CHAPITRE I Le pouvoir local et régional dans l’expérience soviétique : une clé pour
III. Clientộlisme et compromis: un ô pluralisme rộel ằ ?
III.2.4. L’entreprise soviétique : patronne et pourvoyeuse
Une image trop centralisée de la gestion des affaires locales peine à rendre compte, on l’a vu, de la capacité de chacun des acteurs à une certaine autonomie, permise notamment par les jeux d’influence, les réseaux de relations mis en œuvre en permanence à l’échelle locale par les entreprises, les départements municipaux, les différents échelons du Parti et les autorités centrales. En effet, le croisement d’une organisation administrative territoriale et d’une organisation économique sectorielle extrêmement prégnante, y compris par la présence des ministères de branches dans les régions –les vedomstva- ont pour conséquences l’imbrication extrême des processus de dộcision, la multiplication des conflits d’intộrờts portant sur la maợtrise des ressources et la paralysie de nombreux processus. A la lumière des privatisations des années 1990, on peut présenter une vision du système économique soviétique selon laquelle les entreprises, par le biais de leur directeurs, auraient en réalité, par la délégation constante et croissante des fonctions de gestion et de direction de l’État, qui dispose de d’autant moins d’autorité qu’il est impersonnel, détiennent de facto de plus en plus de droits relatifs ou équivalents à des droits de propriété. Et c’est en fonction de cette situation de départ qu’il faut comprendre les réformes de M. Gorbatchev à la fin des années 1980 puis les mécanismes d’appropriation de la propriété au début des années 1990 (Mc Faul, 1996).
Les structures formelles du pouvoir local et régional, à savoir les soviets, n’ont pratiquement aucune maợtrise sur les secteurs importants de l’ộconomie. Seuls les petites entreprises de certaines branches de l’industrie légère en relèvent, un levier très insuffisant pour peser face aux gigantesques pôles de l’industrie lourde lorsque l’on sait que l’allocation des ressources (équipement, main d’œuvre, ressources financières) se
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fait par le truchement des branches. Les grandes entreprises se sont ainsi développées sur un territoire, mais dans une relation telle avec celui-ci que c’est elles qui finissaient d’une part par absorber toutes les ressources disponibles -argent, main d’œuvre…- d’autre part par fournir à la population la plupart des services fondamentaux –gardes d’enfant, hôpitaux, écoles, centres culturels, transports…- non directement liés à l’entreprise (Alm Sjoquist, 1995, Shomina, 1992)113. En situation de pénurie quantitative et qualitative chronique, ces services pouvaient faire la réputation d’une ville ou d’une région qui allait ainsi attirer une main d’œuvre elle aussi en pénurie dans de nombreux secteurs.
L’allocation des ressources aux entreprises se faisant principalement en fonction de priorités économiques et stratégiques définies dans les ministères centraux, ce système aboutissait à de très fortes disparités régionales, en fonction des implantations des branches de l’industrie lourde privilégiées par les ministères centraux. En raison du lien extrêmement fort construit entre les villes et les entreprises industrielles, de nombreuses grandes villes s’étaient développées ex-nihilo ou presque, à partir d’implantations industrielles et de nœuds de transports. Cette organisation laisse de nombreuses traces dans la période actuelle, que l’on a pu notamment observer à Omsk, ville dont la forme actuelle, hộritage des annộes 1930, rộsulte de l’agglomộration de plusieurs ô villes- entreprises ằ. La ville actuelle garde profondộment la marque de cette hiộrarchie des priorités économiques s’inscrivant dans le territoire114. Le quartier, en réalité une ville dans la ville –appelé d’ailleurs gorodok, petite ville- des industries de raffinage et de pétrochimie bénéficiait d’aménagements urbains, de centres culturels, polycliniques etc… sans commune mesure avec d’autres quartiers laissés pour compte, comme celui dit des cheminots autour de la gare, ou les très nombreuses maisons de bois insalubres du quartier central, mais dans lequel n’était implanté aucune entreprise importante.
Devenus aujourd’hui des districts urbains, ces différents quartiers de la ville sont toujours largement déterminés, en terme de pouvoir politique ou d’infrastructures socio- culturelles par la principale entreprise qui y est implantée (cf. chap. III).
113 On reviendra sur cette question de la "sphère sociale" des entreprises et leur difficile municipalisation dans la période post-soviétique dans le chapitre III.
114 Jusque dans les arrêts de bus ou de tramways qui portent le nom des métiers se rapportant à tel ou tel quartier.
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Bien qu’elles dépendent hiérarchiquement de leurs ministères de branche, les vedomstva, et non des autorités municipales, ce sont localement les entreprises, via les départements ministériels ou bien directement, qui construisent, équipent, fournissent, routes, écoles, hôpitaux, maisons de la culture, etc., parfois des quartiers entiers. Les entreprises ont à la fois les ressources, financières ou le plus souvent en nature -matộriaux qu’elle fabrique ou reỗus en ộchange d’autres entreprises-, la main d’œuvre, et les réseaux de relations nécessaires pour être les financiers et pourvoyeur principal de biens et services pour de nombreuses villes. Ainsi, une entreprise peut avoir un poids tel dans la vie économique, mais aussi la vie sociale ou culturelle d’une ville que ses dirigeants en sont les vộritables ô patrons ằ.
On retrouve ici du côté des entreprises le rôle crucial de coordination, médiation, et de contrôle que l’on a vu pour les organisations locales du Parti. Elles affichent volontiers une priorité pour la coordination régionale et pour la construction de valeurs communes autour de la notion de développement territorial. Concrètement, cette activité s’organise autour de mécanismes compensatoires dans l’allocation de ressources et de main d’œuvre, de transferts temporaires d’une entreprise à une autre, pour assurer la bonne exécution du plan, objectif vital pour les uns comme pour les autres. Cette coordination prend aussi la forme d’une incitation forte des entreprises à participer à la prise en charge des besoins sociaux, éducatifs et culturels des collectivités territoriales. Les entreprises deviennent ainsi les ô sponsors ằ d’ộtablissements scolaires, d’hụpitaux, ou de maisons de la culture.
C’est dans ces interactions concrètes que la notion de marchandage prend son sens. Les demandes en provenance des structures locales du Parti, qui sollicitent souvent directement la direction de l’entreprise sans passer par les cellules d’entreprise du Parti, sont aussi la contrepartie du soutien apporté aux entreprises dans leurs demandes vis à vis des ministères ou des administrations… Dans les années 1960, la priorité est de plus en plus à l’approvisionnement en biens de consommation les plus déficitaires. Avec la généralisation d’un système de pénurie à tous les niveaux, le Parti intervient très fréquemment pour résoudre les conflits et arbitrer les priorités. C’est notamment le cas des conflits entre entreprises ou entre les entreprises et les administrations municipales ou les soviets, pour la construction de logements par exemple : la pénurie est aussi celle
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de la main d’œuvre obligeant les entreprises à une forte compétition à coups d’avantages sociaux et matộriels pour ô retenir ằ le personnel.
Le nombre et la fréquence de ces conflits ne sont pas sans incidence sur la capacité d’intervention et de régulation du Parti. Les responsables économiques et administratifs directement impliqués, s’ils peuvent tenter de résoudre les conflits via ces processus de marchandages et de compromis, sont aussi trop concernés directement par les objectifs du plan à atteindre pour accepter facilement les compromis et sacrifices, alors que le marché comme instance régulatrice fait défaut. Avec le temps, c’est aux organisations locales du Parti que semble ờtre revenu une fonction gộnộrale de ô ministốre de la coordination ằ à leur ộchelon. Mais leur rụle est plus rộactif – ils interviennent en réponse à des demandes - que proactif.
La présence de quelques entreprises qui se partagent, en coopération ou en concurrence, cette fonction cruciale place souvent les appareils administratifs en position d’obligés.
Différents cas peuvent être répertoriés (Shomina, 1992) : les entreprises
ô propriộtaires ằ ; les entreprises ô voisines ằ avec les problốmes de voisinage inộvitables qui s’ensuivent et les risques de rupture ; les entreprises ô ộponges ằ qui pompent les ressources de la ville sans rien apporter en échange, assurent leur dộveloppement ộconomique sur le dos de la municipalitộ ; les entreprises ô partenaires ằ enfin, qui fonctionnent en bonne intelligence avec les autorités municipales. A la fin des années 1980, semble se dessiner une montée de cette quatrième figure de l’entreprise, agissant à côté d’une génération de nouveaux députés comme acteurs conjoints d’un nouveau développement urbain.
Au tournant des annộes 1980, tirant les leỗons des problốmes sộrieux que rencontraient les municipalités en termes d’approvisionnement de planification et de moyens, les autorités, parmi lesquelles de nouveaux venus dans le Bureau Politique du Parti que l’on retrouvera ensuite occupant les plus hautes fonctions de l’État115, ont tenté d’engager un certain nombre de réformes de l’administration urbaine. L’objectif était de redonner plus de pouvoirs aux soviets locaux, d’amoindrir la toute puissance des ministères et du
115 M. Gorbatchev, Edouard Shévarnadzé, à l'époque premier secrétaire du Parti en Géorgie et qui sera, comme ministère des affaires étrangères, l'un des plus fidèles soutiens à la perestrọka, et N. Ryjkov, premier ministre en 1990-1991. E. Shévarnadzé démissionna en mai 1991 pour protester contre l'influence grandissante des conservateurs, parmi lesquels justement N. Ryjkov qui se rangea ensuite aux cơtés des auteurs du coup d'État manqué d'aỏt 1991.
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système de régulation par les branches industrielles (Slider, 1986). C’est la première réforme d’importance depuis l’échec des sovnarkhoz de Khrouchtchev. Les soviets ont en effet très peu de pouvoir vis à vis des ministères qui ont autorité directe sur les entreprises, y-compris les entreprises locales, autorité que les vedomstva partagent avec les autorités locales du Parti qui ont le pouvoir d’aider les entreprises, en cas de pénuries de matières premières par exemple, et ont intérêt à ce que les performances des entreprises situées sur leur territoire soient bonnes. Le soviet n’a ni ces ressources ni cet intộrờt à partager les bộnộfices et n’est donc pas engagộ dans le ô commerce des faveurs ằ qui caractộrise les relations entre les diffộrentes sphốres d’autoritộ.
L’influence sur les entreprises est donc très faible. En retour, les villes sont équipées, réparées, construites, voire nourries par les entreprises et surtout par les entreprises d’importance républicaine ou fédérale, celles qui ont le plus de moyens et qui sont justement celles qui ne dépendent en rien du soviet local.
Les soviets ne disposent que de faibles ressources propres qui ne leur permettent pas d’engager d’investissements ni de travaux importants. Les budgets locaux ont même fortement diminué depuis 1945 et en 1981, les sources locales de revenus ne constituaient que 27,2% des budgets locaux consolidés (villes et oblasts) (Slider, 1986 p. 496), essentiellement l’impôt sur le revenu, auquel s’ajoute le faible flux de l’impôt sur les bénéfices des entreprises d’importance locale, de petite taille et qui sont tournés vers les biens de consommation et les services à la population.
En revanche, les soviets doivent avec ces ressources, et avec un personnel communal en nombre très insuffisant assurer le paiement de 85% des services de santé, plus de la moitié de l’éducation primaire et secondaire et 95% des services généraux de la commune. En avril 1985, deux économistes avaient proposé que les soviets puissent avoir recours à des contributions privées pour certains investissements d’ordre culturel ou sportif.116
Deux expériences ont été tentées. La première, introduite en 1957 mais activée uniquement dans les années 1970 et avec un champ d’application limitée, est celle dite du ô donneur d’ordre unique ằ qui donnait à la ville la possibilitộ de coordonner l’ensemble des projets de construction sur son territoire, de passer contrat avec les
116 Sovetskaâ Rossiâ, 12 avril 1985, cité par Slider, 1996, p. 497.
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entreprises, même si le financement venait toujours des ministères de branches. La résistance des ministères fut évidemment très forte, de même pour une autre expérience limitộe à la ville d’Orel117, celle de la ô planification continue ằ : un schộma sur deux ans qui s’ajoutait au système du commanditaire unique pour donner plus de souplesse au soviet dans la gestion des fournitures et des contrats pour les programmes de construction. Mais la double dépendance de la structure de planification locale envers le soviet et l’échelon supérieur du Gosplan, l’absence de réelle volonté du Gosplan et du Gosstrọ118 de changer leurs méthodes de planification ont provoqué l’échec de l’expérience, et même des effets inverses.
Des mesures plus directes et semble-t-il plus couronnées de succès, mais relevant du pur marchandage ont été tentées : à Riga par exemple, le soviet de la ville demanda aux entreprises de lui verser une somme d’argent pour chaque nouvelle personne engagée, afin de couvrir les dộpenses affộrentes de la ville, et menaỗant les entreprises récalcitrantes de leur couper le chauffage ou l’électricité. Une mesure plus structurelle a consisté en 1981 à faire correspondre le statut des entreprises avec leur type et leur niveau d’activité. Les entreprises fabriquant des biens d’intérêt local devaient passer sous le contrôle du soviet et ainsi lui fournir des ressources budgétaires.
Au cours des années 1980, les plaintes des dirigeants locaux concernant le fonctionnement inadéquat du soviet se sont de plus en plus fait entendre, dans les journaux notamment. Ainsi le responsable du Parti de la ville de Poti en Géorgie sur la question des transferts des ressources : ô les ministốres prennent au territoire de la ville de l’espace pour les logements et de la force de travail et ne donnent rien en retour. Est- ce juste ?…Le soviet municipal, légalement en charge de la ville, agit en fait comme un quémandeur, n’a ni les droits ni la possibilité d’agir sur l’économie du territoire qu’il contrụle. ằ119 La ville de Poti a ensuite ộtộ le lieu d’une expộrience plus fructueuse que les prộcộdentes : une autoritộ spộciale a ộtộ crộộ à Poti, ô l’Association territoriale inter- branches ằ (TMO ou Territorial’no-mejotraslevoe ob’edinenie). Il s’agissait d’une structure de coordination et de gestion pour la construction des équipements économiques et culturels, autofinancée, et comprenant 37 personnes venues des
117 Chef lieu d'oblast mais ville de moyenne importance à quelques centaines de kilomètres au sud de Moscou
118 Organisme chargé de la construction au niveau nationale avec ses branches aux échelons inférieurs comme le Gosplan.
119 Literanur'naâ Gazeta, 11 mars 1983. Cité par (Slider, 1986, p. 500)
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différents départements de l’administration et des entreprises locales. Le résultat a été cependant plus probant en termes d’accroissement des performances des entreprises locales que d’amélioration des équipements et services communaux (logements, canalisations…). Le TMO a notamment été très utile comme intermédiaire et facilitateur dans les problèmes d’approvisionnement des entreprises, rôle habituellement dévolu au Parti.
Dénombrer ou décrire ces expériences aujourd’hui n’aurait pas grand sens si l’on n’y voyait un intérêt : celui de lire ces tentatives à la lumière de ce que l’on sait maintenant de l’ộvolution ultộrieure du systốme et surtout de la faỗon dont il s’est transformộ ou maintenu dans les dernières années, et ceci dans le souci de mieux comprendre les ruptures mais aussi l’appartenance du mode de gouvernement local à un continuum de plus longue durée. La gestion des villes et des régions est confrontée aujourd’hui à l’héritage du système, aux tentatives de réformes qui ont marqué son histoire, les esprits et parfois les structures de gestion ainsi qu’à la transformation plus générale des modes de régulation locaux dont la Russie est loin d’avoir l’apanage.
CONCLUSION
A la veille de la perestrọka, Marc Ferro posait de manière provocatrice la question de la qualification du régime et de son évolution en reprenant à son compte une interrogation de K. Tchernenko : y aurait-il un excès de démocratie en URSS (Ferro, 1985) ? Il appelait ainsi à prendre en compte une réalité sociale qui résiste à une analyse dans les simples termes de la relation entre dirigeants et dirigés comme seul principe d’explication de la société soviétique. A travers la présence de zones d’autonomie multiples et fluctuantes dans les institutions sociales gravitant autour de l’appareil d’État mais ne s’y réduisant pas, à travers les marges de manœuvre plus ou moins importantes de la périphérie, il note tout au long de la période soviétique un déplacement fréquent de la frontière entre gouvernants et gouvernés. Si elle fait justice des approches se concentrant sur le sommet de l’État, cette analyse n’en conduit pas
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plus à parler de démocratie : les zones d’autonomie sont aussi autant de zone d’autocontrụle qui tộmoignent de la volontộ du systốme ô d’organiser le consensus ằ.
Les débats sur la capacité du système soviétique à se réformer ont aussi fait resurgir les dộbats sur le tsarisme et la rộvolution de 1917. Les approches ô totalitaristes ằ avancent l’idée d’un système non réformable, dans un cas comme dans l’autre, ce qui leur permet ipso facto de considérer la rupture de 1991 comme une autre révolution. On peut au contraire reconsidérer le système soviétique, non pas au prisme de la soviétologie mais dans un débat sur la sortie des régimes autoritaires, ce qui suppose que l’on soit prêt à admettre que celui-ci peut relever de modèles d’analyse généraux du changement historique. (Orlovsky, 1995). On peut aussi considérer que plusieurs types de régimes se sont succédés pendant la période soviétique, le système étant soumis à des forces de changements dans des directions incompatibles ou se bloquant mutuellement.
D’autres auteurs, à partir d’un retour à M Weber notamment, ont tenté plus récemment d’interpréter la crise des systèmes communistes à partir d’éléments internes aux logiques de domination de leurs organisations bureaucratiques et notamment de celle des partis communistes au pouvoir. Plus qu’à la crise économique, à la conjoncture internationale ou aux coups portés par des mobilisations sociétales, la fin des régimes de type soviétique pourrait s’expliquer par la tension devenue avec le temps insurmontable entre ô les exigences de contrụle politique, d’un cụtộ, et les nộcessitộs de la modernisation et de la division du travail, de l’autre ằ (Bafoil, 1998, p. 386)120. La crise du système communiste est une crise de la bureaucratie en tant que modèle de fonctionnement des organisations -entreprises, administrations ou partis politiques- illustrant la domination rationnelle et marquée par la différenciation fonctionnelle et par le passage d’une conduite privée des affaires publiques à des règles objectives. En 1918, M. Weber relève la confusion des ordres publics et privés à venir dans la gestion du pouvoir par suppression de la concurrence d’organisation ; la fin des régimes communistes amốne à s’interroger sur l’hypothốse selon laquelle ô l’imposition par l’autorité politique d’un modèle de fonctionnement bureaucratique conduit à la subversion de l’autoritộ politique par l’irrationalisme croissant des bureaux ằ.
120 En revenant sur la ô confộrence sur le socialisme ằ faite par M. Weber en 1918, dans laquelle il vise particulièrement la prise du pouvoir par les bolcheviks en Russie.
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D’une certaine manière, la thèse du pluralisme fonctionnel ou la théorie de la modernisation retournent cette hypothèse en mettant en avant la présence de processus de différenciation et la présence de sous systèmes d’action. C’est notamment l’interprétation proposée par les observateurs de la bureaucratie soviétique, particulièrement de sa périphérie, dont on a présenté supra les analyses (Th. H. Rigby, Th. Friedgut…), et qui considèrent qu’elle a été caractérisée par sa capacité d’adaptation
ô pour des acteurs contraints de trouver des solutions appropriộes et sommộs d’innover au sein d’environnements incertains ằ (Bafoil, 1998, p. 403).
M. Lewin souligne quant à lui le renversement des vecteurs du développement (Lewin, 1995, p. 63) qu’a constitué la formation du système soviétique, dans une société largement dominée par la paysannerie après la révolution. Loin d’attendre les années 30, la bureaucratisation et la transformation du Parti en appareil sont apparues dès la période de la guerre civile. La transformation sociale liée à l’industrialisation à outrance et à la collectivisation, au renforcement de la répression et de la terreur font peu à peu de la sociộtộ soviộtique une ô sociộtộ de sables mouvants ằ, qui a rompu le lien central avec le monde paysan, dispose d’une ô quasi-intelligentsia ằ, mais dont le processus de modernisation et d’urbanisation est à ô mi-parcours ằ (ibid., p.65). Le stalinisme peut aussi s’analyser comme un système qui a fondamentalement peur de la société. Celle-ci se développe pour aboutir à une société urbaine complexe qui pousse au changement face à un État bureaucratique en stagnation. De la dépendance à sens unique de la société vis à vis de l’État, va s’opérer un passage vers une dépendance de l’État, inacceptable pour le système, vis à vis de cette nouvelle réalité sociale qui prend de l’autonomie. Le régime se retourne alors contre le système qu’il a fabriqué et qu’il perỗoit comme une menace. ô Le stalinisme exprima l’incapacitộ du systốme […] à s’adapter aux changements qu’il avait lui-même promus et à contrôler les usages et les instruments de la coercition ằ (Lewin, 1987, p. 67). Paradoxe de la vulnộrabilitộ du système bureaucratique, son développement est maximum sous Staline mais il est la cible principale de la répression. L’“absolutisme bureaucratique” remporte des succès mais contient sa chute dès lors qu’il prouve son incapacité à innover et à se réformer.
Pour M. Lewin, le Parti est devenu essentiellement une agence administrative en charge des affaires de l’État, en passant d’un Parti révolutionnaire à une administration, puis devenant un secteur, un acteur parmi d’autres de la bureaucratie étatique. Dans les