CHAPITRE II A la recherche du politique : des mouvements informels au renouveau
II. L’émergence des mouvements démocratiques indépendants : l’état de grâce de la démocratie locale ?
II.1. Perestrọka from below… acteurs sociaux ou politiques ?
II.1.1. Des nouveaux acteurs politiques ? Des clubs aux Partis
II.1.1.3. L’évolution du paysage politique à Omsk 1989-1991
A Omsk, le processus de démocratisation se fabrique aussi, dès 1988 dans la relation, dans la tension entre le mouvement d’ouverture des organisations locales du pouvoir et
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du Parti et les mouvements informels émergents dans la société civile et politique locale. De nombreuses initiatives apparaissent qui rejoignent les thématiques de l’écologie, de la mémoire du stalinisme et de la répression165, mais aussi des clubs de réflexion et d’électeurs. Le plus important l’Union pour l’action commune de la pérestọka, est créée en mars 1988 pour unir tous les informels : Dialogue, le Club des électeurs, le parti social-démocrate, le Front populaire, et la rédaction de Demokratitcheskij Omsk, l’expression médiatique de tous ces courants.
Comme l’ộcrit à l’ộpoque un jeune ô spectateur engagộ ằ de ces mouvements, devenu analyste politique : ô (…) L’espace des clubs doit permettre à chacun de dộterminer ses positions et ses attentes. Le développement des représentations politiques individuelles et de leur expression collective ne fait que commencer ằ166. Des relations faites de conflit mais aussi de coopération se nouent entre des membres de ces mouvements et les structures du pouvoir local encore intimement liées au Parti communiste : à propos du projet de construction d’un mộtro qui entraợne de vives protestations du cụtộ du mouvement écologiste naissant, ou des privilèges des membres du Parti. Et c’est parfois dans les colonnes du journal officiel local que s’ouvre un dialogue entre informels et communistes sur telle ou telle question concernant la vie d’un quartier, une forme de discussion qui prolonge le courrier des lecteurs, forme d’expression des mécontentements et de baromètre social très utilisé pendant la période soviétique (cf.
supra chap. I).
L’un des acteurs de l’époque, journaliste, a traversé toute la période et une bonne partie des mouvements présentés ci-après :
ô Je suis entrộ en politique en 1988 avec l’Union pour l’action commune de la pérestọka qui n’a existé que quelques mois. Les gens étaient très polarisés mais sans expérience. (…) Ensuite, le Club Dialogue a essayé de former une idéologie démocratique par des discussions, des lectures etc. Au bout de 18 mois on s’était dộbarrassộs de l’idộologie communiste. (…) ô Le ô pic ằ de l’activitộ des informels est 1990. Après les élections locales il aurait fallu créer des vrais partis politiques. DemRossia n’était pas vraiment un parti. (…) Ensuite comme beaucoup après le putsch, surtout ceux qui n’étaient pas députés, j’ai cessé mon
165 Memorial, Union écologique et sociale (SEO) …
166 Driaguin V.V., ônous sommes tous des informelsằ, dộc. 1989 Archives du centre d’ộtudes et de recherches indépendants Guepitsentr, Omsk.
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activité politique. Beaucoup sont partis dans les structures commerciales, dans les journaux ou parfois dans les administrations.167ằ.
Nous présentons ici le processus de formation progressive des mouvements politiques à Omsk entre 1989 et 1991. Le nombre élevé et la diversité des mouvements ne doit pas masquer les nombreux recoupements, regroupements et croisements entre ces mouvements et partis. Le caractère éphémère et instable qui en ressort témoigne de l’accélération du contexte politique général et local ainsi que des ajustements permanents entre les personnes et les courants. Beaucoup de ces mouvements auront disparu avant même la mise en place du nouveau régime russe ou juste après l’automne 1991168.
• En 1989, le club Dialogue soutient la candidature d’un professeur de droit sensible à la cause environnementale, Alexandre Kazannik aux élections du Congrès des députés du peuple de 1989, ainsi que celle d’A. Minjourenko, le futur leader des démocrates et représentant du président Eltsine à l’automne 1991. Puis le club est membre collectif du club Elections 90 , et du Front Populaire à partir de l’automne 1990.
• Le Club d’électeurs, créé pour les élections de 1989, rassemble différents mouvements informels et se rallie aussi au front populaire et club Elections 90.
• Le Front populaire d’Omsk : créé en décembre 1988, fait figurer à son programme l’organisation d’élections libres, la suppression de l’art. 6 de la constitution (le rôle dirigeant du Parti), le transfert de propriété aux collectifs de travailleurs, le soutien au développement des entreprises privées. Il soutient en 1990 une liste de candidats dont V. Sobolev (médecin, écologiste membre de l’Union écologique et sociale), S. Bogdanovitch (journaliste, élu député au Parlement de RSFSR). En février 1990, un meeting rassemble quelques milliers de personnes. Après les élections de 1990 en revanche, l’activité du Front est quasi-nulle.
167 Entretien avec Serguieù Bogdanovski, rộdacteur en chef de l'hebdomadaire rộgional Oreol, 22 mars 1995. Il a notamment participé à la création du Front populaire d'Omsk dont il a été le co-président et qui a porté dix élus au soviet municipal, et vingt au soviet de l'oblast en 1990. Parallèlement, il créait le journal "Demokraticheskij Omsk" dont il a été le rédacteur en chef et qui a paru avec des pauses jusque fin 1991.
168 Archives du centre d’études et de recherches indépendants Guepitsentr, Omsk.
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• L’Union écologique et sociale (SEO) est créée en mai 1989, comme branche locale d’une organisation mise en place sur tout le territoire de la Russie. Dans son programme de 1990, elle déclare soutenir le Groupe interrégional des députés démocrates élus au Congrès des députés du peuple en 1989, et défend une autonomie pour la Sibérie. Cette organisation se distingue par une activité concrète, des actions et des campagnes : contre le projet de construction d’un métro à Omsk, à propos d’une usine de retraitement de déchets toxiques, fait des mesures alternatives de la radioactivité présente dans de nombreux logements de la ville... Le groupe soutient la candidature d’A. Kazannik en 1989 et présente ses propres candidats aux élections de 1990 à tous les échelons. Elle obtient trois élus au soviet de l’oblast, un pour la ville. À l’automne 90, elle entre dans Russie Démocratique et devient un point d’appui pour des actions de propositions et de lobbying auprès des structures du pouvoir. En 1991, l’activité se ô dộpolitise ằ pour se tourner localement vers le soutien au dộveloppement des fermiers indépendants ou l’éducation à l’environnement.
• S. Babourine, qui va connaợtre une carriốre politique nationale forme le Mouvement démocratique de la jeunesse à partir de l’Université.
• Plusieurs petits ô clubs ằ (Libertộ 89, Sibộrie…) forment une ộphộmốre Union démocratique qui cesse ses activités en janvier 1991 et rejoint le parti qui va drainer la plupart des démocrates, Russie démocratique.
• Le Parti républicain, d’inspiration libérale et peu implanté au plan fédéral, se crée à Omsk en octobre 1990 en recrutant parmi d’anciens membres du Front Populaire et du Club d’électeurs, plutôt employés, retraités ou militaires.
• Au nombre des spécificités régionales, on peut citer les Cosaques de Sibérie, en concurrence avec l’Union des Cosaques présente dans d’autres régions, qui réunissent leur première assemblée autour de la notion d’appartenance territoriale commune169 en mars 90 et élisent leur Ataman en septembre, ainsi que l’Union des Allemands, qui rassemble les habitants de ô nationalitộ ằ allemande prộsents dans le district autonome d’Azovskiù qui jouxte la ville d’Omsk.
169 Zemlâčestvo.
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Fin 1990 début 1991, alors que les élections locales ont vu opérer une première entrée des courants démocrates dans les soviets, le paysage politique se structure avec :
• Russie démocratique: la plus politique des organisations et aussi la plus tardive, est créée à Omsk en octobre 1990 et comprend une fraction dans chacun des deux soviets. Elle s’est formée à partir de l’Union écologique et sociale, de l’Union démocratique, du Parti Social démocrate, du comité Sibérie, du parti démocratique, du syndicat interbranche, et même de la Confédération anarcho- syndicaliste. La formation ộdite le journal Demokratitcheskiù Omsk. A.
Minjurenko est élu coordinateur de l’organisation qui inscrit dans sa déclaration fondatrice la volonté de voir la Russie devenir un Etat de droit souverain libre et fédéral et affirme son soutien de principe à la direction russe et à son activité dans la transition vers l’économie de marché.
• Considộrộs sur la ô gauche ằ du spectre politique local, sont aussi prộsents à Omsk le Parti socialiste des travailleurs, l’Initiative populaire de gauche, le Parti populaire ô Russie libre ằ, et le Parti du Travail qui connaợtra avec son leader, l’économiste A. Smoline, une certaine popularité et postérité au cours des années 1990 et même au delà.