La vocation sộcuritaire d’une ô communautộ ằ ? les Cosaques, au croisement de la sécurité publique et privée

Một phần của tài liệu Acteurs locaux et régionaux face aux transformations du pouvoir en russie, 1989 1999 (Trang 418 - 534)

CHAPITRE IV Crise de la représentation, tentatives de réinvestissement du politique-

III.2.4. La vocation sộcuritaire d’une ô communautộ ằ ? les Cosaques, au croisement de la sécurité publique et privée

Interdits d’expression publique pendant la période soviétique, les Cosaques ont rétabli des formes d’organisation collective dès le début des années 90721, avec la création en 1990 de l’Union des Cosaques722 puis d’une profusion d’organisations locales et nationales, en concurrence pour l’obtention d’une légitimité politique auprès des pouvoirs publics723. Au-delà de l’organisation de groupes liés par une appartenance historique et des traditions, notamment militaires, les associations cosaques tentent de jouer un rôle plus opérationnel en matière de sécurité, notamment dans les zones frontières, et ont parfois noué des relations étroites avec les autorités politiques, militaires ou policières régionales, par exemple dans certaines régions du Nord Caucase724. Par ailleurs, les organisations cosaques peuvent créer des sociétés privées de sécurité et de gardiennage, ce qui constitue le moyen de financer l’organisation tout en faisant des organisations cosaques des employeurs dans le secteur de la sécurité. Ce rôle leur garantit aussi l’adhésion de nouveaux membres, pas tous, loin s’en faut,

ô d’origine ằ cosaque.

L’observation de quelques initiatives à Omsk montre une diversité des pratiques qui, une fois encore, témoigne de l’hybridation des formes publiques, privées et sociétales de la sécurité locale. A Omsk, les activités en matière de sécurité de l’organisation d’A.

S. Joukov725, militaire en retraite et ancien droujinnik, sont concentrées sur deux tâches : le gardiennage des lotissements de datchas, et la mise en place de vigiles non armés dans les écoles.

Face aux vols répétés de métal dans les lotissements (toits, haies…), notamment l’hiver, les propriétaires de datchas ont mis en œuvre diverses pratiques de sécurité : recours à la

721 En 1992, un décret du président Eltsine sur la réhabilitation des peuples réprimés pendant la période soviétique permettait aux Cosaques d’exister en tant qu’associations culturelles ou communautaires. De nombreux projets de loi ont ensuite tenté d’officialiser les organisations cosaques, les derniers en date en 1997 et au printemps 1999, mais n’ont finalement jamais vu le jour.

722 Sỏz kazakov

723 On peut lire sur ce sujet notamment Malašenko (1998), Gousseff (2003), ainsi que les documents en ligne suivants : http://www.panorama.ru:8101/works/patr/kdoc/kaz.html et http://pubs.carnegie.ru/books/1998/09am-gv/default.asp?n=toc.asp

724 Comme on l’a vu pour les détachements cosaques du Nord-caucase dans le chapitre sur les droujiny.

725 A. S. Joukov est responsable pour Omsk d’une organisation sociale cosaque (obŝestvennaâ kazatchkaâ voiska, (brigade de Sibérie), qui appartient à l'Union des Cosaques de Russie. Il est également directeur de la petite société de sécurité privée Sparta.

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police ou à l’OuVVO, rondes avec les Cosaques, gardiennage privé, auto-défense. Le plus souvent, ce sont les Cosaques à qui échoit cette tâche.

ô On commence à travailler dans les lotissements de datchas à partir d’avril, l’hiver les coopératives n’ont pas d’argent. Il y a une direction avec un secrétaire et un comptable et c’est tout… De manière générale, les propriétaires de datchas n’ont pas beaucoup de moyens à mettre dans la sécurité de leurs biens, et nous proposons des tarifs intéressants. L’OuVVO [service de gardiennage payant de la police] demande 52 roubles de l’heure (moins de 2 dollars) ; on peut assurer 8h pour ce tarif. Avec plusieurs possibilités selon ce que les gens paient. Parfois, on demande moins et en échange, la coopérative alloue une maison au gardien, c’est intéressant, surtout pour les Cosaques du Kazakhstan, qui ont dû émigrer en Russie. Parfois il y a un accord pour un groupe d’agents de sécurité, de cinq personnes. En règle générale, les agents cosaques surveillent les entrées et sorties, peuvent faire des interpellations et remettre ensuite les personnes à la police. Mais c’est difficile, on a parfois interpellé 18 personnes en un mois dans un quartier, personne n’a pour autant ộtộ inculpộ ằ726

Dans les écoles, les directeurs concluent des accords avec l’organisation cosaque pour avoir les services d’un ou de deux gardiens pendant les heures de classe727.

ô Actuellement, on travaille avec les ộcoles. De plus en plus de directeurs d’écoles et de maternelles viennent nous voir pour conclure des accords. On n’est pas un organisme d’État ; c’est moins bien, mais c’est moins cher. Pour une école, ce n’est pas la peine d’avoir des agents armés, licenciés, etc. mais c’est tout de même mieux d’avoir un homme en bonne santé qu’une grand-mère, ỗa rassure les parents, les gardiens font aussi des rondes dans le quartier autour de l’école… et puis il faut pouvoir discuter avec les parents qui ne sont pas contents d’être contrôlés à l’entrée… il faut aussi de la psychologie. Et puis les gardiens peuvent aussi repộrer les enfants à problốmes et les signaler ằ.

Les deux jeunes vigiles de l’école N°17, à peine revenus d’un service militaire accompli en partie en Tchétchénie, ne sont pas beaucoup plus âgés que les élèves de terminale.

Leur rôle semble proche de celui d’un surveillant de collège728 ; on pense même à une variante locale des ô emplois jeunes ằ franỗais, non pas tant par les fonctions prộcises qu’ils occupent dans l’école que par le sas que représente cette activité temporaire vers une activité professionnelle plus stable et par le rôle que remplit l’organisation cosaque dans leur trajectoire. Ils souhaitent tous deux obtenir la licence d’agents de sécurité et

726 Entretien avec A. S. Joukov, 16 et 19 novembre 2001, visite d’une école et de l’université d’agronomie, gardées par des membres de cette organisation, 19 novembre 2001.

727 Le tarif qui nous a été indiqué était de 50 dollars par mois. Il n’a pas été possible de déterminer si les accords mentionnés étaient de véritables contrats.

728 Ils font des rondes dans les étages, gardent les classes en l’absence des professeurs ou font des rondes sur l’ensemble du périmètre de l’école.

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A. Joukov espère pouvoir financer leur formation. Au-delà des accords avec les écoles, A. Joukov évoque un travail de prévention auprès des adolescents, et mentionne notamment un projet de camp d’été avec les Cosaques pour les jeunes en difficulté avec la maison de la culture du quartier Kirov.

A partir d’une tradition culturelle fortement militaire, les Cosaques apparaissent ici comme lieu d’accueil pour des catégories fragilisées en quête de lieux de sociabilité communautaire et de reconversion ou de formation professionnelle. ô On voit arriver beaucoup de jeunes qui ne veulent ou ne peuvent aller dans la police. On les aide à trouver du travail et en échange, ils patrouillent quelques heures par mois pour nous, sur les sites ó on travaille. Les jeunes viennent à nous par petites annonces ou par affichettes dans le voenkomat729 après la démobilisation. Que voulez-vous qu’ils fassent après deux ans à l’armée ? La plupart n’ont pas fini leurs études secondaires, il faut essayer de leur trouver des cours du soir pour terminer, afin qu’ils puissent entrer ensuite dans un institut, une école professionnelle ou bien une formation d’agent de sộcuritộ pour qu’ils obtiennent leur licence ằ.

La faible professionnalisation est compensée par des tarifs plus bas que ceux des agences privées et par un gage de respectabilité auprès de certains clients (retraités, directrices d’école…). Pourtant, les Cosaques jouent sur les deux tableaux, organisation sociale et agence professionnelle, puisqu’ils possèdent l’entreprise Sparta, une société de sộcuritộ privộe : ô elle sert à embaucher les gens, car comme organisation sociale on ne peut pas donner de travail salariộ ằ. La sociộtộ Sparta a une licence et embauche selon les besoins et selon les tarifs des agents comme simples gardiens ou bien des agents de sécurité formés, licenciés… et armés. Elle assure ainsi, avec des contrats en bonne et due forme et des agents licenciés, la sécurité de petites entreprises, commerces, des cafés de rue pendant l’été… et se pose en alternative bon marché pour tous les établissements et organisations qui ne peuvent s’offrir les services onéreux du département payant de la police (OuVVO).

Autre aspect communautaire et de socialisation, la culture militaire, le prestige de l’uniforme et des traditions qui sembleraient avoir ici des vertus thérapeutiques, notamment à l’ộgard de militaires de carriốre à la retraite : ô L’uniforme est un ộlộment

729 Commission de conscription.

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très important qui attire beaucoup de gens, notamment les officiers de l’armée ou de la police qui, à l’âge de la retraite, sont encore en forme et n’ont pas envie de ‘raccrocher’.

Sinon ils se sentiraient inutiles et la collectivité perdrait quelque chose… nous acceptons aussi les femmes. D’ailleurs deux d’entre elles, militaires en retraite, assurent la sộcuritộ de l’universitộ agricole ằ. La fonction sociale de l’organisation n’est pas dissimulộe ni les problốmes qu’elle pose : ô Il faut reconnaợtre que la pộriode de changement est difficile, les gens sont cassés, beaucoup ne vont pas bien, certains boivent, il a fallu en renvoyer car ils posaient des problốmes… ằ.

L’organisation se montre accueillante y compris pour les non-Cosaques d’origine :

ô Les gens qui viennent chez nous ne sont pas forcộment des ‘cosaques d’origine’. S’ils se déclarent tels, on leur demande de le prouver et éventuellement on se renseigne auprès des Atamans des régions historiques. Sinon ce sont des officiers, des citoyens X ou Y qui ont envie de faire partie de cette communauté, d’en adopter les traditions, tels les défilés, l’uniforme… Ils sont d’adoption en quelque sorte, mais leurs enfants seront des Cosaques730…”

Conclusion

Peut-on en conclure que l’espace de ces pratiques de participation à l’échelle micro- locale se situerait quelque part entre un recyclage de pratiques soviétiques - elles mêmes à mi-chemin entre l’initiative civique et le contrôle social - et une adaptation aux nouveaux modes de régulation dominants ? Les habitants articulent anciennes pratiques et règles nouvelles, faisant preuve selon les cas et les lieux plutôt d’une capacité d’adaptation et de projection dans un nouveau cadre de référence, ou plutôt d’un attachement et d’une réactivation de comportements acquis pendant la période soviétique. Ils rejoignent d’ailleurs en cela le comportement observé chez les

730 Aujourd’hui, sur 200 membres de l’association, 100 sont des Cosaques ô d'origine ằ. Cette question de l’identité cosaque, innée ou acquise en quelque sorte, mériterait à elle seule une recherche. Mentionnons simplement que pour la premiốre fois lors du recensement de 2002, la mention ô cosaque ằ figurait sur la liste des nationalités que pouvaient déclarer (principe d’auto-déclaration) les individus recensés.

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responsables administratifs et économiques, qui agissent en tension entre anciennes et nouvelles pratiques.

La centralité du thème de la sécurité peut nous apporter un élément de réponse. D’une part, le thème de la sécurité est certes récurrent, mais il est au départ, dans les comités de quartier, articulé avec d’autres éléments de la vie collective du quartier. Or, on constate que progressivement, il prend le dessus, mais de telle manière que ces initiatives perdent de leur capacité participative et civique initiale au profit d’une institutionnalisation dans les cadres mis en place par les autorités, et à mesure que les acteurs économiques, porteurs initiaux de ces initiatives dans une tentative de lier l’ensemble des enjeux locaux qui pouvaient se poser dans un quartier, les ont progressivement laissées de côté.

On voudrait aussi souligner la part d’illusion que contient la volonté de reconstruire

ô par en bas ằ dans un contexte ú, ô en haut ằ, le systốme politique est si peu construit.

Les expériences de participation locale à l’échelle des quartiers que nous avons observées apparaissent plus comme un palliatif que comme une base de construction.

Toute la difficulté réside alors dans la possibilité de favoriser l’initiative par en bas en n’oubliant pas que derriốre, peut se dessiner le repli, le ô chacun pour soi ằ à l’intộrieur d’un territoire, si ne se construit pas en même temps une logique de représentation qui articule cette demande de participation particulière et le souci d’exprimer et de représenter des demandes sociales plus générales.

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CONCLUSION

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Au terme de ce travail, quelles conclusions pouvons-nous tirer sur les différents aspects des transformations politiques locales et régionales depuis la fin des années 1980 ? Quel est son apport à la somme des recherches et réflexions menées sur quinze années de Russie post-soviétique ? Notre analyse devrait nous permettre de dresser un bilan de la décennie 1990 qui constitue le cœur de notre analyse, mais aussi donner des éclairages sur la période postérieure. En d’autres termes, la période que l'on a choisie d'étudier, les années quatre vingt dix, appartient-elle définitivement à un passé révolu ? Si l’on considère la période qui s'ouvre avec l’arrivée au pouvoir de V. Poutine comme une rupture, la première décennie post-soviétique devrait dans ce cas être rangée avec les transitions démocratiques qu’ont connues d’autres régimes autoritaires avant la Russie731. Nous pensons au contraire que, au-delà de ruptures institutionnelles et politiques indiscutables sur lesquelles nous reviendrons, la décennie 1990 porte en elle pour partie les évolutions ultérieures, et que la période postérieure entretient avec elle une relation de forte continuité. Nous pourrions alors dessiner une ligne de fond des transformations du politique en Russie, à l’instar des lignes de continuité que nous avons tenues à souligner entre les années 1990 et la fin de la période soviétique.

Notre travail porte en effet sur un ô moment ằ sociologique et politique, dans lequel les transformations que l’on pouvait observer à l’échelle locale et régionale étaient particulièrement pertinentes pour interroger les enjeux de la modernisation et de la démocratisation.

731 Amérique latine, Europe du Sud, voir Linz & Stepan (1996), O’Donnell & Schmitter (1991).

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Quelles logiques d’acteurs par delà les transformations du système ?

Au début de ce travail, nous étions guidée par la recherche d’acteurs politiques locaux, des conditions de leur émergence et de leur mode d’action face aux transformations politiques et institutionnelles. Nous voulions comprendre si ces acteurs étaient à même d’identifier et de se saisir des enjeux de la période qui s’ouvrait, et comment leur action pouvait s’articuler avec des transformations institutionnelles. Notre analyse devait permettre de ô tenir les deux bouts de la chaợne ằ en rendant visibles les tensions entre les acteurs et le système. Si de nombreux travaux ont traité des transformations de la politique régionale et locale en Russie et des acteurs dirigeants des régions au cours des quinze dernières années, ils se sont toutefois assez peu penchés sur les pratiques concrètes de l’exercice du pouvoir local dans ses mécanismes tant gestionnaires que participatifs ou représentatifs. Ils ont par ailleurs souvent dédaigné acteurs et pratiques

ô d’en bas ằ au profit des jeux de pouvoir au sein des ộlites, à tel point que nombre de modèles établis pour rendre compte des transformations post-soviétiques semblent ne pas prendre en compte les interactions entre ces élites et la société.

Il nous semblait au contraire que la période de transformations amorcée avec la perestrọka, même si elle devait beaucoup aux processus de réformes lancées au sommet du pouvoir, avait vu émerger des acteurs politiques, sociaux, et économiques, au sens d’individus agissant collectivement, mobilisés pour revendiquer des profondes transformations du pouvoir et, une fois que celles-ci semblent acquises en 1991, participer à la mise en place des nouvelles institutions et de nouvelles relations de pouvoir. Très rapidement, ces acteurs se trouvent eux-mêmes placés en tension entre les visions politiques générales à long terme élaborées pendant la perestrọka et la prise en charge concrète, quotidienne - via par exemple la participation aux instances élues ou à la gestion municipale - à la mise en place des nouvelles institutions et règles du jeu politique : ô tout à la fois, agir pour la formation d’un espace public et de mộcanismes démocratiques et se mouvoir à l’intérieur des premiers territoires qui préfigurent cet espace ằ (Berelowitch & Wieviorka, 1996, 29). Nous sommes assez vite parvenue à la conclusion que cette tension, loin d’être suffisamment équilibrée pour permettre aux acteurs de continuer à exister et à être porteurs d’un projet de construction d’un nouveau système politique et social, les tirait très fortement du côté des logiques gestionnaires, des jeux de pouvoirs et des conflits d’intérêts, selon des modalités souvent très voisines de celles du système soviétique.

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En d’autres termes, notre hypothèse - l’émergence d’acteurs à même de porter un projet de reconstruction sociale et politique à long terme - s’était heurtée à la force de la dộpendance du sentier (path dependence), et les ô territoires de construction ằ s’avéraient en réalité extrêmement réduits. Une fois ce constat établi, il nous fallait alors tout à la fois comprendre les logiques dominantes, voir ce qu’elles contenaient par exemple d’action modernisatrice et transformatrice, mais aussi ce qui pouvait subsister d’action politique individuelle ou collective et la manière dont cela se combinait avec les logiques dominantes.

Tout au long de ce travail, nous avons cherché à rester au plus près de ces questions et de pratiques concrètes, qu’il s’agisse de la gestion municipale, de l’investissement de l’instance législative régionale par les entreprises, ou de l’évolution des formes de participation dans les quartiers. Cela ne veut pas dire que nous ne nous soyons pas également intéressée aux acteurs dirigeants ou aux élites, puisque nous avons traité des figures du gouverneur, du maire ou des entrepreneurs. Mais ce faisant, nous avons tenté de montrer, en nous situant au carrefour des transformations institutionnelles et des pratiques, ce que l’exercice concret du pouvoir politique, qu’il s’agisse de campagne électorale mobilisant la population d’un quartier, d’action politique des entrepreneurs, de gestion des services municipaux ou de la mise en œuvre de politiques économiques et sociales, nous disait de la manière dont les différents acteurs se saisissaient de ces transformations et des enjeux qu’elles contiennent. En nous intéressant aux modalités et aux pratiques – au ô comment ằ ou au ô par quoi cela passe ằ -, l’exercice auquel nous nous sommes livrée a parfois relevé de la mise à jour d’interstices, à l’intérieur des transformations ộconomiques et institutionnelles qui faỗonnent le paysage politique régional, pour déceler l’action politique face au pouvoir de l’administration, la recherche d’autonomie ou la demande de règles face à la dépendance et au clientélisme.

Quelles sont les principales transformations, logiques d’action et évolutions que nous avons vues se mettre en place sur les trois terrains que nous avons étudiés ? D’emblée nous avions choisi de ne pas adopter une démarche comparative stricto sensu732, de ne pas chercher par exemple à savoir si telle ou telle ville serait ô plus rộformatrice ằ ou

732 Le caractère très rapide des bouleversements nous semblait peu compatible avec un travail comparatif qui suppose des situations un minimum établies ou stabilisées.

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ô moins dộmocratique ằ733 qu’une autre, mais de choisir un certain nombre de questions et d’enjeux qui nous paraissaient importants pour tenter de mieux comprendre la portée et le sens des transformations en cours dans la société et le système politique russe, et de tester nos hypothốses en allant voir ô comment cela se passait ằ dans un certain nombre de lieux qui ne concentraient pas forcément tous les mêmes questions, ni ne voyaient se développer les même pratiques. Nous avons retenu cependant des terrains hors des grandes métropoles emblématiques des réformes, comme des régions considérées comme des ô bastions soviộtiques ằ, et ú la dimension nationale/ethnique n’ộtait pas présente, pour ne pas nous retrouver face à des éléments trop particuliers mais plutôt dans une situation moyenne. C’est en ce sens que nous considérons nos terrains comme représentatifs.

Une autre question est de savoir si les enseignements que nous avons tirés de leur observation peuvent nous permettre des conclusions de portée plus générale. Ainsi que nous l’évoquions en introduction, l’objet local a ceci de particulier qu’il peut être envisagé à la fois pour lui-même, dans ses relations aux autres niveaux de pouvoir, ou pris comme un objet d’étude circonscrit dont les conclusions seraient aussi généralisables à l’ensemble du système politique. Les thèmes abordés ici, action politique, représentation et participation, mode de gestion économique et administratif, mode d’exercice du pouvoir par les dirigeants locaux et régionaux, nous semblent pouvoir en grande partie dégager des significations utiles pour la compréhension de processus plus globaux, y compris en ce qui concerne les relations entre les différents pouvoirs et l’organisation administrative.

Un certain nombre de grands traits dont on a constaté la présence dans nos trois terrains peuvent ainsi se dégager : la faiblesse de la capacité d’action de l'État au travers des institutions formelles, une absence de règles du jeu et de transparence qui laisse une place de choix aux relations informelles et aux réseaux clientélistes sur un mode parfois très proche du fonctionnement soviétique. Cette logique est parfois mise au service

733 La littérature tant russe que de langue anglaise sur les régions russes en offre de nombreux exemples, qu’il s’agisse des orientations des dirigeants ou des analyses de comportement électoral et de perception des changements par la population. Des monographies régionales autant que des études récentes comparatives montrent que l’idée consistant à assimiler selon des paramètres quantitatifs régions communistes traditionalistes et bas niveau de démocratisation d’une part, et régions ayant plutôt entamé une modernisation libérale et degré élevé de démocratisation ne résistent pas à l’analyses (cf. notamment Gel’man, Ryzhenkov, Brie, 2003).

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