L’élaboration de nouvelles relations entre les instances du pouvoir ?

Một phần của tài liệu Acteurs locaux et régionaux face aux transformations du pouvoir en russie, 1989 1999 (Trang 319 - 325)

CHAPITRE IV Crise de la représentation, tentatives de réinvestissement du politique-

I.1. La difficile reconstruction des assemblées locales et régionales

I.1.2. L’élaboration de nouvelles relations entre les instances du pouvoir ?

La prééminence du pouvoir exécutif s’exerce de manière différente selon qu’il s’agit du niveau municipal ou du niveau régional, et à certaines conditions, les assemblées régionales vont pouvoir compenser leur handicap juridique et la faiblesse de leur légitimité initiale en tant qu’organe représentatif par un travail législatif. L’utilisation indifférenciée des deux termes est assez fréquente mais le terme de zakonodatelnạa vlast (pouvoir législatif) prend peu à peu le pas sur celui de predstavitelnạa vlast (pouvoir représentatif). Dans la nouvelle configuration des pouvoirs, et en dépit du flou des textes fédéraux, décrets d’octobre 1993 puis Constitution de décembre, qui laissent grande latitude à l’exécutif régional pour fixer les détails des relations entre les pouvoirs, le niveau régional se trouve en effet doté d’une véritable compétence législative, notamment celle d’élaborer une charte (Oustav) de la région, de déterminer la forme d’organisation de l’auto-administration locale et bien sûr le vote du budget de la région, qui occupe l’essentiel des débats des instances régionales (Gazier, 1994 ; Raviot, 1995b).

La capacité à utiliser ces compétences et à élaborer un véritable travail législatif dépend ensuite de chaque région ; il semble que dans le cas d’Omsk, la composition de l’Assemblée législative régionale480 comme les relations conflictuelles, mais sans confrontation systématique, qui règnent entre les deux pouvoirs permettent que s’élabore un cadre législatif, notamment autour de la fiscalité, de la législation sur les privatisations, du contrôle de l’administration dans certains domaines481. Le président de l’Assemblée élue en 1994, Vladimir Varnavski, revient sur son expérience du précédent soviet municipal dont il était le président (voir supra chap. II) pour souligner la forte perte subie par les nouvelles instances de la ville mais a contrario les possibilités nouvelles pour l’échelon régional :

479 Observée dans de nombreuses réunions préélectorales.

480 Oblastnoe zakonadel’noe sobranie.

481 Vedomosti Zakonodatel'nogo sobraniâ Omskoj oblasti, n°1,2,3, 1995.

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ô Le soviet municipal actuel est privộ de toutes les possibilitộs qu’il avait de 1990 à 1994. On travaillait en professionnel surtout avec le petit soviet. Les décisions avaient un caractère obligatoire(…). L’Assemblée régionale a plus de compétences que l’ancien soviet de l’oblast dans la mesure ó elle est habilitée à prendre des lois. Il faudra ensuite faire correspondre nos lois avec celles de Moscou. En même temps, l’influence réelle de l’Assemblée régionale sur la vie de l’oblast n’est que très limitée. La seule réelle influence est sur les finances, mais on n’a pas encore voté le budget [1995] alors qu’il est en discussion depuis trois mois. On espère le faire d’ici avril, ce sera déjà mieux qu’en 1994, ó le budget avait ộtộ votộ au mois d’aỏt ! ằ482.

A Omsk en octobre 1994, les militants politiques actifs se félicitent du simple fait que les élections aient pu se tenir, surtout au niveau municipal, mais l’un d’entre eux note que les pressions administratives ont ộtộ fortes : ô De toutes faỗons, le Maire voulait absolument que les gens aillent voter et avait donné des ordres en ce sens aux responsables d’administration des districts ằ. Sur les cinq dộputộs qui complốtent le soviet, trois sont communistes, deux libéraux -dont le responsable du comité des biens, en charge des privatisations. Une première bataille a lieu pour l’élection du président du soviet, dont la fonction est cependant très réduite, puis pour la dénomination de la nouvelle instance : douma ou soviet, représentants ou députés. Entre les communistes très attachés au terme de soviet et les libéraux partisans des termes députés et douma, le gouverneur a choisi une demi-mesure en optant pour une solution conservatrice et prudente : les nouveaux élus seront les représentants du soviet. L’un des élus réformateurs décrit une situation plutôt apaisée à l’intérieur d’une instance qui sait qu’elle a peu de pouvoir mais tente d’en tirer le maximum :

ô Les relations sont plutụt bonnes avec l’administration. On essaie de maniốre diplomatique de prendre un peu de pouvoir. Par exemple, on s’est mis d’accord sur les tarifs des transports publics. Mais pour la propriété municipale, l’administration résiste. On a voté pour un contrôle du soviet, si le maire refuse une première fois, le soviet peut revoter à la majorité des deux tiers et si le maire refuse à nouveau, alors la seule solution est de recourir à la justice. (…) Il nous arrive de voter avec les communistes. De par leur vision du monde, ce sont les plus soudés mais ils ne sont ni extrémistes ni militants. Ils sont assez capables et plutụt au centre-gauche. ằ483

Pour décrire ses relations avec le soviet, le maire d’Omsk adopte de son côté une attitude beaucoup plus pondérée que le maire de Kalouga et l’on mesure à ses propos le temps écoulé depuis la période de confrontation active entre l’administration

482 Entretien avec Vladimir Alexeevitch Varnavski, 23 mars 1995

483 Entretien avec A. Avdeùtchikov, 24 mars 1995.

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réformatrice et le soviet municipal entre 1991 et 1993. Ces nouvelles relations permettent aussi au pouvoir exécutif d’éviter de porter l’ensemble de la responsabilité des politiques engagées et de s’en dégager en partie sur les députés en jouant sur la notion de représentation :

ô Bien sỷr, c’est plus compliquộ que quand on dộcide tout seul. Mais c’est quand même mieux, par exemple pour le budget : les députés font des propositions, on peut discuter. Le pouvoir représentatif est nécessaire, on ne peut résoudre les problèmes sans lui car il représente la population (…). Si on a un projet, on commence par en parler, voir la réaction des gens, on organise des tables rondes, on essaie de convaincre. Et parfois, on corrige, on modifie nos décisions. En cela les députés nous aident beaucoup car ils sont en contact avec la population ; ils ont leur cercle d’électeurs et ils peuvent par exemple beaucoup plus librement s’exprimer dans les médias ; c’est aussi plus facile, je peux expliquer aux gens que ce sont X ou Y, députés, donc leurs représentants, qui ont pris telle ou telle dộcision ằ484.

L’ancien député militant démocrate radical et journaliste S. Bogdanovski ne croit pas quant à lui aux possibilités pour la nouvelle assemblée de changer la situation de monopole du pouvoir du gouverneur depuis 1993, monopole qu’il entend notamment exercer sur les médias écrits et audiovisuels.

ô Le nouveau pouvoir reprộsentatif n’a aucun pouvoir, il est à la botte du gouverneur. J’avais espéré une prise d’indépendance de la part des nouveaux élus à l’Assemblée législative régionale mais ils ont fait comme les autres y compris Čertov. Ils se sont retrouvés dépendants de l’administration, par exemple à l’occasion du vote du budget, pour les crédits bonifiés ou les exemptions fiscales. Et puis pourquoi rentrer en conflit avec le gouverneur dans la salle de l’assemblée législative régionale si cela signifie qu’ensuite on ne pourra plus résoudre tranquillement ses affaires dans son bureau ? Le soviet de 1990 était bien supérieur en qualité et compétence de ses membres, notamment dans le soviet restreint (malyùj sovet), les gens ộtaient intelligents et avaient des relations proches avec les ộlecteurs ằ485.

Quelques mois après le début du travail effectif de l’assemblée législative régionale, une enquête a été réalisée à sa demande sur la perception par l’opinion des députés et de l’activité de l’assemblée486. Elle fait ressortir la faible notoriété des élus. Seuls deux ou trois sont cités alors que des responsables de l’administration ou bien des députés du Parlement fédéral élus dans les circonscriptions de la région sont fréquemment

484 Entretien avec Valery Pavlovitch Rochtchoupkine le 27 mars 1995.

485 Entretien avec Sergej Bogdanovski, rédacteur en chef de l'hebdomadaire régional Oreol, 22 mars 1995.

486 Sondage d'opinion et enquête qualitative auprès de plusieurs groupes, Omsk, Gepicentr, avril 1995.

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mentionnés à la place des députés régionaux. Parmi les personnes interrogées, nombreux sont ceux qui n’ont pas votộ, soit parce que ô le vote n’a pas d’influence sur le rộsultat ằ soit parce que ô les candidats n’ộtaient pas assez dignes ằ ; d’autres regrettent leur choix. Certains affichent une opinion résolument négative en déclarant que ô moins il y a de bureaucrates, mieux c’est ằ, et que le travail de l’Assemblộe ne fait que doubler celui de l’administration. La plupart adhèrent à une conception paternaliste de l’ộlu comme de ô quelqu’un qui doit s’occuper des problốmes concrets pour nous ằ487, principalement des questions touchant à la vie quotidienne et à la sộcuritộ. Surtout, l’Assemblộe n’est pas perỗue comme une instance reprộsentative mais comme une instance de pouvoir qui devrait résoudre tel ou tel problème. L’enquête décèle cependant un groupe d’électeurs sensible à la fonction de représentation et d’expression des intộrờts de l’Assemblộe, qui reconnaợt la possibilitộ de l’existence de fractions politiques en son sein, voire de futures élections organisées partiellement avec un scrutin de liste pour l’ensemble de l’oblast. Le terme mờme de ô lộgislatif ằ n’est pas anodin et de nouvelles observations faites deux ans après le début des travaux de l’Assemblée ont permis de constater qu’il n’est pas aussi vide de sens que beaucoup l’affirmaient.

Une argumentation plus pessimiste met l’accent sur le peu d’autonomie des députés :

ô il ne leur reste que le budget ằ. Ils s’accorderaient une importance politique disproportionnée et se livrent à des batailles de commissions et d’amendements pour la répartition de sommes minimes entre la région et la ville. Un débat auquel on a pu assister en mars 1995 illustre l’ambivalence du jugement que l’on peut porter. Il concernait les exemptions d’impôt sur le patrimoine (0,8 % au lieu de 2%) payé par les entreprises à la ville en fonction de leur territoire. L’Assemblée législative est-elle lộgitime pour dộcider de ces exemptions alors que c’est la ville qui perỗoit cet impụt ? Comment ộvaluer l’attitude des ô dộputộs entrepreneurs ằ, favorables aux exemptions et les ô dộputộs fonctionnaires ằ qui viennent dộfendre les prộrogatives des organes d’auto-administration locale, les uns et les autres juges et parties ? La résolution finale du conflit, une semaine plus tard, par une ô conversation ằ entre le maire et le gouverneur reflète la limite des capacités d’action des députés mais montre en même temps que les débats ont été au moins pris en compte.

487 Quelque uns des items proposés aux personnes interrogées dans l’enquête.

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Le prộsident de cette assemblộe, A. Varnavski, en appelle à ô l’ộlaboration de rốgles du jeu qui déterminent l’ensemble des droits et des devoirs pour chaque membre de la sociộtộ et des institutions ằ488 et insiste sur le bilan positif du travail de l’assemblộe. Le vote de la Charte régionale (oustav) fin décembre 1995, après de longs mois de discussions, plusieurs projets et une résistance certaine des députés face aux amendements de l’administration qui visaient à restreindre les compétences du pouvoir reprộsentatif, est un autre exemple de la mise en place de ces mộcanismes. S’il paraợt donc difficile d’ignorer cet effort de professionnalisme dans le travail d’élaboration des lois, la fonction représentative de l’organe élu est, elle, passée au second plan.

L’élection prévue en décembre 1996 d’un contingent supplémentaire de députés régionaux au scrutin de liste semble traduire une nouvelle préoccupation : permettre une représentation plus collective des électeurs et redonner une place aux organisations politiques et sociales.

A la veille des élections de 1998, le bilan positif de l’Assemblée législative régionale est dressé conjointement par son président et par le gouverneur qui mettent en avant les 134 lois votées dont, outre l’Oustav, des lois sur la jeunesse, la santé et l’avancée du programme de reconversion489. Entre temps, certains des députés les plus frondeurs comme l’entrepreneur A. Golouchko qui est devenu vice-gouverneur, sont rentrés dans le rang. On semble s’acheminer vers un système politique de type monocentrique, avec un pouvoir exécutif et un pouvoir législatif fonctionnant sur un mode largement consensuel, mais avec un consensus équilibré ou tempéré par la présence au sein de l’assemblée de fortes personnalités dont les ressources économiques mais aussi la capacité d’action en tant que député comptent dans la vie politique régionale.

A l’échelon municipal, le soviet dispose de moins de poids que l’assemblée régionale. Il fonctionne donc plus dans une logique de représentation politique (un plus grand nombre de députés sont affiliés à un parti) et de proximité vis à vis des électeurs. L’un de ses membres explique que ô l’on essaie diplomatiquement d’obtenir quelque chose, mais on a très peu de pouvoir. Nous sommes un organe d’auto-administration locale, pas un organe du pouvoir, contrairement à l’assemblée régionale. Mais on attend

488 Varnavskij V. A., ônet stabil’nosti bez pravil igry (pas de stabilitộ dans rốgles du jeu) ằ, Rossijskaõ Federaciâ, n°23, 1995.

489 Večernyj Omsk, 1er janvier 1998.

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beaucoup de la loi sur l’auto-administration locale ằ490. Cette perception d’une trốs forte distinction, voire d’une diffộrence irrộductible entre la ô verticale du pouvoir ằ qui s’arrête au niveau de l’oblast et l’auto-administration locale est assez largement répandue, surtout en l’absence de loi fédérale sur la question. La forte minorité communiste intervient constamment sur les problèmes de la ville, par le biais notamment des commissions. Un des vice-présidents du soviet, président de la commission culturelle, fait vérifier les comptes avant de voter le budget de la culture, proteste contre la construction d’une fontaine ou la tenue d’un spectacle de prestige

ô alors qu’il y a des femmes enceintes qui n’ont pas de quoi acheter à manger et que la municipalitộ ne fait rien pour les aider ằ491. Il tient un double discours à la fois idộologique… -ô Il n’y a pas de voie moyenne. Soit on est du cụtộ de l’administration, soit on est du cụtộ des communistes et des radicaux dans l’opposition ằ- et conciliant :

ô Le maire actuel est un bon gestionnaire, il n’y a pas de confrontation majeure. De toutes faỗons il est trốs difficile d’influer sộrieusement sur la situation de la ville ằ. Le vote fin 1995 de la loi sur l’auto-administration locale puis la mise en place en 1996 de dispositions visant à impliquer la population dans les décisions relevant des compétences municipales devrait renforcer la fonction représentative des députés492. Mais le soviet municipal est aussi un atout pour le maire pour qui ô bien sỷr c’est plus compliqué que quand on décide tout seul, mais pour le budget c’est mieux, les députés font des propositions ằ493. . Le maire voit en lui un relais entre les ộlecteurs et l’administration. Enfin, le soviet est un appui pour le maire en cas d’opposition aux instances rộgionales, trốs critiquộes : ô Ils sont tous dộpendants du gouverneur ; mờme si chacun a ses propres problèmes à régler avec lui, ils préfèrent quand même ne pas être en confrontation directe ằ ; ô [le gouverneur est] un dictateur ộconomique qui fait rộgner la terreur et donne de l’argent à qui lui plaợt ằ494. Suivant cette logique, soulignộe par d’autres interlocuteurs, les chefs d’administration des cantons se feraient élire députés pour posséder un atout supplémentaire pour obtenir des crédits sur leur territoire.

490 Entretien avec Andreù Avdeùtchikov, 25 mars 1995.

491 Entretien avec Alexandre Kravets., 28 mars 1995.

492 Položenie o territorial'nom obŝestvennom samoupravlenii v gorode Omske (Arrêté concernant l’auto- administration des quartiers dans la ville d’Omsk), Večernyj Omsk, 22 juin 1996.

493 Entretien avec le maire d’Omsk, Valery Rochtchoupkine le 27 mars 1995.

494 Entretien avec A A. Kravets, le 28 mars 1995.

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I.2. Logique professionnelle versus logique politique. Démocrates ? Communistes ? Non, professionnels !

Les débats pendant les années de la perestrọka témoignent d’une certaine ambigụté sur les notions de représentation et de professionnalisation du politique. On a vu que les dernières années voire les deux dernières décennies du système soviétique avaient été marquées par l’émergence des professionnels au détriment des politiques. La frénésie électorale constatée pour tous les postes de responsabilité fonctionnelle est vécue comme une manière de compenser l’opacité et le népotisme qui régnaient jusqu’alors.

La confusion faite pendant toutes ces années entre spécialistes ou professionnels et politiques dans les représentations de la fonction trouve peut-être son origine dans ce passé récent. En 1987, B. Kerblay relève cet appel aux spécialistes dans un des journaux phares de la perestrọka : ô Le succốs de la perestrọka est aussi au prix d’une substitution des ‘activistes’ par des ‘professionnels’ ằ495.

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