Une véritable opposition politique: les nationaux-communistes à Omsk

Một phần của tài liệu Acteurs locaux et régionaux face aux transformations du pouvoir en russie, 1989 1999 (Trang 331 - 339)

CHAPITRE IV Crise de la représentation, tentatives de réinvestissement du politique-

I.1. La difficile reconstruction des assemblées locales et régionales

I.2.3. Une véritable opposition politique: les nationaux-communistes à Omsk

Comme dans la plupart des régions russes, l’opposition communiste avait connu une période difficile après l’interdiction temporaire du parti communiste par B. Eltsine en 1991 et encore plus après la dissolution des soviets à l’automne 1993. Mais elle s’est restructurée assez rapidement en 1994 et 1995 en se divisant pour former deux pôles politiquement proches mais rivaux. L’organisation régionale du KPRF, qui comptait dès

505 Parti libéral démocrate de Russie. Parti nationaliste et populiste de V. Jirinovski ayant effectué une percée spectaculaire lors des législatives de décembre 1993.

506 Réunion du Club d’électeur de Kalouga et entretien avec son représentant, 22 février 1995.

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1995 environ 10 000 membres dans la région d’Omsk et dont les principaux appuis sont les habitants des zones rurales et les salariés des entreprises du complexe militaro- industriel, s’est rapprochée des syndicats et a mené avec eux manifestations, pétitions, et piquets de grèves réguliers. Les communistes ont gagné cinq sièges à l’Assemblée législative régionale et six au soviet municipal lors des élections de mars et novembre 1994.

Un journaliste communiste, candidat pour la quatrième fois depuis 1989, battu en décembre 1993 par le général Lotkov - responsable régional du ministère de l’Intérieur, opposant aux putschistes d’aỏt 1991 et candidat de Choix de la Russie - est resté fidèle au Parti mờme s’il ộtait à l’ộpoque pour les changements et les rộformes. ô J’ai ộcrit des articles contre les privilèges, les dirigeants, ceux qui sont toujours en place, d’ailleurs.

On a eu raison de vouloir les rộformes mais maintenant on revient au Partiằ. Il affirme que seuls le LDPR et le KPRF fonctionnent comme des partis politiques, avec des candidats qui sont d’abord au service de leur parti. ô Il n’y a pas de candidats indépendants. On est toujours représentants d’intérêts. C’est de la démagogie de dire que l’on représente seulement les électeurs. Je représente aussi mon parti ; par ailleurs ma personne ne compte pas, je représente une organisation et on peut mettre n’importe qui à ma placeằ. Il dộveloppe un argumentaire caractộristique de la position communiste :

ô Pour nous, ce qui est important, c’est l’ẫtat plus que les idộes communistes. Le chemin (socialiste ou communiste) dépend en premier lieu de la politique économique de l’État. Il faut savoir dire non au processus de privatisation. La privatisation est anti-populaire. Le problème n’est pas seulement idéologique, il est de savoir pourquoi et comment on privatise, il y a des usines ici qui ont été bradées très en dessous de leur prix507 ; la compagnie qui distribue l’électricité et le chauffage forme maintenant ses propres prix, alors qu’il existe un comité anti- monopole. Il faut se battre contre au niveau local, voilà pourquoi on est dans l’opposition ằ508. Il s’estime par ailleurs victime de l’utilisation abusive par le chef d’administration régionale L. Polejaev de la ressource administrative509,

507 Il cite notamment la compagnie Aktsia d’A. Golouchko, lui-même candidat dans une autre circonscription (cf. infra dans ce chapitre les députés entrepreneurs), emblématique des jeunes entrepreneurs à la réussite fulgurante qui ont bénéficié de prix d’achat très bas grâce notamment à leur relations avec l’administration municipale.

508 Entretien avec O. Koutorguine, 20 novembre 1994. Correspondant pour Omsk du quotidien Rabočaâ Tribuna (la tribune ouvrière) et ancien adjoint du secrétaire régional du Parti et candidat communiste à l’Assemblée législative régionale de l’arrondissement Kirov (Kirovskyj rạon) de la ville d’Omsk.

509 Selon l’expression devenue très en vogue sous la présidence de V. Poutine mais qu’on emploie tout à fait volontairement pour qualifier le déroulement des campagnes électorales dans la région d’Omsk bien avant les années 2000.

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qui fait tout pour que ô son ằ candidat, Stepanov, l’emporte. ô Ce n’est pas par hasard si dans cette circonscription, il n’y a que deux candidats. En mars, j’étais arrivé premier. C’est fait exprès pour que je perde. S Babourine510 n’a pu gagner en 1993 que parce que les démocrates étaient plusieurs, sinon il aurait été battu.

Stepanov a fait sa campagne électorale en distribuant des médicaments dans les appartements ằ.

Le leader de l’opposition communiste à Omsk, Alexandre Kravets, semble très sûr de lui quand il ộvoque les succốs du KPRF dans la rộgion : ô La position des communistes est en hausse. Regardez les candidats élus en novembre [1994] à l’Assemblée législative régionale, ils ont dépensé 334 millions de roubles dans leur campagne, avec des cas ó des enveloppes avec de l’argent ont été distribuées directement aux électeurs sans parler des cadeaux : cela cỏte cher de lutter contre les communistes… Nous, on a dépensé quelques millions et on est arrivộ en seconde position ằ511.

Un autre pụle d’opposition s’est construit progressivement autour de Sergueù Babourine, natif de la région mais aux ambitions politiques nationales, et de son parti ROS (Rossijskiù Obŝenarodnyj Sỏz, Union de tout le peuple de Russie512), dont les positions sont plus idéologiques et moins ancrées dans les préoccupations régionales. En 1995, l’âpreté de la campagne pour les élections législatives nationales a mis en lumière l’ampleur de la contestation. Dans le scrutin national, on a pu remarquer la présence de figures de l’opposition toutes les trois élues pour le bloc Vlast Narodu ! (le pouvoir au peuple !) que menait au niveau national S. Babourine : Oleg Smoline, élu dès 1993 au Conseil de la Fédération et fondateur d’un petit parti, le Parti du travail qui s’est allié au bloc Vlast’ narodu ; S. Babourine lui-mờme mais aussi Sergueù Maniakine, l’ancien secrétaire du Comité régional du Parti dans les années 1970, encore très populaire dans la région et qui a opéré un retour inattendu sur la scène politique à cette occasion. Par ailleurs, la région a donné légèrement plus de voix à Guennady Ziouganov, premier secrétaire fédéral du KPRF, qu'à Boris Eltsine lors de l'élection présidentielle de

510Personnalité dont la réputation a rapidement dépassé la région d’Omsk, élu député comme représentant de cette tendance à la douma fédérale en décembre 1993.

511 Entretien avec Aleksandr Alexeevitch Kravets, 30 mars 1995.

512 Moins extrémiste que d’autres leaders nationalistes, S. Babourine emploie à dessein et dans une visée rassembleuse l’adjectif rossijskiù que l’on peut traduire par de Russie ou russien si l’on prộfốre ce nộologisme qui a le mộrite de faire la distinction d’avec russkiù pour russe au sens de l’origine nationale telle que dộfinie encore à l’ộpoque dans le passeport intộrieur. Cette fameuse ô 5ốme ligne ằ du passeport a depuis disparu mais pas la différence entre les deux adjectifs, les appels à l’identité nationale russe en opposition à l’identitộ citoyenne ô de Russie ằ se sont multipliộs, coexistant avec les rappels officiels au caractère multinational de l’État russe. Cf. Radvanyi, (2004 [1996]).

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1996513. Encore une fois, Omsk occupe une position intermédiaire entre les régions

ô lộgitimistes ằ de l'Oural et du nord de la Sibộrie et les rộgions ô rộfractaires ằde Sibérie méridionale, si l’on reprend la distinction entre trois Russie en matière de sociologie électorale (Mendras, 1993a).

Dans la région, l’opposition au gouverneur lui-même s’est manifestée à travers une campagne très virulente de Leonid Gorynine, universitaire proche de S. Babourine et candidat au poste de gouverneur. Le mécontentement a aussi gagné la population urbaine, pour qui la stabilité mise en avant passe de plus en plus pour de l’immobilisme : si le gouverneur a été élu sur l’ensemble de la région avec 60% des voix, c’est pour beaucoup grâce aux zones rurales de l’oblast et il n’a obtenu dans la ville d’Omsk qu’à peine 50% des suffrages, un rộsultat trốs confortable mais bien en deỗà de ce qu’il espérait et de ce que pouvaient laisser présager les moyens mis dans la campagne et l’absence de concurrent sérieux. Lors des élections locales et régionales de 1998, les communistes ont remporté dix sièges sur trente à l’assemblée législative et neuf sur dix- sept au soviet municipal.

En 1999, c'est l'opposition qui s’est trouvée la première prête à partir en campagne. Les députés des trois circonscriptions appartiennent à la fraction de S. Babourine et sur les listes de partis, la région a envoyé à la Douma le leader communiste régional, A.

Kravets, et un responsable du LDPR, Alekseù Jouev.

Face à cette opposition, le gouverneur n’a jamais cherché ouvertement de compromis.

Pendant la crise d’aỏt 1998, son premier discours désignait à l’avance à l’opinion les responsables d’éventuels désordres : les communistes. Ce faisant, le gouverneur a signifié clairement qu’il n’entendait nullement prendre des mesures d’exception ou mettre en place un ô gouvernement d’union rộgionale ằ qui inclurait l’opposition. Il a cependant évité la confrontation : ainsi, le plan anti-crise préparé par les députés communistes de l’assemblée régionale a été poliment examiné avant que l’administration ne dộclare qu’il ô n’ộtait pas possible de l’appliquer dans la situation actuelle ằ.

513 Respectivement 37% contre 32,8% au premier tour, 47,5% contre 46,2% au second tour.

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L’importance électorale de l’opposition repose sur des caractéristiques propres à la région d’Omsk : le renouvellement de l’équipe dirigeante du KPRF, avec A. Kravets qui représente une génération plus jeune qui ne faisait pas partie de l’élite économico- administrative de la période antérieure (il est professeur à l’institut pédagogique de l’université) ; la personnalité de S. Babourine qui donne une dimension nationale à une formation politique locale. Mais elle s’appuie aussi sur un certain nombre d’éléments communs à l’ensemble de la Russie, comme le poids de la crise économique dans une région d’industrie militaire, mais aussi sur l’absence de forces organisées des réformateurs et des libéraux. Bien que souvent critiques vis à vis de la politique du gouverneur, ces mouvances ont été incapables de construire ni forces politiques organisées ni programme ; elles se perdent en batailles internes et se renvoient la responsabilité de leur effacement de la scène politique. En témoigne par exemple le choix et le score (1,9% des voix) du candidat des partis dits démocrates à l’élection pour le poste de gouverneur en décembre 1995 : V. Zakhartchenko était l’ancien responsable du comité régional de la propriété et s’était opposé maintes fois au gouverneur dans le processus de privatisations, en en référant constamment à Moscou, au nom d’une position à la fois incorruptible et libérale (cf. supra chap. III). Il était lui-même quelques mois plus tard poursuivi pour détournement de fonds. A l’approche des élections, les formations politiques moscovites cherchent pourtant à réorganiser et unifier politiquement leurs sections régionales, souvent livrées à elles-mêmes entre deux scrutins. En 1999, le responsable local du parti démocrate Yabloko, le plus souvent dans l’opposition à la politique fédérale et au parti du pouvoir dans les régions a ainsi été limogé par la direction du parti pour avoir pris une position trop proche du gouverneur.

Il a refusé de quitter son poste et la formation de Grigori Iavlinski a dû créer une nouvelle organisation locale, aussitôt présentée comme proche de la mairie : cet exemple atteste une fois encore la quasi-impossibilité d’exister pour un espace politique autonome vis-à-vis de la polarisation directe du pouvoir régional entre le gouverneur et le maire514.

En l’absence de débat de fond sur les enjeux et l’avenir de la région, en l’absence de relais par un espace public médiatique ou par des organisations de la société civile, la

514 Par ailleurs, l'un des leaders nationaux de Iabloko, Vladimir Loukine a annoncé son intention de se présenter contre S. Babourine lors des élections législatives de décembre 1999. Lui aussi natif de la région, il compte sur cette attache pour gagner la confiance des électeurs. voir EWI Russian Regional Report, internet edition, 4 (10), 18 mars 1999.

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fonction de contestation et de critique s’est trouvée d’autant plus facilement portée par l’opposition communiste et patriote qui est la seule à tenir un discours politique.

L’hebdomadaire Vremia, tenu par le parti de S. Babourine est d’ailleurs considéré par beaucoup comme le seul journal à produire une analyse politique avec des positions claires et un point de vue que l’on peut contester, mais qui n’est pas que l’écho de prises de position systộmatiques pour l’un ou l’autre ô camp ằ, municipalitộ ou oblast.

Mais s’il s’agit d’une composante non négligeable dans la vie politique de la région, avec laquelle ses dirigeants doivent compter, notamment lors des échéances électorales nationales, il ne s’agit pas pour autant de forces organisées pour disputer aux dirigeants en place la gestion des affaires de la région. Le caractère idéologique de leur position tend à les enfermer dans une fonction protestataire. Ce positionnement est renforcé par la surenchère politique imposée aux communistes par le parti de S. Babourine : Guennady Ziouganov était en effet à Omsk quelques jours avant les élections régionales de mars 1998 pour rappeler que les communistes n’étaient pas des tièdes et qu’ils étaient tout autant dans l’opposition, malgré la surenchère radicale de S. Babourine qui tente de discréditer le Parti communiste515. Ces éléments écartent des rangs de l’opposition la plupart des dirigeants économiques de l’ancienne génération avec lesquels elle pourrait former une coalition d’intérêts qui menacerait plus directement le gouverneur, ou le forcerait au compromis. Le gouverneur fait preuve d’une grande habileté pour ne pas négliger ces responsables économiques, même s’ils ne font pas partie de son cercle proche.

A Kalouga, ó nous avons vu le retournement des mouvements qui avaient accompagné la perestrọka, on constate lors des élections locales et régionales de 1994 une progession importante de l’opposition, et notamment de Trudovạa Rossiùa (Russie ouvrière), qui a rallié le club d’électeurs avec des anciens du Parti communiste516. En 1997, les communistes et apparentés avaient 50% des sièges à l’assemblée législative régionale.

515 Meeting de Guennady Ziouganov à Omsk, 12 mars 1998. Ceci était une allusion au vote du budget à la Douma par les communistes, alors que les députés de Vlast' narodu ! s'y étaient refusés.

516 Entretien avec B. Zạtsev, Kalouga, 28 octobre 1994.

- 336 - conclusion

L’un des enjeux de la sortie du système soviétique était la conquête de mécanismes de représentation politique pluralistes. Or, on constate, et ce dès le début des années 1990, que ce sont d’autres processus qui prennent le dessus. La prégnance des questions de pouvoir et de partage des ressources économiques fait passer au second plan ces questions qui semblaient centrales à la fin des années 1980. Par ailleurs, les réformes économiques sont mises en place par ceux là mêmes qui invoquaient les principes démocratiques, selon des mécanismes qui se passent fort bien des principes du droit et de la représentation, perpétuant pour une large part, comme on l’a vu dans le précédent chapitre, des modes d’appropriation et de régulation du système soviétique.

Si l’on convient que démocratie et système représentatif sont intimement liés dans les sociétés contemporaines517, cet échec de la construction d’une démocratie reprộsentative, interroge le caractốre mờme de la dộmocratie en tant que ô systốme de médiations politiques entre l’État et les acteurs sociaux, et non un système de gestion rationnelle de la sociộtộ ằ (Touraine, 1994, 90). La reprộsentativitộ requiert l’existence d’acteurs sociaux qui portent des demandes sociales dont l’agrégation peut alors venir en correspondance avec les offres politiques, incarnées par exemple par les partis, qui permettent rapprochement et liens d’identifications entre représentants et représentés (Manin, 1996, 252). Elle se défait lorsque les acteurs politiques ne sont plus soumis aux demandes des acteurs sociaux et se dissocient de la société, soit qu’ils basculent alors du côté de l’État et de l’administration, soit qu’ils poursuivent des objectifs de pur accroissement de leur pouvoir et/ou de leurs ressources. La Russie du milieu des années 1990 semble en réalité cumuler ces deux phénomènes, tandis qu’on a le sentiment, à écouter les (ex)-acteurs politiques, que leur pensée et leur représentation du système politique évoluent entre deux conceptions assez opposées ou contradictoires.

517 Alors que rien ne le présupposait au départ, le principe de représentation étant fort éloigné de nombre de théories modernes de la démocratie (Manin, 1996).

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On peut aussi souligner que la Russie est loin d’être le seul pays dans lequel se pose le problème de la représentation politique, souvent considérée comme en crise dans nombre de démocraties occidentales (Manin, 1996). La prééminence de la logique de gestion rationnelle et la dissociation entre acteurs politiques et société a pu être notamment observé pour la France ó, face aux nouvelles élites managériales issues de la complexification du système de pouvoir local et de la décentralisation, se constitue difficilement un espace de médiation entre les citoyens et l’administration (Grémion, Muller, 1990).

Dans la section qui suit, nous allons envisager comment les enjeux de la modernisation, et notamment ceux de la modernisation économique, sont des points de vue à partir desquels il est possible d’examiner les processus de recomposition et d’engagement politique dans le système de pouvoir local et régional dans la Russie des années 1990.

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