essai, une formation et un contrụle obligatoiresằ710.
Les responsables de cette droujina s’enorgueillissent d’être une organisation modèle.
S’il existe d’autres brigades de droujiny dans les universités d’autres villes, avec lesquels ils sont régulièrement en contact711, peu ou pas auront pu bénéficier de la formation d’une société de sécurité privée locale réputée très professionnelle le
708 Entretien avec Z. F. Iskakov, président du syndicat de l'institut, D. Manakhov, président du SOOOP et un troisième membre du SOOOP, 18 novembre 2001.
709 Ibid.
710 Ibid.
711 Les étudiants rencontrés citent Ekaterinbourg et Novossibirsk. Des brigades existent aussi à Krasnoyarsk, ó les droujinniki ont été recrutés principalement parmi les étudiants des cités universitaires, par accord avec les doyens des facultés et en échange d’avantages divers pour les ộtudiants : cf. ô Ya b v droužinniki pošởl… Kto I gde ohranõet pravoporõdok (Je m’inscrirais bien comme droujinnik… Qui assure le maintien de l'ordre et ú ?)ằ, Gorodskie Novosti, 19 juin 2001.
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Pravookhranitelnyù Tsentr (Centre de maintien de l’ordre) et surtout de son directeur, un ancien droujinnik, unanimement loué par les étudiants membres de l’organisation ộtudiante de sộcuritộ interne à l’universitộ712 : ô Au dộbut, notre difficultộ a ộtộ de trouver les bonnes personnes pour organiser notre travail. Notre grande chance a été de rencontrer A. Ponomarev et son centre. Il a transformé ce simple souhait en une activité exercộe sur un mode professionnel. Il nous a formộs juridiquement et techniquement ằ.
Cette coopộration est ộtroite dans la pratique, puisqu’elle passe par un entraợnement en commun des agents de la société privée avec la brigade étudiante, par une aide juridique à l’ộtablissement des comptes-rendus d’intervention etc. La brigade ộtudiante apparaợt aussi comme un disciple du Pravookhranitelnyù Tsentr sur le plan des idộes en matiốre de prộvention et d’action conjointe avec les forces de l’ordre : ô Ponomarev est un des seuls qui aient une vision globale de la sécurité. Il veut attirer des jeunes, encourager le travail avec la police713, les former au travail avec les jeunes dộlinquants notamment ằ, une démarche que les responsables de la brigade reprennent à leur compte dans une approche qui n’est pas sans rappeler celle des ô Grands frốres ằ en France (Macộ, 1998).
ô On se perỗoit aussi comme des intermộdiaires dans la rộsolution des conflits internes au foyer, il faut que ce travail de prévention soit fait par des gens appartenant au même milieu social. Il s’agit de ton frère, un étudiant comme toi, tu dois lui expliquer comment se comporter. C’est comme pour la toxicomanie, le plus efficace, c’est que ce soit d’anciens toxicomanes qui s’en occupent ằ.
Le raisonnement des responsables de la brigade ne s’arrête pas aux manifestations de l’insécurité, mais évoque aussi les conséquences des transformations économiques et sociales qu’a connues la Russie : ô Les causes sociales de la dộlinquance sont trốs importantes. Il faut que les jeunes aient quelque chose à faire. Il faut aussi faire de la prévention sociale sur le tabac, l’alcool, la drogue, leur expliquer aussi qu’il y a d’autres choses dans la vie que les cours et la vie quotidienne : les loisirs, des valeurs, des objectifs de vie… il faudrait pouvoir développer des activités pour les étudiants : sports, loisirs, langues étrangères, voyages,… Il y a évidemment un problème économique d’accès à ces services ou ces loisirs. Du temps de l’URSS, tout était gratuit, maintenant, tout est payant, il faudrait un ộquilibre. ằ
712 Le nom exact est SOOOP : Studenčeskij otrâd ohrany obŝestvennogo porâdka (brigade étudiante de maintien de l’ordre public).
713 Upravlenie vnutrennyh del Département local du ministère de l’Intérieur.
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Grâce à A. Ponomarev et à ses bonnes relations avec la Direction régionale de la police, la brigade étudiante travaille en liaison très étroite avec cette dernière, et ses membres semblent disposer du même privilège de pouvoir, en cas d’interpellation, amener eux- mêmes la personne au commissariat de police. On peut mentionner deux domaines d’exercice concret de cette coopération : La participation au maintien de l’ordre lors de manifestations publiques (concerts, matchs) : ô C’est bien pour former les ộtudiants membres du groupe. Et c’est aussi une gratification de pouvoir participer à des concerts, à des manifestations sportives. Ces manifestations sont l’occasion de faire de la prộvention, notamment sur la drogue ằ ; La prộsence comme tiers-tộmoins, lors de raids menés par la police, pour constituer une base de témoins à charge, dont le témoignage sera utile à la police grâce à la bonne préparation juridique des étudiants de la brigade.
Mais cette fonction ne peut être utilisée directement par la brigade étudiante et ses membres doivent passer par le Pravohranitelnyù Tsentr :
ô Il y a eu des gros problốmes de trafic de drogue en 1996-1997. Avec Ponomarev et son centre, on a fait des opộrations, des ô raids ằ, prộparộs à l’avance sur les points de revente pour arrêter les dealers. La police n’avait pas voulu se déplacer directement. Le problème c’est l’absence de statut juridique pour ces opérations, on ne peut être mandatés en tant que brigade des étudiants, il nous faut être avec le centre Ponomarev qui lui a ce statut. Cet exemple montre bien en quoi notre travail est un travail de droujiny : on est des citoyens, mais avec un ô plus ằ dans nos obligations à intervenir et à travailler avec les forces de l’ordre. (…) On est intervenu aussi sur les problèmes de racket dont ộtaient victimes les ộtudiants de premiốre annộeằ714.
Le responsable de la brigade regrette que ses membres ne puissent disposer d’une carte de ô collaborateur extộrieur de la police ằ715, comme pendant la pộriode soviộtique, un statut qui leur donnerait la possibilité d’intervenir dans les bus ou d’organiser des patrouilles dans les usines.
En revanche, il insiste sur l’importance d’une organisation spécifiquement étudiante et autonome à l’intérieur de l’université, et la coopération laisse alors la place à un raisonnement en termes d’efficacité et de légitimité comparées :
ô Il faut distinguer les sociộtộs de sộcuritộ privộe, la police et les organisations sociales comme la nôtre. Une agence de sécurité privée va seulement interdire
714 Entretien avec Z. F. Iskakov, président du syndicat de l'institut, D. Manakhov, président du SOOOP et un troisième membre du SOOOP, 18 novembre 2001.
715 Neštatnyj sotrudnik milicii
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aux gens d’entrer. La police a des compétences élargies mais n’est pas forcément très intéressée à la tranquillité publique (sic). Une organisation sociale est directement intéressée : ce sont les même gens, qui vivent ensemble, les membres de notre brigade sont en relation avec les ộtudiants…On connaợt les racines des problèmes (…) A un moment, l’institut avait proposé des places dans le foyer à des jeunes policiers en échange d’une surveillance de l’étage. Cela n’a pas marché, car ils n’étaient pas des nôtres, ne connaissaient pas les étudiants, ne partageaient pas leurs préoccupations etc. Ils n’avaient pas d’intérêt à exercer cette surveillance, et les ộtudiants n’avaient aucune raison de leur en reconnaợtre le droit… ằ.