Face à cette réalité, les entreprises nationales, parmi les plus petites, ont pour la plu-part choisi, soit d’impulser une réor-ganisation de leurs structures et/ou de leurs activités, s
Trang 1Stratégies de survie des
artisans-tailleurs de Douala
La libéralisation de l’activité économique en Afrique s’est traduite par une
évacua-tion pure et simple, par l’Etat, des foncévacua-tions opéraévacua-tionnelles de l’économie, et non comme un rééquilibrage de son rôle économique (Ben Hammouda, 2002) Autrement dit, en terme de stratégie de développement économique, la libéralisation, par ailleurs imposée par les institutions financières internationales, rétrécit la marge de manœuvre
de l’Etat sur le terrain économique, en le confinant dans le rôle d’un observateur, relativement impuissant, face au déploiement d’un secteur privé davantage conqué-rant
La levée des barrières1, à l’entrée des
marchés nationaux, a installé les
acteurs dans un contexte de
compéti-tion, malheureusement pas toujours
favorable aux nationaux Face à cette
réalité, les entreprises nationales,
parmi les plus petites, ont pour la
plu-part choisi, soit d’impulser une
réor-ganisation de leurs structures et/ou de
leurs activités, soit alors de fermer
Dans un cas comme dans l’autre cela
s’est traduit, le plus souvent, par des pertes d’emplois importantes Les exi-gences et l’instinct de survie, combi-nés avec l’ouverture du marché des biens primaires et de première néces-sité notamment, ont conduit des anciens employés déflatés et d’autres nationaux, provenant des campagnes parfois, et candidats à un premier emploi, à «s’investir» dans la création
de petites unités de production Aujourd’hui, les licenciements de per-sonnel, l’arrivée massive de diplômés
à la recherche du premier emploi, l’exode rural, dans un contexte de reprise économique malheureusement timide, sont autant de facteurs de déséquilibre du marché du travail qui, devant la faiblesse de la demande de
2 François-Xavier Onana, Assistant à l’ENSET,
Université de Douala, Cameroun Chercheur Associé au CREGE, Université Montesquieu, Bordeaux 4, France.
1 2
1 Dans le contexte particulier du Cameroun,
la levée de barrières à l’entrée du marché
national se traduit par des aménagements du
code des investissements, l’adoption de
me-sures d’assouplissement au plan fiscal, la
ratifi-cation du traité OHADA, qui consacre la
créa-tion d’un espace juridique unique pour les Etats
membres, avec à la clé, une harmonisation du
droit des affaires, dans un espace économique
régional de plus en plus dynamique et
com-plexe
Trang 2travail institutionnelle2, ont fini par
faire, de l’auto-emploi, la réponse
ulti-me à la montée du chômage urbain
Les artisans (vanniers, couturiers,
for-gerons, pousseurs, piqueurs,
fabri-cants de cantines, meuniers….), les
commerçants ambulants, les bayam
sel-lam3… représentent, dans leur statut, la
diversité des acteurs générés par la
libé-ralisation de l’économie nationale
Le secteur de la petite couture, qui
représente le cadre de cette étude, n’a
pas échappé aux implications de cette
libéralisation, tout du moins pour ce
qui est du volet habillement En effet,
l’offre des produits vestimentaires est
quasiment dominée par l’entrée
massi-ve, sur le marché national, de
vête-ments de seconde main ou d’occasion,
appelés vulgairement «friperie», et par
ailleurs très compétitifs Une
compétiti-vité qui, semble-t-il, tire son essence
dans la qualité et surtout dans le prix
des produits proposés; des raisons
auxquelles on peut ajouter la baisse du
pouvoir d’achat des consommateurs,
consubstantielle à la baisse des
salaires et à la dévaluation du franc
CFA de janvier 1994 En face, il y a
des petits tailleurs artisans de diverses
nationalités, mais avec une présence
relativement importante des
ressortis-sants de l’Afrique de l’ouest (Sénégal,
notamment), et dont l’activité consiste
en la fabrication de modèles et la
confection sur mesure de vêtements
L’intérêt de ce travail, qui lui-même
s’inscrit dans la problématique de la
lutte contre la pauvreté, engagée par
le gouvernement camerounais depuis
recherche à laquelle nous nous sommes assignés à faire ressortir les stratégies de développement et de pérennisation utilisées par ces coutu-riers, dans un contexte qui ne leur
lais-se aucune chance de survie
A priori, les artisans-tailleurs font face
à de nombreuses difficultés en termes
de financement de leurs activités : accès au crédit bancaire, formation, accès aux matières premières, posi-tionnement sur le marché, précarité statutaire vis-à-vis de l’administration compte tenu de leur informalité, des attitudes managériales pas toujours en phase avec l’orthodoxie…, un ensem-ble de difficultés qui ne leur laisse aucune chance devant le développe-ment du commerce des vêtedéveloppe-ments de la friperie Pourtant, le développement des activités des tailleurs artisans est grandissant dans la ville de Douala La présence d’un nombre de plus en plus important d’ateliers de couture, malgré
le contexte de compétition, au-delà de
la confirmation de la thèse qu’elle
éta-2 Nous appelons demande de travail
institu-tionnelle, la demande de travail provenant de la
fonction publique et des entreprises des secteurs privé et public officiels.
3 Les ‘bayam sellam’ désignent cette catégo-ris de commerçants opérant dans le secteur informel, et dont l’activité consiste à acheter des produits, généralement de première nécessité, pour les revendre en l’état C’est une déclinai-son locale de to buy and to sell Il s’agit donc
de petits commerçants du secteur informel.
Trang 3blit sur le triomphe du secteur informel
sur les entreprises modernes africaines
(privées et publiques) décadentes
(Hernandez, 1999)5, nous conduit à
nous interroger sur les causes ou les
facteurs qui justifient cette
«résistan-ce» Autrement dit, comment
procè-dent ces artisans-tailleurs pour
mainte-nir leurs activités en vie, alors que les
conditions du marché leur sont
défavo-rables ?
Des travaux consacrés à l’entreprise
informelle africaine, dans une
ap-proche globale, ont présenté les
parti-cularité de cette catégorie
d’entrepri-ses du point de vue du comportement
des principaux acteurs (les
entrepre-neurs); ainsi que leurs stratégies
mar-keting, financières et comptables,
no-tamment L’objet de cette étude est de
mettre en évidence les facteurs-clés de
succès des artisans-tailleurs dans un
contexte de libéralisation, et de les
expliquer au-delà des modèles issus
des théories traditionnelles de
l’entre-prise L’intérêt de l’étude est de mettre
en relief l’état des relations, entre deux
secteurs quasiment informels, et offrant
des produits substituables Les
artisans-tailleurs, aux activités industrielles
em-bryonnaires et les acteurs de la
fripe-rie, qui s’inscrivent au 6ème rang, en
termes d’importations nationales, après les véhicules, les pièces détachées, le fer
et la fonte, le riz, les véhicules lourds (Douanes camerounaises, 2003)
Pour arriver à cette fin, une méthodo-logie empirique quantitative et essen-tiellement descriptive, pour ce premier travail, a été mise sur pied à travers un questionnaire de 19 points, élaboré et administré par les auteurs auprès de
110 tailleurs exerçant tous au marché congo Le choix de ce marché a été motivé par son importance en terme
de négoce dans la ville de Douala, et surtout parce qu’il regroupe la quasi totalité des artisans du textile d’ori-gines diverses opérant à Douala (Ca-merounais, Nigérians, Maliens, Séné-galais, Nigériens…) Le choix des tail-leurs, quant à lui, s’est fait de manière aléatoire en raison de l’incomplétude
du fichier des artisans, disponible au niveau du service provincial du déve-loppement industriel et commercial du littoral L’enquête s’est déroulée sur une période de quatre mois (avril, mai, juin
et juillet 2003) A l’aide du logiciel SPSS, le traitement de données collec-tées s’est limité aux tris à plat
Cela dit, l’article comporte deux par-ties : la première partie est intitulée les caractéristiques de l’artisan-tailleur et propose une analyse des caractéris-tiques de cet acteur, du point de vue
de sa formation, de ses origines et de son comportement organisationnel La seconde partie, quant à elle, tente de
5 Dans une étude consacrée aux aspects
financiers et comptables de l’entreprise
infor-melle africaine, Hernandez (1997) constate
que les entreprises africaines modernes
(publiques et privées) rencontrent de grandes
difficultés alors que celles relevant du secteur
informel résistent à la crise et se multiplient,
elles constituent par ailleurs la principale source
d’emploi pour les populations locales.
Trang 4formaliser les stratégies observées sur
le terrain, et qui expliquent le
dévelop-pement et la pérennisation de cette
activité, en dépit des contraintes de la
libéralisation et de la concurrence
Caractéristiques de
l’artisan-tailleur
Le secteur de la petite couture se
sin-gularise par des spécificités relatives
au profil de formation et d’origine des
tailleurs, à leur comportement
mana-gérial particulier, ainsi qu’à la
dimen-sion généralement réduite de leurs
uni-tés de production
Le profil d’origine et de
formation des acteurs
Les artisans-tailleurs interviewés sont
constitués de 71 hommes et de 39
femmes On peut s’étonner de la
rela-tion inversement proporrela-tionnelle entre
le nombre de femmes qui achètent les
produits issus de cette activité, et le
nombre de femmes chefs d’atelier, soit
à titre de propriétaire, de dirigeante
uniquement, ou alors en qualité de
propriétaire dirigeante La faible
représentativité des femmes dans le
métier, par rapport aux hommes, tient
beaucoup plus aux contraintes du
métier, qui exigent notamment une
pré-sence permanente du maître-tailleur
En effet, pour les clients réels et
poten-tiels, la disponibilité permanente du
tailleur constitue un facteur intangible
de confiance et d’assurance par rap-port à la qualité de l’offre C’est une aptitude qui n’est pas toujours à la por-tée des femmes, en raison de leur trop grande implication dans des activités
du ménage, et l’éducation des enfants, notamment A cette limite, en terme d’incompatibilité des tâches, il faut ajouter le poids de la tradition
africai-ne Il s’agit en général d’une tradition patriarcale, qui consacre le ménage et
le champ comme le principal espace d’expression de la femme, confinée ainsi à l’exercice des activités cham-pêtres
Cela dit, les artisans-tailleurs interro-gés se situent en majorité dans la tranche d’âge 20-40 ans (74.55%) et 41-55 ans (21.82%) Un seul artisan tailleur a moins de 20 ans On peut percevoir ici l’exigence de maturité qu’impose l’exercice de ce métier, et par conséquent, l’influence du nombre d’années d’apprentissage (5 ans en moyenne) sur l’âge du tailleur qui entre
en activité pour son propre compte Par ailleurs, le métier accueille des individus généralement en situation sociale précaire et forcément en quête
de survie (immigrés, déflatés, jeunes
en déperdition scolaire)
Comme l’illustre la figure 1, la
profes-sion est dominée par les nationaux (68%), suivis des Sénégalais (20%) Les Maliens et les Nigérians occupent une place moins significative
Trang 5La percée des tailleurs d’origine
séné-galaise tient beaucoup plus aux prix
des vêtements proposés, mais surtout à
la qualité du style particulier de leurs
modèles, de loin le plus apprécié des
consommateurs, en majorité des
fem-mes On peut aussi ajouter, au rang
des facteurs de succès de la marque
sénégalaise, l’effet de la non moins
importante demande provenant de la
communauté des ressortissants de
l’Afrique de l’Ouest La culture
d’origi-ne des ressortissants de l’Afrique de
l’Ouest les conduit nécessairement à
s’intéresser aux vêtements que
confec-tionnent les artisans ressortissants de
leur région d’origine, et ce, dans
l’es-prit de l’art et de la tradition dont ils
sont imprégnés
Par rapport à la formation des
arti-sans, il apparaît que le certificat
d’étu-des primaires élémentaires (CEPE) est
le diplôme le plus élevé détenu par les
acteurs (75.45%), 26 tailleurs
seule-ment ayant fait des écoles de
tion post-primaires (centres de
forma-tion), du niveau secondaire technique
Les artisans-tailleurs sont en majorité les premiers enfants dans leur famille
de naissance 76 artisans (69.09%) occupent au plus le troisième rang dans la fratrie, au niveau de la famille
de naissance Ici apparaissent claire-ment les implications des stratégies de survie propres aux familles africaines d’origine modeste En effet, les condi-tions de vie précaires et les exigences traditionnelles de solidarité, poussent les premiers enfants des familles pauvres à abandonner précocement les études et à entrer dans la vie active jeunes, et très souvent, en se mettant à leur propre compte L’objectif ici étant
de seconder les parents dans l’enca-drement des cadets A priori, Il s’agit d’un investissement humain dans l’ave-nir des cadets, avec pour contrepartie directe, le sacrifice de la formation de l’aîné Mais le référentiel du comporte-ment de l’aîné, par rapport à
l’exerci-ce de son rôle d’aîné, se trouve dans
le système du potlatch, implicitement partagé par tous, dans le strict respect des principes de vie, qu’impose la so-ciété traditionnelle africaine
Figure 1 : Répartition des artisans-tailleurs par nationalités
nationalité des tailleurs
5%
7%
20%
68%
Trang 6Les sacrifices que consent l’aîné, en
contribuant ainsi à l’encadrement de
ses cadets, sont capitalisés au
bénéfi-ce de la progéniture du premier, dans
l’encadrement de laquelle, les cadets
d’aujourd’hui, le relayeront plus tard
Les exigences de survie contraignent
les acteurs, issus généralement des
milieux défavorisés, à entrer dans la
vie active Mais on ne peut pas
négli-ger l’influence des motivations et du
contexte social et culturel
(l’environne-ment, la formation, l’origine ethnique
ou la nationalité) de leur existence, et
qui conditionnent nécessairement leur
comportement
La figure 2 présente les principaux
fac-teurs qui déterminent les acfac-teurs dans
le choix de la profession
40 artisans tailleurs (38%) justifient
leur présence, dans cette profession,
par l’amour qu’ils en expriment 32
artisans (29%) quant à eux, ont été
précédés dans cette profession par
leur parents Au total, 67% de
tailleurs-artisans confirment l’horizon cognitif restreint, ou l’image mentale étroite, qu’on semble attribuer aux acteurs économiques issus de milieux défavori-sés et sous-scolaridéfavori-sés, relativement à leurs perspectives d’avenir
Un comportement managérial adapté
Les confections artisanales relèvent du secteur informel Elles échappent aux règles de l’administration, en terme de déclaration et de paiement des impôts,
et en matière de traitement salarial et
de couverture sociale du personnel employé Comme les autres opérateurs économiques relevant du secteur infor-mel, les artisans-tailleurs sont exclus des circuits de financements institution-nels La vocation des banques locales (banques commerciales) et la faible garantie qu’offre la surface financière des artisans-tailleurs ne laissent, à ces derniers, que les voies non formelles, dans leurs éventuelles recherches de moyens de financement
héritage recommandation formation à l'école
amour pour la profession parent tailleur
Figure 2 : Déterminants du choix de la profession
Trang 7La figure 3 présente les types de moyens
employés par ces acteurs, pour faire face
à leurs problèmes de financement, tant
au moment de la création que pendant le
déroulement de leur activité
L’épargne personnelle des tailleurs et
l’aide de la famille ou des amis,
consti-tuent des sources de financement
essentielles de leurs activités Le
finan-cement endogène (52%) et le
finance-ment informel (45%), constituent donc
la règle dans ce secteur, et le
finance-ment bancaire institutionnel,
l’excep-tion On rejoint ici la thèse de Lelart
(1995) sur l’incompatibilité de la
men-talité des entrepreneurs informels avec
le crédit bancaire Ce dernier étant le
plus souvent inadapté à leurs besoins
Pour ces artisans, les deux types de
financement présentent un grand
nombre d’avantages, en termes de
cỏt d’accès, de cỏt d’usage et
sur-tout de couverture sociale
Le cỏt d’accès représente le cỏt induit par les formalités à remplir préa-lablement à l’octroi du crédit Au niveau de la banque institutionnelle, ces formalités représentent globale-ment le montage du dossier de crédit, avec la production de toutes les garan-ties requises Dans le circuit informel,
le cỏt d’accès est quasiment nul En effet, non seulement les formalités à remplir ici se réduisent essentiellement
à l’inscription comme membre de la tontine; la régularité dans les verse-ments, à l’occasion de chaque tour de gain, suffit à construire la confiance, qui constitue, en réalité, l’unique ga-rantie de motivation, conduisant cha-que membre à effectuer son versement
au bénéfice d’un autre membre
Le cỏt d’usage quant à lui représente
le prix du service que constitue globa-lement le déblocage du crédit Dans les transactions financières formelles,
le cỏt d’usage s’exprime en termes de frais financiers induits par la mobilisa-tion des fonds; c’est l’intérêt6 et les autres commissions attelées à l’opéra-tion Dans le contexte informel, le cỏt
45%
3%
52%
Figure 3 : Sources de financement des tailleurs
6 La pratique de l’intérêt apparaỵt dans la
tontine dès lors qu’il y a demande de crédit de
la part d’un membre, mais au bout du compte
la dimension communautaire triomphe, puisque
l’intérêt a un caractère amphibologique pour le
membre C’est une charge au moment de
l’em-prunt et un produit en fin d’année, lors du
par-tage des dépơts capitalisés à la banque
Trang 8d’usage est nul Il n’y a pas d’intérêt à
payer pour les tontines simples Pour
les tontines commerciales, la somme
cotisée par les tontiniers est mise aux
enchères et vendue nécessairement au
plus offrant La prime d’adjudication
représente la différence entre le
mon-tant total cotisé par l’ensemble des
membres et le montant adjugé A
pre-mière vue, cette prime d’adjudication
peut être considérée comme le cỏt
d’usage, mais elle est reversée, dans
une logique de capitalisation, dans la
caisse de la tontine, sur un compte
ouvert généralement à la banque Au
bout du compte et généralement en fin
d’année, cette prime est reversée aux
différents membres de la tontine7, au
prorata de leurs différentes mises
Par rapport à la couverture sociale, la
tontine, malgré ses nouvelles
configu-rations actuelles, imposées par la
nécessité de répondre aux besoins de
plus en plus divers et complexes des
membres, tire son origine des
straté-gies de survie développées dans le
contexte des sociétés traditionnelles
africaines «L’union fait la force», «une
seule main ne saurait faire un paquet»,
voilà quelques adages qui traduisent
la profondeur de la sagesse africaine,
et surtout l’importante place qu’occupe
la solidarité dans l’organisation
socia-le En fait, autant il est difficile de
s’épanouir dans les affaires, en
opé-rant hors du système communautaire
que symbolise financièrement la
tonti-ne, autant la même tontine sait
consti-tuer une réponse salutaire et efficace pour les différents membres en situa-tion de détresse (maladie, décès d’un parent,…), ou bien lorsqu’ils se retrou-vent au centre de certaines réjouis-sances (mariage, naissance, funérail-les…) A ce moment, pour chaque mem-bre, les autres tontiniers constituent, cha-cun, un tiroir de secours au même titre que les autres membres de la famille d’origine Au total, la tontine, quelle qu’en soit la forme, offre un cordon de sécurité sociale à chacun de ses adhé-rents Un avantage financièrement hors
de portée dans le contexte du circuit financier officiel
Des unités de production de taille réduite
Les artisans-tailleurs évoluent dans un contexte global extrêmement compéti-tif Ils doivent partager la demande des produits vestimentaires avec les vendeurs de vêtements de seconde main Cette demande provient majori-tairement des couches sociales à faibles revenus, mais aussi des milieux moyens et parfois même plus Les pro-duits de seconde main, la friperie, se singularisent, nous l’avons signalé plus haut, par une qualité exigeante, en terme de design8 et des prix relative-ment bas Des facteurs-clés de succès qui, a priori, ne laissent pas de
chan-ce aux tailleurs Dans la réalité, c’est
7 La mise, ici, désigne le montant offert par chacun des tontiniers enchérisseurs
8 La friperie provient majoritairement des
Trang 9vrai, puisque 80 artisans interrogés sur
110 (72.72%), trouvent l’origine des
difficultés qu’ils rencontrent, au double
plan opérationnel et stratégique, dans
l’entrée massive de vêtements de
secon-de main sur le marché camerounais
C’est un résultat qui indique
l’importan-ce de la part de la friperie dans le
mar-ché local du vêtement “bas de gamme”,
et en même temps, il suscite des
interro-gations sur les capacités des artisans à
résister, dans un marché aussi
compéti-tif Les résultats issus de l’enquête
effec-tuée auprès des artisans, nous invitent à
chercher l’essence de leur pérennité
dans la gestion interne des structures et
dans leurs différents positionnements
La gestion d’une entreprise est
généra-lement influencée par l’envergure de
sa structure d’impulsion Par rapport à
la taille, les artisans-tailleurs relèvent
tous de la très petite entreprise (TPE) ou
de la petite entreprise (PE)
La figure 4 présente les formes de
structures identifiées lors de l’enquête,
du point de vue des effectifs employés
Les confections sont de très petites entreprises (TPE), avec 96 entreprises (87%) ayant un effectif du personnel inférieur ou égal à 5 Ce type de struc-ture fait du promoteur l’homme à tout faire Il est ainsi impliqué tant dans des tâches de gestion courante (tenue de
la caisse, réception des commandes des clients, paiement des frais géné-raux, recrutement et gestion du per-sonnel, etc…), que dans les réflexions stratégiques qui ne sont, dans la pra-tique à court et à moyen terme, qu’une réplication de son image mentale Une image généralement réduite à l’échelle
de la petite dimension fermée9 Cette absence d’ouverture au partenariat est
un indice d’aversion pour le risque, pourrait-on dire de façon implicite, mais dans la réalité, c’est aussi une caractéristique propre à un secteur, ó l’acteur et sa structure font corps C’est d’ailleurs pour cette raison que l’arti-san-tailleur se trouve dans une logique d’impulsion permanente, par rapport à l’organisation entrepreneuriale qu’il conduit Au risque de disparaỵtre, il
87%
Figure 4 : Nombre d’employés hors apprentis
9 Nous avons constaté qu’aucun artisan n’est
disposé à expérimenter l’aventure de
l’entrepri-se sociétaire.
Trang 10doit repérer, saisir et rentabiliser les
opportunités Mais uniquement la
force de l’impulsion entrepreneuriale,
et surtout les conséquences positives
attendues, en termes de valorisation
du promoteur et de la structure créée,
sont fonction des objectifs de départ
du promoteur (référent cognitif); des
objectifs qui, eux-mêmes, ne résistent
pas à l’influence de l’origine du
pro-moteur L’importance des capitaux
mobilisés et surtout la destination des
revenus issus de l’activité illustrent fort
bien cette logique Pour les nationaux,
ces revenus servent essentiellement à
la survie du promoteur, celle de sa
famille et de son entreprise La
pri-mauté de la trésorerie sur la rentabilité
(Hernandez, 2000), écarte toute
pos-sibilité d’envisager une politique
d’in-vestissement à terme et donc, le
déve-loppement de l’entité Pour les
étran-gers, la primauté de la trésorerie sur la
rentabilité s’explique par la nécessité
de rapatrier, dans le pays d’origine,
les revenus issus de leurs activités
Ceci est d’autant plus possible et
faci-le que ces tailfaci-leurs étrangers optent
généralement pour l’austérité en terme
de conditions de vie Le pays d’accueil
est considéré comme un champ de
res-sources pour l’approvisionnement vital
de la famille d’origine restée au
qu’avec des motivations aussi
diffé-rentes et contradictoires, des alliances
soient difficiles à nouer entre les
arti-sans-tailleurs
L’activité des artisans-tailleurs est une activité informelle, en raison de son fonctionnement marginal, par rapport
à l’utilisation de techniques de gestion modernes, disponibles et facilement mobilisables Ainsi, 97 tailleurs sur les
110 interrogés, déclarent tenir eux-mêmes la caisse (recettes dépenses)
99 sur 110, quant à eux, ne tiennent pas de comptabilité, tandis que 97 affirment ne pas utiliser un secrétaire Des pourcentages qui indiquent l’im-portance du désir du promoteur d’avoir la main-mise et de garder per-sonnellement le contrơle de son
affai-re Cette stratégie d’enracinement et
de repli sur soi-même, tient aussi à la spécificité du métier La couture est plus qu’une technique Elle n’est pas très loin de l’art lorsqu’il est question
de dessiner des modèles ou patrons, et
de ce point de vue, la valeur créée est étroitement liée aux compétences dis-tinctives de chaque promoteur, à son génie créateur et inventif Des atouts difficiles à partager, dans un contexte
ó l’essentiel des besoins des acteurs,
se situe au stade strictement physio-logique, et ó chacun est d’abord pré-occupé à se battre quotidiennement pour sa propre survie, celle de la
famil-le et celfamil-le de l’entreprise; tout cela par-tagé par la conviction de garantir ainsi les succès futurs
10 C’est un comportement universellement observé chez les émigrés originaires des pays économiquement défavorisés Les fonds ainsi rapatriés servent certes à la survie de la famille d’origine, mais aussi, ils constituent des sources
de financement importantes des projets que les