La manière dont s’est opéré le changement de pouvoir dans la ville et la région d’Omsk est emblématique de plusieurs enjeux qui se posent à cette période charnière : entre l’ancien et le nouveau système, entre Moscou et les régions, entre les instances exécutives et les soviets.
Restée l’une des dernières sans responsable d’administration en novembre 1991224, la région d’Omsk a du choisir dans l’urgence de nommer Leonid Konstantinovitch Polejaev225, pour une bonne part sous la pression de Moscou. Président en exercice du comité exécutif de la région (ispolkom), il a pendant les trois jours de la tentative de coup d’État d’aỏt 1991 gardé un prudent silence et semble faire l’objet du plus grand consensus parmi les différents responsables locaux, notamment auprès du soviet qui doit formellement valider la nomination. Une candidature alternative aurait pu être celle
224 Un arrêté du soviet suprême de RSFSR voté dès le 21 aỏt 1991 donne le droit au Président de nommer par décret les chefs d’administration régionale et locale. Voir référence en fin de bibliographie.
225 Sur L. Polejaev voir infra la partie II-2 sur les gouverneurs.
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d’Anatoliù Leontiev, prộsident du soviet de l’oblast, figure rộgionale assez populaire et qui s’était distingué par une capacité de dialogue avec les élus démocrates, mais il était trop marqué par son passé dans les instances régionales du Parti. Dans le camp démocrate, après le refus de V.O. Ispravnikov, un jeune économiste réformateur député du Soviet suprême de Russie226, d’accepter la fonction, le camp démocrate n’a personne à proposer pour la région et se rallie à la candidature de Leonid K. Polejaev (Young, 1994).
Au cours de ces quelques jours, c’est un troisième personnage, le représentant du Président dans la région d’Omsk, Nikolạ Minjourenko, député au soviet suprême de l’URSS, membre du Groupe interrégional des députés depuis 1990, nommé à ce poste par B. Eltsine en aỏt 1991, qui va jouer un rơle essentiel. Dirigée contre les conservateurs encore au pouvoir et fortement idéologique, loin d’être anodine au moment de sa création, la fonction de représentant du Président constituait un étage supplémentaire dans l’organisation des pouvoirs locaux. Sans être institutionnalisée, elle consistait à surveiller et à contrôler la bonne application, dans les régions, des décisions du centre dans un contexte d’incertitude quant aux capacités locales de résistance aux réformes227. Alors qu’à l’automne 1991, certains pensaient que cette fonction était déterminante et que les représentants allaient devenir des sortes de préfets, garants de la bonne conformité idéologique aux directives de Moscou des politiques menées dans la région, la fonction comme la personne ne semblaient plus que l’ombre de ce qu’elles étaient quelques années plus tard en 1995228. Il s’est opéré rapidement un transfert du poids politique de ces représentants, incarnant un moment spécifique et très idéologique, vers les véritables détenteurs du pouvoir, parce que détenteurs des ressources économiques et administratives : les responsables d’administration régionale.
Et si dans les premiers mois de mise en place du nouveau régime, A. Minjourenko, avocat d’un pouvoir exécutif fort, parfaite incarnation de l’orthodoxie eltsinienne et grand partisan des réformes économiques libérales, critique ouvertement, sous l’impulsion ou avec la bénédiction de Moscou, le caractère trop conservateur de
226 Celui-ci travaillera ensuite comme conseiller du président du Soviet Suprême Rouslan Khasboulatov, jusqu’à sa dissolution. En 1995, il tentera sans succès un retour à la vie politique (voir infra le début du chapitre IV).
227 Nous verrons en conclusions comment l’institution des Polpredy ou Représentants du Président institués par V. Poutine à partir de 2000 dans 7 grandes régions regroupées, reprend ce mécanisme en le renforỗant et en lui donnant des moyens d’agir.
228 On pensera à cette institution tombée en désuétude lorsque V. Poutine nommera en mai 2000 des représentants spéciaux (polpredy, cf. infra conclusion) dans sept grands districts fédéraux.
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l’équipe au pouvoir dans la région d’Omsk, c’est bien avec cette équipe menée par L.
Polejaev, soupỗonnộ de tiộdeur ou de conservatisme quelques mois auparavant, que le centre va négocier et mener à bien sa politique des réformes.
A la différence de ce changement de pouvoir très prudent au niveau de la région, l’arrivée du nouveau responsable de l’administration de la ville Iouri Chọkhets229 constitue une immense surprise et relève presque du hasard. Quelques anciens députés du soviet de la ville n’hộsitent d’ailleurs pas aujourd’hui à reconnaợtre qu’ils ont votộ pour lui sans le connaợtre, faute de mieux et parce qu’il avait une rộputation de réformateur, qu’il était jeune, et qu’il avait pris parti clairement pour B. Eltsine en aỏt 1991 en participant au comité de défense de la constitution. Surtout, il est fortement recommandé aux députés par un député du soviet suprême de Russie dans le groupe Russie démocratique, personnalité reconnue et originaire de la région. Là encore, le représentant du président a fait pression, d’autant plus qu’Omsk était toujours sans responsable en dộcembre 1991. C’est de cette maniốre que commenỗa l’administration de Iouri Chọkhets que la plupart des observateurs qualifient quelques années plus tard
ôd’onde de chocằ, et qui commence avec le limogeage de pratiquement toute l’ancienne administration municipale (ispolkom).
Deux éléments peuvent permettre de comprendre le mécanisme qui a rendu possible cette nomination-élection : l’absence d’une élite alternative constituée ; la position de démocrate ou de réformateur, surtout si elle était validée soit par une présence dans les organes élus en 1990, soit par une activité dans le commerce privé, combinée à quelques solides relations. Un ancien député du soviet municipal d’Omsk, très engagé dans les débuts de Russie démocratique, souligne le caractère exceptionnel de cette période ó la surenchère anticommuniste et les slogans des réformes tenaient lieu souvent de compétence et de professionnalisme230.
229 Ancien pilote d'essai, Iouri Chọkhets avait créé en 1987 la première coopérative de la ville et possédait autour de lui un réseau de petits et moyens entrepreneurs.
230 Entretien avec V. Korb, 30 mars 1995.
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