Mandat électif, intérêt économique et action législative

Một phần của tài liệu Acteurs locaux et régionaux face aux transformations du pouvoir en russie, 1989 1999 (Trang 344 - 349)

CHAPITRE IV Crise de la représentation, tentatives de réinvestissement du politique-

II. Entrepreneur et député : des élites entre économique et politique ?

II.2. Mandat électif, intérêt économique et action législative

Trajectoires et motivations individuelles semblent dominer le scrutin de 1994, mais les évolutions du système de pouvoir dans la région ne sont pas étrangères à ce point d’inflexion. L’entrée en vigueur de la Constitution de 1993, les possibilités qu’elle semble offrir en termes d’autonomie et d’initiative législatives pour les sujets de la Fédération, la consolidation du pouvoir des gouverneurs sont autant d’éléments qui amènent l’ensemble des acteurs importants à se positionner dans les enjeux régionaux.

Par ailleurs, s’il est impossible de parler d’un parti des entrepreneurs, l’émergence de ces candidatures n’est pas que la somme de décisions individuelles : des relations, parfois de longue date, existent entre certains des candidats. Eux-mêmes n’hésitent pas à mettre en avant cet ộlộment : ô Nous avons des propositions. Nous, cela veut dire que nous sommes en contact avec d’autres entreprises. Nous avons un programme, mais on est peu nombreux. Ce n’est pas facile de communiquer ce programme à la population ằ.526 Un autre des candidats dộcrit quelques mois plus tard ces relations avec encore plus de prộcisions527 : ôJe sais que chacun de ‘nous’ a 25 ou 30 adversaires dans les groupes dirigeants de la ville (administration de l’oblast, banques, directeurs

525 Entretien le 23 mars 1995.

526 Entretien avec O. Chichov, directeur du groupe de BTP Mostavik 22 novembre 1994.

527 Entretien avec Oleg Tchertov, directeur économique de l'entreprise Omskšina (pneus), le 31 mars 1995. Oleg Tchertov a été assassiné en mars 1996.

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d'usines, police des impôts, FSK528), mais cela ne m'inquiète pas j'ai aussi des amis qui pensent comme moi dans les groupes financiers et les usines de pétrochimie. ‘Nous’?, c’est Satonkine, Chichov, A. Golouchko, bien qu’il soit d’un type un peu différent.

Stepanov, lui, est plus liộ à nos adversairesằ529.

En même temps, le contexte général est trop instable, les positions acquises trop récentes et les intérêts trop individuels pour que ces relations débouchent sur une vộritable unitộ. Ce que souligne l’un des candidats, qui relốve une autre difficultộ : ô Il n’y a pas d’unité des entrepreneurs car ce mot est trop lié au commerce. Ceux qui se sont toute leur vie occupés de produire, de construire, les proizvoditeli (producteurs) de l’ancienne gộnộration ne veulent pas s’allier avec ceux qui ne font que revendre ằ530 Lui-même, issu de la jeune génération mais à la tête d’une entreprise de travaux publics, est à la charnière de ces deux univers.

On peut aussi penser qu’après la période des premières privatisations, les acteurs économiques prennent conscience des limites que posent les arrangements informels, le fonctionnement en réseaux et l’absence de règles du jeu institutionnalisées. En d’autres termes, se passer du droit et de la représentation peut commencer à présenter plus d’inconvénients que d’avantages, ce que l’on a déjà souligné (cf. dans le chap. III à propos des privatisations). L’hypothèse la plus haute pour comprendre le sens de cette démarche collective des acteurs économiques serait de considérer qu’elle exprime au delà d’une demande de protection des intérêts individuels, une demande de droit et de règle pour l’ensemble de la collectivité. Cette hypothèse nous permet aussi de revenir sur la logique de professionnalisation du politique que nous avons souligné, à travers les juristes notamment.

Le regain d’activité et de participation observé en 1994 s’explique aussi par l’ộmergence de lignes politiques mieux dộfinies : ô Au moins, la situation est plus claire qu’en mars, il y a une vộritable opposition entre Kravets et moi ằ531. Chacun des

528 Appellation à l’époque du FSB, ex KGB.

529 C'est à dire à l'administration de l'oblast. Stepanov est en effet en 1994 le "banquier du gouverneur", c'est à dire que la banque qu'il dirige, en plus de ses activités bancaires et financières propres, fait office de Trộsor pour l'administration rộgionale, reỗoit les transferts budgộtaires de Moscou, les recettes fiscales de la région etc.

530 Entretien avec O. Chichov, 22 novembre 1994.

531 Ibid..Le candidat communiste, leader du Parti dans la région, qui fait lui aussi une campagne extrêmement active et arrivera second derrière O. Chichov.

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entrepreneurs présents dans les cinq circonscriptions doit faire face à un candidat communiste (sans compter une multitude d’autres candidats moins significatifs), dont la campagne est également très active et structurée. Ce qui oblige des candidats- entrepreneurs à prendre position sur le terrain de prédilection des communistes : la dộfense de la production et des ressources nationales : ô Aujourd’hui, il faut des patriotes, des gens qui travaillent pour la production locale, pour que l’État se préoccupe de son peuple et de sa production. Pourquoi vend-on la forêt et le pétrole et achète-t-on du beurre à l’étranger ? Alors qu’on est le pays peut-être le plus riche du monde… Je veux que les habitants de ce pays soient riches… ằ532.

On retrouve chez un autre candidat, nommé directeur économique d’une grosse entreprise quelques mois avant le scrutin, ce souci de mettre en avant la production, l’usine elle-mờme, jusque dans la conduite de la campagne ộlectorale : ô Je n’ai pas imprimé de tract, pas fait de réunion avec les électeurs. J’ai fait campagne directement dans l’usine. Les salariés m’ont fait confiance parce qu’ils savent que je peux défendre mieux les intérêts de l’entreprise à l’Assemblée législative. Je ne pensais pas que c’était la peine de rencontrer les autres habitants de la circonscription. Le dimanche des élections j’ai vu que ‘l’usine était allée voter’. Quand la classe ouvrière sort, c’est une force ộnorme… ằ533. Mais le candidat devenu dộputộ sait que cette identification trốs forte entre son mandat électif et son usine, un atout pour son élection, peut se retourner contre lui si l’usine ne se redresse pas : ô Un vieil ouvrier m’a dit : ma famille et moi on a voté pour toi ; mais attention, remonte l’usine ! Et je sais qu’eux ils ne voteront pas à nouveau pour moi s’il n’y a pas de rộsultatsằ.

Un troisième candidat s’exprime plus ouvertement sur le caractère à la fois individuel et

ô culturel ằ de sa candidature : ô C’est un trait de caractốre russe de vouloir ờtre en même temps dans les affaires et à proximité du pouvoir. Enfin je veux prouver à moi- même et aux autres que je suis capable de réussir aussi dans la politique, je suis encore jeune, j’ai du temps devant moi ằ534.

Les bénéfices directs que représente un mandat électif pour les dirigeants économiques et notamment les nouveaux entrepreneurs qui ne disposent pas d’un réseau de relations

532 Ibid.

533 Entretien avec O. Tchertov, le 31 mars 1995.

534 Entretien avec A. Golouchko, 18 novembre 1994.

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aussi bien établi que les anciens directeurs sont autant de motivations ouvertement dộclarộes : ô La politique est pour moi l’un des moyens de dộfendre mes affaires. D’une part concrètement vis à vis de l’administration ; d’autre part vis à vis de la population.

Je ne suis pas assez fort tout seul ; je dois avoir des appuis ailleurs. Il est vrai que je n’ai pas besoin en principe d’être député pour cela. Mais je veux régler directement mes affaires moi-mờme ằ535.

La position de député permet aussi de rentrer éventuellement en conflit avec l’administration et ses fonctionnaires en disposant d’une certaine lộgitimitộ : ôJe veux pouvoir m’adresser au gouverneur, pas seulement comme entrepreneur, mais aussi comme dộputộ536ằ. Les motivations peuvent ờtre encore plus conflictuelles : ô Dans les régions, la situation n’est pas à notre avantage ; l’armée des fonctionnaires locaux travaille contre nous, contre moi. Tout dộpend encore du pouvoir ằ537 La participation au pouvoir n’apparaợt pas comme une contradiction pour ceux qui se dộfinissent pourtant volontiers comme adversaires de l’État, et ils se posent en ce cas en reprộsentants de la sociộtộ contre la bureaucratie : ôL’ẫtat est un ennemi toujours et partout, toujours en conflit avec la société. Au fond, il n’a pas changé, ni dans sa composition ni dans ses pratiques ; la différence, c’est qu’en face sont apparus des gens qui reprộsentent la sociộtộ, comme moi, des personnalitộs marginales… ằ538.

Le mandat électif peut aussi permettre d’exercer une fonction législative dans l’élaboration des politiques économiques. C’est ainsi qu’un des candidats explique sa candidature : ô Pourquoi je suis candidat ? Parce que j’ai des propositions concrốtes sur quoi et comment faire ; si je suis élu, mes premières tâches seront la réforme du système fiscal, les investissements dans le secteur de la machine-outil et de l’agriculture ằ539 Quelques mois plus tard, ces pistes sont prộcisộes : ôOn a commencộ à travailler à des lois pour améliorer la situation des entreprises dans la région ; là encore l’État est un ennemi, il veut des impôts beaucoup trop élevés. Au niveau régional, ‘ils’ ont commencé à comprendre qu’il ne fallait pas en demander plus, car ils en percevaient de moins en moins et ộtouffaient la production ằ540. Un autre dộputộ analyse lucidement la

535 Ibid.

536 Ibid.

537 Entretien avec O. Tchertov, le 31 mars 1995.

538 Ibid.

539 Entretien avec O. Chichov, 22 novembre 1994.

540 Entretien avec O. Tchertov, 31 mars 1995.

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capacitộ et les limites de l’action des dộputộs : ôL’administration exerce actuellement un chantage sur les députés à cause de l’entrée en vigueur de la loi budgétaire le 1er avril, pour nous faire voter immédiatement en seconde lecture la loi. Mais c’est inadmissible. Si l’administration veut faire passer une loi il faut au moins qu’elle travaille, qu’elle prépare les députés, etc. Au moins l’Assemblée, même si elle n’est pas très compétente, a montré à l’administration qu’elle ne pouvait pas tout se permettre ằ541. Certains n’oublient pas cependant l’intộrờt de la population, notamment dans le contrôle que peuvent exercer les députés sur le processus de privatisations :

ô On a crộộ un Comitộ de la propriộtộ qui s’occupe de la privatisation, de l’intervention de l’État dans les sociétés par actions. Actuellement, il n’y a pas de mécanismes de régulation. Ce comité est de la compétence exclusive des députés, et je pense qu’à Omsk ce sera efficace. On voudrait influer sur le programme et sur la manière dont sont menées les privatisations. On a proposé des amendements en décembre dernier pour limiter la privatisation des établissements hospitaliers car on n’avait aucune garantie que cela se passe dans l’intộrờt de la population ằ542.

Des acteurs qui se situent aux confins du politique et de l’économique peuvent aussi jouer un rôle central dans les politiques régionales, notamment dans les relations complexes et souvent conflictuelles avec le centre fédéral. La présence de deux députés issus du secteur pétrolier est un atout supplémentaire dans le positionnement de l’ensemble de la région dans les restructurations industrielles et financières qui prennent forme à partir de 1995 dans toute la Russie, avec une participation active et souvent agressive des groupes financiers et industriels moscovites. ô Il y a deux dộputộs Omskchina543 dans l’Assemblée législative. L’argent doit être défendu. Des groupes financiers-industriels se développent ; Ioukos en est un exemple, représenté par moi- mờme et Satonkine à Omskằ544. Mais ce qui est une tentative d’expansion ộconomique de la région favorise aussi une forte polarisation des stratégies et la criminalisation des activités économiques : l’année 1996 sera ainsi marquée par plusieurs assassinats commandités de personnalités liées de près ou de loin à ce secteur, à commencer par celui de cet interlocuteur, le député Oleg Tchertov.

541 Entretien avec A. Golouchko, 23 mars 1995.

542 Ibid.

543 Qui représentent les intérêts de l’entreprise.

544 Entretien avec O. Tchertov, 31 mars 1995.

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L’appel à la compétence acquise par ces hommes du terrain, par ailleurs souvent diplômés d’études supérieures (Histoire médiévale à Oxford pour O. Tchertov, thèse de droit pour A. Golouchko) ne doit pas être considéré uniquement comme un discours d’image. D’une part cette compétence est réelle, elle est connue des acteurs du système administratif, avec les relations qui les accompagnent, y compris des relations à Moscou ou dans d’autres régions qui peuvent être utiles à la région en général. La région est peut être l’espace géographique favorable à ce processus, qui serait sans doute impossible ou beaucoup plus malaisé à repérer à l’échelle nationale. Ainsi, la fonction législative des députés n’est pas pure illusion, même si elle doit être relativisée par le poids du pouvoir exécutif, notamment des fonctionnaires qui, dans les différents comités de l’administration, possèdent de puissants leviers de décision comme nous l’avons montré plus haut. (cf. supra chap.III)

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