CHAPITRE IV Crise de la représentation, tentatives de réinvestissement du politique-
I.1. La difficile reconstruction des assemblées locales et régionales
I.1.1. Un test du recul de la démocratie locale : les élections locales de 1994
I.1.1.3. Omsk : le contraste entre les deux scrutins de mars et octobre 1994
D’une autre manière, un ancien élu du soviet de l’oblast de 1990 tente de prolonger les principes de son action en articulant sa compétence professionnelle d’éducateur de jeunes à une activité locale au sein de la municipalité. Responsable d’un programme d’aide psychologique pour la jeunesse, il oriente son action vers la prise en compte par les instances élues des problèmes de la jeunesse et de la mise en place d’une politique de proximité, mais insiste surtout sur la nécessité de l’indépendance vis à vis des structures étatiques qui l’a motivé pour être candidat à nouveau en octobre 1994 :
ô J’ai ộtộ ộlu en 1990 avec un programme qui comprenait notamment la crộation d’un fonds concernant la politique de la famille, de l’enfance et de la jeunesse (…). Tout le monde en parle mais on ne fait rien pour, car cela n’est indispensable pour personne. Cela ne se fait pas dans les couloirs de l’administration, il faut être parmi les jeunes. Mais je suis catégoriquement contre la création d’organes administratifs spécialisés pour la jeunesse, avec des fonctionnaires qui restent assis dans leur bureau et vont ensuite décider de
472 Entretien avec Viktor Korb, député du soviet municipal entre 1990 et 1993 au Gorsoviet, ingénieur de formation et responsable d’une petite entreprise locale de marketing et publicité, 30 mars 1995.
473 Entretien avec Sergueù Bogdanovski, rộdacteur en chef de l'hebdomadaire rộgional Oreol, 22 mars 1995.
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donner quelques millions à tel ou tel sans rien connaợtre. Au lieu de cela, il faudrait faire des équipes de 2-3 personnes dans les quartiers, pour travailler avec les jeunes et non parler à leur place. Le fonds actuel a repris l’activité du comité pour le tourisme des jeunes. Mais je suis en conflit permanent avec l’administration, notamment la responsable de l’agence financière qui ne veut pas de quelqu’un d’indépendant. Or, j’ai besoin d’indépendance pour travailler, pour trouver des fonds, et je ne veux pas dépendre de la permission de l’administration. J’ai des relations datant du soviet qui me permettraient aujourd’hui de trouver des sponsors si j’étais indépendant. Comme il n’y a pas de politique globale de la jeunesse, je ne peux travailler qu’à travers des relations personnelles ; je fais en fait du lobbying auprès des différents services qui peuvent nous financer. Mais tout dépend de Polejaev, c’est le dictateur local.
Si je suis élu à l’assemblée régionale, j’aurai au moins un peu plus de poids, un statut. Si je ne suis pas ộlu, je continueraiằ474.
Lors d’un premier scrutin dans la région d’Omsk le 20 mars 1994, préparé par les seules instances exécutives sans contrôle du pouvoir représentatif, on enregistre un record d’abstention, avec moins des 25% minimum requis pour valider l’élection dans 5 des 30 circonscriptions à l’échelon régional, dans 6 des 17 à l’échelon municipal. Dans les circonscriptions rurales, les directeurs de kolkhozes et les chefs d’administration des rạony (districts, équivalents de cantons) ont été élus sans difficultés ; dans les circonscriptions urbaines ó les élections ont été validées, on retrouve aussi plusieurs chefs d’administration de districts urbains, ainsi que des notables de la ville (recteur d’un institut, médecin-chef d’un hôpital, directeur adjoint de la police pour la région, les directeurs de deux grosses usines de la ville,…).. La nouvelle Douma issue des élections du 20 mars 1994 ne pouvait pas se réunir, le quorum étant des deux tiers. Quelques semaines avant les élections régionales et municipales, le maire de la ville, Iouri Chọkhets, de plus en plus impopulaire, était limogé par B. Eltsine sur demande du gouverneur et remplacé par l’ex-adjoint de ce dernier, V. Rochtchoupkine. Cette opération, destinée à renforcer l’influence de l’administration régionale, explique que celle-ci ait été peu soucieuse d’informer et de mobiliser les électeurs pour les scrutins locaux de mars 1994. Et comme à Kalouga, le nouveau responsable municipal lui-même ne tenait pas particulièrement à cohabiter avec un nouvel organe élu. Les élections ne sont pas validées à l’échelon municipal475. L’Assemblée législative de l’oblast peut fonctionner, avec 21 élus sur 30, qui proviennent tous des arrondissements ruraux de l’oblast, ó les électeurs font encore preuve d’une forte discipline de vote et élisent comme députés les responsables du pouvoir exécutif et les directeurs de kolkhozes.
474 Entretien avec Pavel Choukhline, 22 novembre 1994.
475 9 élus sur 17, un nombre insuffisant pour que l'organe représentatif puisse se réunir.
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Cinq circonscriptions urbaines n’ont pas élu de député ; dans les autres, on retrouve les figures classiques de la période soviétique que sont le directeur de la plus grosse entreprise sur le territoire de la circonscription et le responsable administratif du district urbain (rạon)476.
Le désenchantement est à son maximum vis à vis de l’engagement politique, et ce d’autant plus que la reprise en main par le pouvoir exécutif est visible tous les jours dans la gestion des affaires locales. Selon les cas, cet état de fait satisfait ceux pour qui les soviets étaient discrédités, ou plonge dans l’amertume ceux qui considèrent avoir été trahis en octobre 1993. Ces sentiments se sont traduits à la fois par l’abstentionnisme des électeurs et par le renoncement de nombreux députés : une bonne partie ne s’est pas représentée477, d’autres l’ont fait dans un mélange de désir de revanche et d’intérêts plus immédiatement matériels478, quelques uns par conviction démocrate. Quant aux résultats, ils traduisent brutalement le changement de période. Dans chaque circonscription ú se prộsentait un ancien dộputộ qui ne soit pas un ancien ô notable ằ, et surtout quand il s’agissait d’un membre du malyù soviet, plus visible et donc plus vulnérable, il est arrivé en dernière position.
Ces remarques sont confirmées assez largement par des analyses menées pour d’autres rộgions. Une ộtude menộe sur 14 oblasts fait apparaợtre la trốs faible proportion d’anciens membres des soviets dans les nouvelles assemblées (2,2%) et l’arrivée massive des fonctionnaires d’administration, directeurs de kolkhozes et industriels, alors que disparaissent les journalistes, représentants syndicaux ou associatifs, représentants de partis (Petrov, 1994). A la différence de Kalouga, la campagne pour les élections partielles de novembre 1994 non seulement est trốs animộe, mais on y perỗoit des enjeux : on voit s’y dessiner, tant dans les réunions préélectorales que dans les résultats, les grandes lignes des recompositions politiques en cours, notamment l’importance prise par les entrepreneurs de la nouvelle génération qui veulent constituer un contre-pouvoir face au gouverneur même s’ils ne sont pas dans l’opposition, et la cohérence et
476 Le cumul des fonctions entre exécutif et législatif est autorisé s'il ne s'agit pas du même échelon de pouvoir. Ainsi, le responsable d'administration d'un quartier de la ville ne peut être candidat aux élections municipales mais il peut l'être au niveau régional.
477 Un fait objectif a freiné la candidature de nombreux députés : leur nombre est passé de 200 à 17 pour la ville, de 250 à 30 pour l'oblast.
478 Les dộputộs permanents salariộs du malyù soviet ont pu, en dộdommagement, conserver pendant un an leur salaire, à condition qu'ils se représentent aux élections de mars 1994.
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l’organisation des communistes et de leurs alliés479. (cf. infra pour la campagne de l’opposition communiste et la section II pour les entrepreneurs).