L’institutionnalisation : naissance des KTOS

Một phần của tài liệu Acteurs locaux et régionaux face aux transformations du pouvoir en russie, 1989 1999 (Trang 378 - 385)

CHAPITRE IV Crise de la représentation, tentatives de réinvestissement du politique-

III. Entre participation politique et contrôle social : des comités de quartier aux

III.1. Expộriences locales de participation politique : les ô comitộs de quartier ằ

III.1.3. L’institutionnalisation : naissance des KTOS

Après le vote de la loi sur l’auto-administration locale de 1995, les municipalités ont la possibilité de créer des structures incluant la participation des habitants à certains aspects de la gestion de leur quartier et de leur environnement. A Omsk, c’est sous la pression du conseil municipal qu’ils ont été mis en place, après une modification de la loi régionale sur l’auto-administration locale acceptée par l’assemblée législative régionale. Portant l’acronyme de KTOS613 (comité d’auto-organisation civique territoriale) à Omsk, ces structures dont la mission est de ô participer à la rộalisation des droits des habitants et à la mise en œuvre des questions de développement économique et social sur son territoire ằ614, ont donc dỷ s’inscrire dans l’organisation territoriale de l’auto-administration locale, en général auprès des arrondissements administratifs de la ville, avec un processus d’élection dans chaque quartier et la présence d’un permanent, salarié par l’administration du district.

Le responsable de l’administration du quartier présente sa vision des KTOS tout en rappelant une certaine filiation avec des structures proches qui existaient à la fin de la pộriode soviộtique : ô dans les annộes 1980, il y avait dộjà des comitộs, mais c’ộtait

613 Komitety territorial’nogo obŝestvennogo samoupravleniâ.

614 Décisions du soviet municipal n°187 du 5 juin 1996, n°261 du 19 avril 2000.

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organisé autour des députés volontaires. Il y en avait six ou huit à Omsk, dont deux dans les quartiers zaozernọ I et II du district urbain sovietski, là ó se trouve aujourd’hui un des trois nouveaux comitộs ằ615.

La fonction de relais et de ô courroie de transmission ằ est prộsente, quasi-littộralement dans les propos de ce responsable :

ô Une autre fonction des comitộs est de maintenir les liens avec les organisations sociales au niveau des quartiers. Pour nous, administration, ce qui est important, c’est l’information sur la manière dont les gens évaluent notre travail, ce qu’ils veulent, leurs demandes. En retour, les comités sont un canal pour expliquer notre politique et nos projets ằ616.

Au printemps 1997, dans le district urbain sovietski trois de ces comités avaient été créés. La comparaison s’impose bien sûr avec le comité Sécurités créé par l’entrepreneur A. Golouchko dans ce même quartier lorsqu’il était candidat dans cette circonscription en 1994. On saisit d’emblée la différence de logique entre les KTOS, principalement relais de l’administration, et l’initiative d’A. Golouchko, indépendante et privộe, au dộpart contre, ou à tout le moins ô à cụtộ ằ de l’administration. Compte tenu de relations qui se sont depuis apaisées entre le député local et l’administration, c’est sur son expérience que la municipalité a décidé de s’appuyer en choisissant justement ce quartier pour procéder à la mise en place des premiers KTOS.

ô Le district tsentralnyù compte neuf comitộs qui couvrent tout le quartier, mais c’est artificiel. On préfère en créer là ó il y a des quartiers spécifiques, ou des villages, mais pas partout. Une des bases est les responsables d’immeubles617 (par exemple pour les soubbotniki) ou les ô collectifs d’immeubles ằ. Un des comités est dans un quartier pavillonnaire et se charge de l’entretien des lieux d’habitation, des espaces verts, etc. C’est aussi une manière de faire vivre un lien en retour avec la population. Une fois par trimestre, on organise une rencontre avec les responsables d’immeubles et les comités, on a ainsi réuni 600 personnes dans une salle de cinéma. Les présidents des comités sont des permanents salariés et les responsables d’immeubles ont une réduction de moitié de leurs charges. (…) Des concerts dans les cours ont été organisés, il y a d’autres possibilités d’organiser des manifestations culturelles, des fêtes, des concours,

615 Entretien avec M. Sterligov, responsable de l'administration du district sovetskiù de la ville d'Omsk, 17 avril 199

616 Ibid.

617 Staršie po domam.

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de la plus belle maison, du plus beau balcon ou du plus beau sapin de Noởl (…!) ằ618.

En avril 1997, l’élection a lieu sous la présidence des responsables de l’administration du rạon, devant une assemblée nombreuse qui n’hésite pas à prendre la parole dans une discussion qui voit revenir les termes de responsabilité, conscience civique, jugement sur les actes,….619. Quatre personnes sont candidates : la première, une femme, veut faire du comitộ une ô assemblộe gộnộrale de citoyensằ et crộer des lieux de socialisation dans le quartier, et propose d’ouvrir les écoles le soir à des activités de rencontres et de loisirs pour les adultes, et de construire des garages à plusieurs étages pour résoudre le problème du stationnement des voitures, tout en insistant sur la nécessité de coopérer avec l’administration du quartier. Sa candidature est soutenue par plusieurs autres femmes dans la salle qui soulignent sa ténacité et sa volonté, mais malgré des critiques envers A. Golouchko - à qui l’on reproche d’avoir beaucoup promis pendant sa campagne électorale mais d’avoir peu fait ensuite - l’assistance lui préfère un des membres les plus actifs du comité Sécurités. Identifié comme un proche d’A.

Golouchko -ô c’est celui qui rộsout tout dans le quartier ằ-, son programme est en continuité avec le comité d’origine et le candidat insiste beaucoup sur les aspects d’entretien et de sécurité : amélioration des canalisations de la propreté et de l’éclairage public, création d’un poste de police supplémentaire avec patrouilles dans les cages d’escalier620. En revanche, un autre candidat, retraité des services d’entretien des immeubles et qui tente d’argumenter sur son expérience des problèmes techniques621, est unanimement huộ par l’assistance, une personne lui lanỗant depuis la salle : ô Kak vam ne stydno ?(n'avez-vous pas honte [de vous prộsenter]) ằ ?

Si la période est plus à la coopération qu’au conflit avec les autorités locales, les habitants du quartier entendent élire des personnes qui ont fait la preuve d’un travail

618 Entretien avec M Sterligov, 17 avril 1997.

619 Réunion organisée dans une école du quartier, le 16 avril 1997.

620 Ensuite, cette assemblée générale procède à l’élection des autres membres du comité : les habitants s’étaient réunis avant pour préparer et pouvaient présenter des candidats : parmi eux, un groupe présente une femme, chargộe du nettoyage dans un groupe d’immeuble, qui se prộsente elle-mờme comme ô Dvornik s vyŝem obrazovaniem ằ (concierge avec ộtudes supộrieures), avec un discours qui semble en phase avec les préoccupations du quartier, mais elle ne sera pas élue ; la présidente du club d’enfants

ô Nadezhda ằ, membre du comitộ depuis longtemps ; un chụmeur du quartier ; un prộsident de

ô condominium ằ (nouvelle structure de gestion des appartements privatisộs, sorte de syndicats de copropriété), dont l’activité est proche et complémentaire de celle du futur comité.

621 Toutes les réunions publiques sont remplies de doléances à propos des salariés de ces dom upravleniâ (bureau d’entretien), cible privilégiée des critiques et des doléances des habitants de manière générale.

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efficace et ne représentent pas la gestion passée dans ses dysfonctionnements les plus flagrants. Détail intéressant qui montre la capacité d’adaptation des responsables locaux : l’expérience du comité créé par A. Golouchko servant de modèle, la possibilité est prévue pour ces nouveaux comités plus officiels de demander aux entreprises se trouvant sur leur territoire un financement à titre de mécénat. L’entreprise Aktsya continue donc ses activités sociales et culturelles à travers les nouveaux comités municipaux : ô Nous aidons les KTOS sur les fonds propres de l’entreprise et en nature puisque l’on produit des équipements dont les quartiers ont besoin (conduites…). Il y aussi la sphère culturelle et sociale : maisons de la culture, clubs de jeunes, enfants handicapộs, si je suis ộlu je renforcerai bien sỷr cet aspect ằ622

Sergueù Kalinine, haut responsable d’Aktsya et dộputộ depuis qu’il a remplacộ A.

Golouchko à l’assemblée législative régionale quand celui-ci a été nommé vice- gouverneur, est candidat en mars 1998, toujours dans la circonscription zaozernọ. Il souligne les problèmes de recoupement de prérogatives entre les KTOS et le maillon infộrieur que constituent les comitộs d’immeubles : ô Dans la pratique, les effets sont ambigus à cause des problèmes de relations avec les comités d’immeubles, bien qu’en principe, les KTOS doivent plutôt s’occuper des espaces communs et des problèmes gộnộraux du quartier. Tout dộpend de la maniốre dont ils s’entendent ằ623.

Dans le quartier vodnikov du district pervomạski un comité de quartier a été créé en aỏt 1997 par un groupe d’habitants qui est allé démarcher l’administration :

ô J’avais l’habitude du travail social, je connaissais un peu les initiatives précédentes de KTOS (sans en avoir fait partie), j’ai discuté avec des gens du quartier et on a décidé de prendre cette initiative, qui est donc venue d’en bas.

Ensuite on a dộmarchộ tous les immeubles et organisộ une ô confộrence des habitants (skhod)ằ qui a ộlu des dộlộguộs (une à cinq personnes par immeuble).

Ensuite, la conférence a élu démocratiquement un comité de onze personnes parmi les plus actifs, puis on a rédigé des statuts. Je suis le permanent du comité, rémunéré par l’administration municipale. Au départ, on formait un seul comité avec le secteur de l’université d’agronomie, mais le territoire était trop grand et les problèmes trop différents. On a donc décidé d’avoir deux comités, mais sur des problèmes communs, on agit ensemble : les berges de l’Irtych, le problème des projets immobiliers dans le parc de l’Université, soit disant réservés aux

622 Entretien avec S.P Kalinine, le 9 mars 1998.

623 Entretien avec S.P Kalinine, le 9 mars 1998.

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enseignants, alors qu’aucun d’entre eux ne peut payer pour de tels appartements… ằ624.

Une fois mis en place, le comité prend à sa charge un certain nombre de fonctions relevant des services municipaux et constitue dans les faits l’échelon de proximité de l’auto-administration locale :

ô Dốs le dộpart, on a ộtudiộ les problốmes du quartier, de son dộveloppement, des espaces urbains, des espaces de jeux... Les services communaux ne travaillent que deux ou trois jours par semaine, même l’été, alors il faut bien que quelqu’un s’occupe de tout ce qu’il y a à faire. Le résultat, c’est qu’on a eu un hiver moins dur que l’année dernière pour les problèmes de chauffage. On a demandé à des spécialistes de nous conseiller techniquement sur les travaux et aménagements (asphalte etc.), et une partie du budget [alloué par l’administration] passe à cela. Mais ce n’est pas possible de tout faire, et l’administration nous dit qu’elle n’a pas d’argent ằ625.

Mais au delà des aspects techniques, la participation des habitants et la fonction de lien social sont également valorisées :

ô Le point positif, c’est l’augmentation de l’activitộ civique, de la participation des gens, on organise des réunions, on veut maintenant créer des comités d’immeubles en s’appuyant sur les responsables d’immeubles ou de cages d’escalier. Par exemple, avec l’arrivée du printemps, il faut nettoyer les cours, les abords, il n’y a pas d’argent du côté de la municipalité, on va donc l’organiser nous-mêmes. Ce que l’on voudrait, c’est dégager des moyens financiers pour pouvoir payer quelques personnes du quartier pour faire ce travail d’entretien et d’amélioration de l’habitat; on organise aussi des fêtes dans le quartier, pour le 23 février626 et le 8 mars: par exemple il y a un héros de l’Union soviétique dans le quartier et on ne le savait pas, on est allé le féliciter le 23 février 627

La question du financement des activités de ces comités se posait en 1997 toujours autant qu’en 1994, bien que de manière différente, puisqu’un budget est alloué par l’administration et que qu’un mécénat des entreprises présentes sur le territoire du quartier est autorisé.

624 Entretien avec les responsables du KTOS du quartier vodnikov, 10 mars 1998.

625 ibid.

626 Le 23 février était le jour de l’armée rouge pendant la période soviétique. Considéré souvent comme le pendant du 8 mars pour les hommes. Tombée en désuétude au début des années 1990, cette fête a été ensuite réactivée dans le mouvement de retour aux valeurs patriotiques pour devenir le jour de l’armée et le jour des hommes.

627 Entretien avec les responsables du KTOS du quartier vodnikov, 10 mars 1998.

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ô Il existe un fonds pour rassembler l’argent des entreprises destinộ à des actions d’aide sociale pour tous. Mais il faut réfléchir à la manière de ne pas avoir à payer d’impụts dessus en tant qu’organisation sociale628. Il faut de toutes faỗons que l’on gagne aussi de l’argent nous-mêmes. On avait eu l’idée de faire rentrer de l’argent en louant le complexe sportif de Sibzavod, aujourd’hui inutilisé.

Même en demandant beaucoup moins cher que le STK Irtych629, on pourrait demander 1 000 roubles de l’heure. Cela nous ferait 30 000 roubles par mois, ce serait une rentrée d’argent intéressante. Mais cela nous a été refusé au motif que l’usine n’est pas propriộtộ municipale ằ630.

En 2000, la ville d’Omsk comptait 68 KTOS dans tous les arrondissements, avec un principe d’élection pour quatre ans par les assemblées générales convoquées par les administrations d’arrondissement. Les membres élus du comité et son président rendent des comptes au bout de deux ans et organisent le programme d’activités, les textes, le calendrier des groupes de travail qui sont formés selon les directions données par la conférence.

En 1998, dans un contexte de contraintes financières mais de nouvelles possibilités ouvertes par le nouveau statut, les KTOS redeviennent un enjeu intéressant pour les entrepreneurs locaux candidats aux élections législatives régionales, qui en l’absence des voies classiques de la mobilisation politique (voir supra section I), s’intéressent à ces utiles relais politiques pour leur campagne électorale. Le KTOS du quartier vodnikov est situé dans la circonscription ó Alexandre Vereteno est candidat (cf.

supra) et l’on voit à l’œuvre l’intérêt mutuel du candidat et des responsables du comité :

ô Il faut maintenant que l’on aille voir les entreprises pour qu’elles nous financent; on espère beaucoup de Vereteno s’il est élu mais pour le moment, on l’aide gratuitement, pour que cela n’apparaisse pas comme des pots de vin pendant la campagne ộlectorale ằ.

En dehors de la prudence financière, les responsables du KTOS n’ont pas hésité à s’engager très activement dans la campagne : les responsables d’immeubles collent les affiches, la personne qui passe dans chaque appartement distribuer les quittances de charges distribue en même temps les tracts du candidat…

628 Référence à la législation complexe de 1995 sur les associations à but non lucratif et autres organisations sociales.

629 Le STK Irtych est la principale équipe sportive de la région, et un club de hockey très célèbre et très riche en Russie.

630 Entretien avec les responsables du KTOS du quartier vodnikov, 10 mars 1998.

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Deux ans plus tard, en mai 2000, à la faveur d’une élection partielle dans la même circonscription -A. Vereteno, élu en mars 1998, a été élu au Parlement russe en dộcembre 1999 et a abandonnộ son mandat rộgional ; son frốre aợnộ est candidat pour lui succéder avec le soutien du gouverneur- le KTOS est à nouveau mobilisé par le candidat qui montre un certaine agitation autour de la privatisation des services communaux, la réforme décrétée en 1994 par le président Eltsine et son premier ministre B. Nemtsov (voir supra chap. III) semblant se concrétiser631. Le KTOS est ici utilisé contre la mairie, sommée de s’expliquer sur cette liquidation programmée des services municipaux. Le comité organise des assemblées générales (skhody, prévues dans les statuts) qui rassemblent de nombreux habitants, et récolte dans le quartier 5000 signatures de personnes qui se disent menacées de forte augmentation de leurs charges, voire de revente frauduleuse à bas prix de leurs logements632. Tel est l’argumentaire développé par le responsable du KTOS, qui met l’accent sur le désarroi des habitants confrontés à des réformes municipales qu’ils ne comprennent pas et pour lesquelles ils n’ont pas été consultés :

ô Avant c’ộtait l’ẫtat, tout allait bien. Les gens ne s’intộressaient pas à comment ỗa fonctionnait et regardaient juste si les responsables de ces questions faisaient bien leur travail. Quand ils n’étaient pas contents, ils allaient voir le Parti.

Maintenant, les gens sont en principe propriétaires mais pas tous.

L’administration municipale a voulu passer des accords avec des entreprises privées sans demander leur avis aux habitants. On risque d’aboutir à une expropriation cachée si les gens ne peuvent plus payer les charges trop élevées car en vertu de l’accord prévu entre la mairie et les entreprises privées contractantes, celles-ci pourraient se payer en nature en récupérant 10% du parc de logement en cas de non paiement des charges. Par ailleurs, le bureau de l’inventaire (BTI) sous-évalue le parc, en fonction d’un indice qui prend la date de construction comme référence. Si les entreprises ou les administrations récupèrent des logements au décès ou au départ de quelqu’un, elles pourront ensuite le revendre ou les louer au prix du marché. Ce système risque d’enrichir les fameuses entreprises de services qui toucheraient 10%ằ633.

631 La réforme prévoit pour 2003 le passage au paiement des charges à 100% du prix cỏtant et prévoit la possibilité pour les municipalités de recourir à des entreprises privées pour la gestion des services liés au logement. Ces questions sont devenues centrales au début des années 2000.

632 L’agitation de la campagne, avec le soutien de l’administration régionale qui ne perd pas une occasion de s’opposer à la mairie, réussit à faire annuler l’arrêté municipal sur l’ouverture aux intervenants privés, mais le tribunal de la ville déclarera ensuite la procédure d’annulation illégale.

633 Entretien avec le responsable du KTOS du quartier vodnikov 22 mai 2000.

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