INTRODUCTION GÉNÉRALE 1. Motivation de la recherche Ce travail doctoral a fait un long chemin, depuis le premier projet que nous avons soumis en 2011 à la Commission doctorale « Langues et Lettres » de l’Université Catholique de Louvain pour l’inscription. Les mots-clés dans le résumé ont suivi des trajectoires parfois inattendues. Initialement formée en FLE (Français Langue Étrangère) et intégration des TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) dans l’enseignement et la formation, nous avions comme projet de travailler sur les situations-problèmes intégrant les TIC en classe de FLE. Pourtant, nous avons réorienté notre projet de recherche vers le français sur objectifs spécifiques, plus précisément sur l’enseignement de l’exposé oral pour les futurs guides touristiques. Ce changement est issu d’un besoin réel de notre institution, le Département de français de l’Université de Hanoï, qui a un projet de créer une licence en français à option Tourisme. Ce projet nous a impliquée, avec d’autres professeurs du Département, dans la phase de conception du programme de formation et des syllabus pour quelques-uns des cours. Nous avons décidé d’intégrer notre recherche dans un cours spécifique, celui de « Communication touristique, orientation métier guide touristique ». Le choix de l’exposé oral du guide nous a amenée vers un domaine qui nous était complètement inconnu : l’analyse du discours. Les lectures faites dans le domaine de l’ingénierie du français sur objectifs spécifiques nous ont montré qu’on ne pouvait pas se passer de l’analyse du discours dans la conception des formations. Et de fil en aiguille, la structure de notre thèse a été construite. 2. Problématique, hypothèses et objectifs de la recherche C’est dans ce contexte à caractère à la fois personnel, professionnel et scientifique que le présent travail a vu le jour. Nous sommes partie d’abord d’une question pragmatique : quel dispositif de formation à l’exposé oral à proposer aux futurs guides ? L’étude du terrain et la revue de la littérature nous ont permis de formuler quelques hypothèses de recherche : - La conception d’un tel dispositif devrait passer par l’analyse du genre discursif qui fait l’objet de l’enseignement-apprentissage : l’exposé oral du guide touristique vietnamien francophone : - Les situations-problèmes, par leurs caractéristiques, pourraient optimiser la qualité d’un tel dispositif. La recherche vise donc deux grands objectifs qui consistent à : - analyser l’exposé oral du guide touristique vietnamien comme genre discursif - proposer un scénario d’apprentissage basé sur l’approche par situation-problème et visant à former les futurs guides à l’exposé oral 3. Plan de la thèse Ce travail doctoral s’articule autour de trois grandes parties : le cadre contextuel et théorique de la recherche, l’analyse du discours du guide touristique francophone vietnamien et le dispositif d’enseignement à l’exposé oral du guide adressé aux étudiants de l’option tourisme. Dans la première partie, nous présenterons dans le premier chapitre la formation des guides francophones au Vietnam. Nous commencerons par une analyse des besoins des guides francophones sur le marché du travail. Ensuite, nous présenterons en détail la formation des guides en français et en connaissances professionnelles. Le deuxième chapitre présentera le cadre institutionnel de la recherche : le mouvement de rénovation des cursus universitaires vers des formations professionnalisantes au Vietnam, la création de nouvelles filières en langues étrangères au sein de notre Université et enfin le besoin de concevoir le programme de la licence en français, option Tourisme du Département de français où nous travaillons. Dans le cadre théorique, nous délimiterons d’abord le champ de notre recherche. Ensuite, nous éclaircirons des notions théoriques pertinentes pour notre thèse, autour de deux grands axes : l’analyse du discours et la situation-problème. La deuxième partie présentera le premier volet du résultat de notre recherche, c’est-à-dire l’analyse de l’exposé oral du guide touristique vietnamien francophone. Dans un premier temps, nous présenterons le cadre méthodologie de cette analyse. Les chapitres 7 et 8 analyseront les caractéristiques discursives de ce genre et les pratiques à l’exposé oral des guides francophones vietnamiens. La troisième partie de la thèse est réservée au deuxième volet du résultat de la recherche, à savoir le dispositif de formation à l’exposé oral du guide : de la proposition d’un scénario de cours basé sur l’approche par Situation-Problème, à son expérimentation et l’analyse des résultats en vue d’une amélioration du dispositif. La méthodologie de la conception et de l’expérimentation introduira chacune de ces parties dans le chapitre 9. Enfin, dans les conclusions générales, nous récapitulerons les apports de la thèse ainsi que ses perspectives.
Trang 1UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN Faculté de philosophie, arts et lettres UNIVERSITÉ DE HANOI Département des études postuniversitaires
ENSEIGNEMENT DE L’EXPOSÉ ORAL DU GUIDE TOURISTIQUE VIETNAMIEN FRANCOPHONE COMME GENRE DISCURSIF ET
PAR LES SITUATIONS-PROBLÈMES DẠY THUYẾT TRÌNH CHO HƯỚNG DẪN VIÊN DU LỊCH TIẾNG PHÁP THEO PHƯƠNG PHÁP TIẾP CẬN BẰNG LOẠI HÌNH DIỄN
NGƠN VÀ THƠNG QUA CÁC TÌNH HUỐNG –VẤN ĐỀ
THÈSE LUẬN ÁN TIẾN SĨ
Sous la direction des professeurs Silvia LUCCHINI (UCLouvain)
Marcel LEBRUN (UCLouvain) NGUYEN Thi Cuc Phuong (UH)
En vue de l’obtention du grade de Docteur en Langues et Lettres (UCLouvain)
et Docteur en Langue Française (UH)
Président du jury : VU Van Dai (Université de Hanọ)
Membres du jury :
Emmanuelle RASSART (Université Catholique de Louvain)
Thomas FRANÇOIS (Université Catholique de Louvain)
DUONG Cong Minh (Université de Hanọ)
TRAN Van Cong (Université de Hanọ)
Jean-François BOURDET (Le Mans Université)
DANG Thi Thanh Thuy (Université de Langues et d’Études Internationales, Université Nationale du Vietnam à Hanọ)
Hanọ, 2019
Trang 2TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION GÉNÉRALE 10
1 Motivation de la recherche 10
2 Problématique, hypothèses et objectifs de la recherche 10
3 Plan de la thèse 11
PREMIÈRE PARTIE : CADRE CONTEXTUEL ET THÉORIQUE 13
Chapitre 1 La formation des guides francophones au Vietnam 13
1.1 Le développement du tourisme récepteur vietnamien et le besoin de guides francophones 13
1.1.1 L’essor du tourisme après l’ouverture du pays 13
1.1.2 La formation d’un marché de tourisme récepteur 13
1.1.3 Le marché du tourisme francophone 14
1.1.4 Le besoin en guides francophones 15
1.2 La formation de base en français des guides francophones 15
1.2.1 Le niveau de français requis chez les guides dans les textes officiels 15
1.2.2 La licence en français : contenu et niveau à la sortie 16
1.2.2.1 Le programme et le niveau fixé par les textes officiels 16
1.2.2.2 La place du français du tourisme dans les programmes de licence en français 17
1.3 Le brevet de guide touristique en vietnamien 17
1.3.1 Description du programme de formation 17
1.4 Conclusion du chapitre 1 19
Chapitre 2 : Contexte institutionnel de la recherche 20
2.1 Présentation générale du Département de français de l’Université de Hanọ 20
2.2 La réforme des cursus et les formations professionnalisantes 21
2.3 La professionnalisation des programmes de formation au Département de français 23 2.4 La place de notre recherche dans la réforme des cursus du Département 24
2.5 Conclusion du chapitre 2 24
Chapitre 3 : Délimitation du champ de recherche 26
Trang 33.1 En didactique du français langue étrangère 26
3.1.1 Français de spécialité ou français sur objectifs spécifiques ? 26
3.1.2 La didactique actionnelle du français langue étrangère 28
3.1.3L’approche par genres de discours en didactique du français langue étrangère 30
3.2 En sciences de l’éducation 31
3.3 Regard rétrospectif sur les recherches du même domaine 32
3.3.1 Didactique du français du tourisme 32
3.3.2 L’application des Situations-Problèmes dans l’enseignement des langues 33
3.4 Conclusion du chapitre 3 34
Chapitre 4: L’analyse du discours dans l’enseignement des langues 35
4.1 La notion de discours 35
4.2 Typologies des genres discursifs 37
4.2.1 Typologies traditionnelles 37
4.2.2 Vers une typologie des typologies 38
4.2.3Typologies proposées par Mainguenau 38
4 3 La théorie de contrat de communication de Charaudeau 40
4.3.1 L’identité du sujet du discours 40
4.3.1.1 L’identité sociale 41
4.3.1.2 L’identité discursive 41
4.3.2 La finalité communicative 42
4.3.3 Contraintes situationnelles, contraintes discursives et contraintes formelles 44
4.3.4 Stratégies discursives 46
4.4 Genres discursifs et enseignement des langues 46
4.4.1 En didactique des langues étrangères : l’approche communicative 47
4.4.2 En didactique des langues de scolarisation 48
4.4.3 En didactique des langues étrangères : le CECR 50
4.4.4 Discussion pour notre cas 51
Trang 44.5 Les modèles d’analyse des discours professionnels 52
4.5.1 Les modèles d’analyse des interactions au travail 52
4.5.2 L’Analyse du Discours 53
4.5.3 L’Analyse des Discours Médiée (ADM) 55
4.5.4 L’Analyse Différentielle des Discours (ADD) 57
4.5.5 Discussion pour notre cas 59
4.6 Analyse du discours oral 63
4.7 Conclusion du chapitre 4 64
Chapitre 5: L’approche par situation-problème et sa place dans les formations professionnalisantes 66
5.1 La notion de situation–problème 66
5.1.1 Des exemples et contre-exemples de situations-problèmes 66
5.1.2 La définition du concept « situation-problème » par Ph Meirieu 71
5.1.3 Les élargissements sur la notion par M Fabre 75
5.2 La conception et la réalisation des situations-problèmes, point de vue enseignant 78
5.2.1 La conception d’une situation-problème 78
5.2.2 La mise en œuvre d’une situation-problème 81
5.3 L’approche par situation-problème dans les formations professionnalisantes 82
5.3.1 L’approche par situation-problème en didactique professionnelle 82
5.3.1.1 La conceptualisation en didactique professionnelle 82
5.3.1.2 Les dispositifs d’apprentissage construits sur des situations 83
5.3.2 L’approche par situation-problème dans l’enseignement supérieur 87
5.3.2.1 Situation-problème et résolution de problème 87
5.3.2.2 Situation-problème et développement de compétence 89
5.4 Conclusion du chapitre 5 91
Conclusion de la première partie 92
DEUXIÈME PARTIE : L’ANALYSE DE L’EXPOSÉ ORAL DU GUIDE 95
Chapitre 6: Méthodologie de l’analyse de l’exposé oral du guide 95
Trang 56.1 Rappel de la problématique 95
6.2 Orientation du premier volet de la recherche 96
6.3 Sujets et dispositifs de recherche 98
6.3.1 Le corpus 98
6.3.2 Le choix de l’échantillon 99
6.4 Les outils de recherche 102
6.4.1 L’observation systématique : les enregistrements d’exposé oral de guides 102
6.4.2 L’entretien semi-dirigé avec les guides enregistrés et des touristes 105
6.5 Le traitement des données 107
6.5.1 L’analyse de contenu des entretiens avec les guides 107
6.5.2 L’analyse croisée des données 108
6.6 Conclusion du chapitre 6 109
Chapitre 7 : Analyse discursive de l’exposé oral du guide touristique vietnamien francophone 110
7.1 L’exposé oral du guide touristique vietnamien est un genre discursif 110
7.1.1 L’exposé oral du guide touristique vietnamien est un discours 110
7.1.2 L’exposé oral du guide touristique vietnamien est un genre discursif 112
7.2 L’identité sociale du guide touristique vietnamien francophone 114
7.2.1 Représentations sur la légitimité du discours du guide 114
7.2.2 Stratégie de légitimité de la prise de parole 118
7.2.3 Conflits entre l’identité sociale et les autres identités du guide 120
7.3 Identité discursive du sujet parlant 122
7.3.1 Le jeu de crédibilité dans le discours du guide 122
7.3.2 Le jeu de captation dans le discours du guide 125
7.4 La finalité discursive de l’exposé oral du guide 130
7.4.1 Les visées dominantes des exposés des guides 130
7.4.2 La finalité des fragments d’exposé 133
Trang 67.5 Les données situationnelles dans l’exposé oral du guide 137
7.5.1 La situation des exposés dans le bus 137
7.5.2 La situation des exposés sur le site 140
7.6 Les données du propos dans le discours du guide 144
7.6.1 Les exposés qui donnent des informations pratiques 144
7.6.2 Les commentaires des sites visités 147
7.6.3 Les exposés sur les sujets libres 150
7.7 Conclusion du chapitre 7 153
Chapitre 8 : Pratiques de référence des guides touristiques vietnamiens à l’exposé oral 155
8.1 Les pratiques professionnelles de référence à l’exposé oral du guide vietnamien francophone : le pourquoi et le comment 155
8.2 La procédure générale de préparation, de présentation et de régulation des exposés 160
8.2.1S’informer sur le profil des clients pour y adapter ses exposés 160
8.2.2 Etudier le programme détaillé pour planifier les exposés de la journée 162
8.2.3 Préparer le contenu informatif et les moyens linguistiques pour chaque exposé 164
8.2.4 Présenter et réguler les exposés 165
8.3 Les pratiques langagières 166
8.3.1 La composition interne de l’exposé 167
8.3.1.1 L’introduction et la conclusion d’un exposé 167
8.3.1.2 Le développement des idées à l’intérieur de l’exposé 187
8.3.1.3 Les déictiques spatiaux 244
8.3.2 La construction grammaticale 254
8.3.2.1 La pronominalisation 254
8.3.2.2 Les modes et les temps verbaux 266
8.3.3 Les récurrences phonétiques 271
8.3.3.1 La prononciation des sons 271
8.3.3.2 La liaison 273
8.3.3.3 L’élision 275
8.3.3.4 Les pauses 277
Trang 78.4 Conclusion du chapitre 8 280
Conclusion de la deuxième partie 282
TROISIÈME PARTIE : LE DISPOSITIF 284
Chapitre 9 : Conception du dispositif de formation à l’exposé oral 284
9.1 Méthodologie de conception du dispositif 284
9.2 Analyse des besoins 286
9.3 Fixation des objectifs et des contenus d’apprentissage 288
9.3.1 Fixation de l’objectif général du dispositif 288
9.3.2 Déclinaison de l’objectif général en objectifs spécifiques 290
9.4 Méthodes utilisées pour le dispositif 292
9.4.1 L’apprentissage par situation-problème 292
9.4.2 Le travail collaboratif basé sur un environnement hybride 294
9.4.3 L’alternance de la théorie et des travaux pratiques 295
9.5 Ressources mobilisées pour le dispositif 296
9.6 Evaluation des apprentissages 298
9.7 Conclusion du chapitre 9 309
Chapitre 10 : Expérimentation du dispositif et rapport des résultats 311
10.1 Méthodologie d’expérimentation du dispositif 311
10.1.1 Une quasi-expérimentation pour tester le dispositif 311
10.1.2 La constitution de l’échantillon des étudiants-testeurs 315
10.1.3 Méthode de collecte de données issues de la formation-test 316
10.1.3.1 L’observation non-participante 316
10.1.3.2 L’enquête 318
10.1.4 Méthode d’analyse des données collectées de la formation-test 322
10.1.4.1 La méthode quantitative 322
10.1.4.2 La méthode qualitative 326
10.2 Rapport des résultats de l’expérimentation 327
10.2.1 L’évaluation du progrès des étudiants 328
Trang 810.2.1.1 Le progrès général de la classe 328
10.2.1.2 Le progrès au niveau individuel des étudiants 336
10.2.2L’évaluation du dispositif et propositions d’amélioration 343
10.2.2.1 L’évaluation des méthodes pédagogiques utilisées pour le dispositif 343
10.2.2.2 L’évaluation des outils et des ressources 358
10.3Conclusion du chapitre 10 364
Conclusion de la troisième partie 365
CONCLUSIONS GÉNÉRALES 368
GLOSSAIRE DES TERMES CLÉS 375
LISTE DES ABRÉVIATIONS 380
LISTE DES TABLEAUX 381
LISTE DES FIGURES 382
BIBLIOGRAPHIE 383
Trang 9Le choix de l’exposé oral du guide nous a amenée vers un domaine qui nous était complètement inconnu : l’analyse du discours Les lectures faites dans le domaine de l’ingénierie du français sur objectifs spécifiques nous ont montré qu’on ne pouvait pas se passer de l’analyse du discours dans la conception des formations Et de fil en aiguille, la structure de notre thèse a été construite
2 Problématique, hypothèses et objectifs de la recherche
C’est dans ce contexte à caractère à la fois personnel, professionnel et scientifique que le présent travail a vu le jour Nous sommes partie d’abord d’une question pragmatique : quel dispositif de formation à l’exposé oral à proposer aux futurs guides ? L’étude du terrain et la revue de la littérature nous ont permis de formuler quelques hypothèses de recherche :
- La conception d’un tel dispositif devrait passer par l’analyse du genre discursif qui fait l’objet de l’enseignement-apprentissage : l’exposé oral du guide touristique vietnamien francophone :
Trang 10- Les situations-problèmes, par leurs caractéristiques, pourraient optimiser la qualité d’un tel dispositif
La recherche vise donc deux grands objectifs qui consistent à :
- analyser l’exposé oral du guide touristique vietnamien comme genre discursif
- proposer un scénario d’apprentissage basé sur l’approche par situation-problème et visant à former les futurs guides à l’exposé oral
La deuxième partie présentera le premier volet du résultat de notre recherche, c’est-à-dire l’analyse de l’exposé oral du guide touristique vietnamien francophone Dans un premier temps, nous présenterons le cadre méthodologie de cette analyse Les chapitres 7 et 8 analyseront les caractéristiques discursives de ce genre et les pratiques à l’exposé oral des guides francophones vietnamiens
La troisième partie de la thèse est réservée au deuxième volet du résultat de la recherche, à savoir le dispositif de formation à l’exposé oral du guide : de la proposition d’un scénario de cours basé sur l’approche par Situation-Problème, à son expérimentation et l’analyse des
Trang 11résultats en vue d’une amélioration du dispositif La méthodologie de la conception et de l’expérimentation introduira chacune de ces parties dans le chapitre 9
Enfin, dans les conclusions générales, nous récapitulerons les apports de la thèse ainsi que ses perspectives
Trang 12PREMIÈRE PARTIE : CADRE CONTEXTUEL ET THÉORIQUE
Chapitre 1 La formation des guides francophones au Vietnam
Ce chapitre présente le contexte général de notre recherche : la formation des interprètes francophones au Vietnam Nous commencerons par un panorama du marché du
guides-tourisme récepteur (l’accueil des touristes étrangers) au Vietnam, pour nous focaliser par la
suite sur le développement du marché francophone, ce qui conduit à la nécessité de former des guides francophones de qualité et en nombre suffisant Dans la deuxième partie du chapitre, nous passerons en revue la formation des guides, à commencer par la formation initiale en français (niveau attendu, programmes de formation et réalités), puis la formation
au métier de guide Le chapitre s’achève sur les modes de formation que les guides adoptent pour se perfectionner dans leur métier
1.1 Le développement du tourisme récepteur vietnamien et le besoin de guides francophones
1.1.1 L’essor du tourisme après l’ouverture du pays
Avec le mouvement de renouveau (đổi mới en vietnamien), le Vietnam a commencé à
ouvrir ses portes à l’étranger au début des années 1990, et le tourisme a eu besoin de quelques années pour recevoir des arrivées en masse d’étrangers Selon les chiffres de l’Office Général des Statistiques, en 1995, 1 351 300 étrangers, dont 118 000 Français, ont visité le Vietnam Lorsqu’on jette un coup d’œil sur les chiffres des entrées étrangères au Vietnam de 1995 à
2015, on observe une croissance constante, hormis les quelques années ó le tourisme a été freiné par des épidémies telles que le SRAS en 2003 et la grippe aviaire (virus H5N1) en
2009 En 5 ans, de 2011 à 2015, le nombre de touristes a augmenté de 32 % pour atteindre 7
943 651 en 2015 En 2016, environ 10 millions de touristes étrangers nous ont rendu visite et
ce chiffre a atteint 10,9 millions en 2017
1.1.2 La formation d’un marché de tourisme récepteur
Un marché récepteur s’est alors progressivement constitué au Vietnam depuis l’ouverture
du pays Les entretiens que nous avons eus avec des guides expérimentés ont permis d’entrevoir le développement des entreprises qui le partagent : d’abord de grandes agences étatiques vietnamiennes comme Vietnamtourism, Hanoitourism ou Saigontourism ont commencé timidement par l’accueil de groupes de touristes étrangers au milieu des années
1990 Puis les filiales des agences étrangères comme Exotissimo se sont rapidement
Trang 13développées Depuis une dizaine d’années, de nombreuses agences réceptives créées par des Vietnamiens envahissent ce marché potentiel
Faute de statistiques, nous ne pouvons pas donner le nombre exact des agences au Vietnam qui organisent actuellement des voyages pour les touristes étrangers (agences réceptrices) Or, si l’on observe les recensements des voyagistes internationaux (récepteurs et émetteurs compris), nous pouvons déduire que ce chiffre doit être aussi en constante augmentation En effet, le nombre des voyagistes internationaux est passé de 428 en 2005 à
1519 en 2015; et sur ce marché, les entreprises étatiques reculent devant les autres (de 119 sociétés en 2005 à 7 en 2015) En revanche, les sociétés anonymes à responsabilité limitée (donc de petites et moyennes entreprises tenues par des Vietnamiens) ont connu une forte croissance au moins en nombre (1012 en 2015 contre 222 en 2005) Elles représentent actuellement 67% des agences
1.1.3 Le marché du tourisme francophone
Du côté des touristes francophones, les plus nombreux sont les Français Toujours selon les chiffres de l’Office Général des Statistiques, le nombre de touristes français est passé de
11 800 en 1995 à 211 636 en 2015 Pourtant, par rapport aux autres nationalités, ce marché connaît une stagnation : une croissance de 6,1% seulement en 5 ans ; de la 3e place en 1995,
la France se trouve aujourd’hui au 13e rang parmi les pays visitant le plus le Vietnam, bien loin après nos voisins asiatiques (Chine, Corée du Sud, Japon…) et les Américains En Europe, elle se place après l’Angleterre (212 798 visiteurs) et la Russie (338 843 visiteurs)
Alors que pendant les premières années de l’essor du marché récepteur du tourisme vietnamien, nous recevions essentiellement des touristes français, ces dernières années, de plus en plus de francophones venant d’autres horizons tels que le Canada, la Belgique ou la Suisse visitent notre pays Recensés par les statistiques seulement à partir de 2012, le nombre des voyageurs venant de ces pays est assez stable et augmente légèrement d’une année à l’autre (environ 24 000 Belges, 105 000 Canadiens et 29 000 Suisses par an)
Et même si seulement la moitié des touristes ressortissants de ces pays parlaient français, nous aurions accueilli en 2015 près de 80 000 touristes francophones non français, qui se seraient ajoutés à environ 211 000 touristes français pour former le marché du tourisme francophone au Vietnam Les agences confirment aussi cette répartition du marché en constatant qu’environ 70% de leurs clients francophones sont français, les autres étant des Canadiens, Belges et Suisses francophones
Trang 141.1.4 Le besoin en guides francophones
Face à l’arrivée croissante des touristes francophones, avons-nous assez de guides ? La base de données sur les guides du ministère de la Culture, du Sport et du Tourisme informe qu’actuellement il y a 1330 guides francophones habilités à exercer leur métier Ces 1330 guides doivent prendre en charge environ 300 000 touristes francophones, soit à peu près 300 touristes par guide et par an Ces chiffres nous montrent que le besoin de guides francophones est encore grand, car en réalité, ces chiffres se basent sur le nombre de badges délivrés, alors que beaucoup de guides titulaires de badge ne sont plus en activité
En matière de qualité, nous n’avons pas le moyen de faire une étude ciblée sur les guides francophones Nous ne pouvons que citer ici les résultats d’une étude réalisée par le programme Esrt sur la qualité des ressources humaines en tourisme au Vietnam Voici ce que dit l’étude sur la qualité des guides touristiques :
- Les agences apprécient la qualité de leurs guides : ils les notent à 2,99 points (3 points = bien), 4 points = très bien)
- Lors du recrutement, les compétences en langues étrangères arrivent au troisième rang parmi les critères cités Les agences les trouvent « très importantes » (3,48/4 points)
- Pour les guides (accompagnateur ou conférencier), les agences jugent que les compétences
en communication et en exposé oral sont de première importance (27%), viennent ensuite celles en langues étrangères (19%)
- La formation interne est le moyen le plus courant pour la formation continue des guides (52%)
1.2 La formation de base en français des guides francophones
1.2.1 Le niveau de français requis chez les guides dans les textes officiels
Au Vietnam, selon l’article 73 du Code du Tourisme 2005, pour pouvoir exercer le métier
de guide, le niveau requis est la licence Le même article précise les conditions pour avoir le titre de guide international : en plus des conditions requises pour un guide en vietnamien, le titulaire doit utiliser couramment une langue étrangère La circulaire 89/2008/TT-BVHTTDL
du ministère de la Culture, du Sport et du Tourisme, publiée le 30/12/2008, précise que le niveau de maîtrise de cette langue étrangère doit être équivalent au TOEFL 500, ou de l’IELT 5.5 ou du TOEIC 650 en anglais, soit le niveau B2 selon le CECR
Trang 15Un arrêté publié le 14/04/2009 par le même ministère – le 1417/QĐ-BVHTTDL – donne des détails précis sur ce niveau requis en langue étrangère des guides internationaux par un tableau d’indicateurs qui comprend quatre compétences (compréhension orale, expression orale, compréhension écrite, expression écrite) et la maîtrise du lexique spécialisé (histoire, géographie, culture, économie, etc.) Or, nous ne sommes pas en mesure de savoir si ces dispositions sont prises en compte par les services compétents, à savoir le Service de la Culture, du Sport et du Tourisme de chaque ville ou province, lorsqu’ils examinent les dossiers de demande de l’octroi du badge de guide international
1.2.2 La licence en français : contenu et niveau à la sortie
1.2.2.1 Le programme et le niveau fixé par les textes officiels
L’arrêté 36/2004/QĐ-BGD&ĐT publié le 25/10/2004 par le ministère de l’Éducation et de
la Formation fixe un programme cadre pour la licence en français dans les universités vietnamiennes Etalée sur 4 ans, la formation comprend 210 unités d’enseignement (désormais UV) dont 83 sont consacrées aux études du et en français, réparties sur trois blocs :
- Les études linguistiques (10 UV) ;
- La littérature et la civilisation françaises (10 UV) ;
- La pratique de la langue française (63 UV)
Dans ce texte officiel, le niveau de sortie n’est pas déterminé sur l’échelle du CECR Or, à lire ses descripteurs des cours de pratique de la langue française, nous évaluons que le niveau souhaité à la fin du parcours se situe entre le B2+ et le C1 du CECR
En fonction de la vocation des étudiants et des besoins du marché de travail, chaque établissement peut proposer à la suite de cette formation de base une orientation Didactique
du FLE ou Traduction-Interprétation Cette partie, qui offre des connaissances spécialisées du métier, comprend au minimum 25 UV et 9 cours
Si l’on observe de plus près l’intitulé des cours de ce bloc, on constate que l’étudiant qui suit l’orientation Traduction-Interprétation a davantage de cours de français (la quasi-totalité des cours est dispensée en français et porte sur la traduction et l’interprétation) alors que les étudiants en didactique du FLE ont 5 cours sur 9 qui sont de spécialisation en vietnamien
Trang 16Malgré cette hétérogénéité, dans toutes les licences et toutes les orientations, le niveau exigé à la sortie de l’université satisfait la condition requise pour exercer le métier de guide dans les textes officiels, c’est-à-dire le niveau B2 du CECR
1.2.2.2 La place du français du tourisme dans les programmes de licence en français
Le français du tourisme et de l’hơtellerie entre dans les cours de pratique de la langue dans les départements de français L’objectif du cours est de fournir aux étudiants des savoirs et des savoir-faire tant sur le plan socio-professionnel que langagier Chaque département est libre dans le choix du volume d’heures d’enseignement, de l’approche d’enseignement et de
la méthode utilisée Au Département de français de l’Université de Hanọ par exemple, il s’agit d’un cours de 120 périodes de 45 minutes Avant 2010, on utilisait un recueil de documents pédagogiques élaborés par des professeurs du Département Mais les supports ayant vieilli, aujourd’hui, les professeurs utilisent pour ce cours des manuels comme
Tourisme.com, Hotellerie-Restauration.com (publiés chez Clé International, pour le niveau A2) ou Le français du Tourisme (publié chez Hachette FLE, pour le niveau B1) Le cours
fournit aux apprenants des connaissances de base sur les métiers du tourisme, à travers les situations de travail, le vocabulaire et des actes de parole appropriés à chaque situation Or, ces ouvrages couvrant plusieurs métiers du tourisme, les compétences langagières et professionnelles du guide y sont insuffisantes, sinon presque inexistantes
1.3 Le brevet de guide touristique en vietnamien
1.3.1 Description du programme de formation
Depuis 2004, tous les guides touristiques doivent posséder un badge de guide, catégorie
« domestique » pour ceux qui exercent le métier en vietnamien ou « international » pour ceux qui accueillent les groupes de touristes étrangers ou accompagnent leurs compatriotes à l’étranger Pour obtenir ce badge, valide pour 3 ans et renouvelable, un dossier de demande doit être constitué par le guide et déposé auprès du Service de la Culture, du Sport et du Tourisme de sa ville ou de sa province Le brevet de guide touristique en vietnamien est un papier obligatoire dans ce dossier, et pour l’avoir, les guides doivent suivre une formation de guide en vietnamien, dispensée par des établissements habilités par le ministère de la Culture,
du Sport et du Tourisme
Cette formation dure 3 mois pour les licenciés en sciences et techniques ou les diplơmés des écoles professionnelles du tourisme, 2 mois pour les licenciés en langues ou en d’autres sciences humaines, et un mois pour les licenciés en tourisme Les personnes qui possèdent
Trang 17déjà des expériences professionnelles dans le domaine du tourisme doivent simplement se présenter aux examens pour avoir le brevet
Voici le programme de cette formation en vietnamien qui dure deux mois pour un licencié
en français (cours du soir et le week-end essentiellement)
Partie 1 : Connaissances générales (90 périodes, soit 6 UV)
3 Généralités sur l’histoire des civilisations du monde 10 périodes
4 Géographie, généralités sur la société et l’économie contemporaines du
Vietnam
15 périodes
5 Le système politique et le cadre juridique du tourisme au Vietnam 20 périodes
Partie 2 : Connaissances du métier (165 périodes de 45mn, soit 11 UV)
Partie 3 : Stage de fin de formation (56 périodes)
Tableau 1 : Contenu du programme du brevet de guide en vietnamien
Le programme montre que le futur guide international est équipé d’une part des connaissances générales qui serviront de matière pour ses exposés, et de l’autre des savoirs et savoir-faire professionnels du métier de guide La partie pratique (pratique du travail de guide
et stage) est surtout utile pour ceux qui n’ont pas d’expérience professionnelle
Trang 181.4 Conclusion du chapitre 1
La formation initiale des guides leur fournit la première base du métier : maîtrise du français, connaissances culturelles générales, techniques de guidage, connaissances sur l’industrie du tourisme… Pourtant, comme la plupart des connaissances et compétences en métier sont acquises en vietnamien, et que le cours de français du tourisme n’est pas suffisant, les guides ont beaucoup de difficultés pour préparer leurs exposés en français, au moins au début de leur carrière Le niveau B2, fixé à la sortie de l’université, ne permet pas non plus au jeune guide d’être à l’aise à l’oral dans la communication avec les clients francophones Pour les guides actuels, le choix de l’auto-formation et de formation continue est évident Il nous est donc indispensable de mieux préparer les futurs guides en insistant sur
la capacité de s’exprimer oralement en français, dans des situations de travail réelles du guide
Trang 19Chapitre 2 : Contexte institutionnel de la recherche
Dans ce chapitre, nous allons contextualiser notre recherche en l’inscrivant dans une politique d’innovation d’un établissement de formation supérieur, le Département de français
de l’Université de Hanọ, ó nous travaillons depuis 2008 en qualité chercheuse Nous ferons dans un premier temps une présentation générale du Département, pour enchaỵner par la suite sur le contexte d’innovation et de professionnalisation de l’établissement, ce qui se concrétise par un projet de conception d’une option Tourisme, ó notre recherche trouvera pleinement son sens et sa place
d’enseignante-2.1 Présentation générale du Département de français de l’Université de Hanọ
Fondé en 1967, le Département de français était une des premières cellules de l’Université
de Hanọ, appelée à l’époque l’Université de Langues Étrangères de Hanọ
Ayant pour vocation de former des licenciés de français à orientation Interprétation, elle recrute chaque année une centaine d’étudiants, venant des provinces du Nord et du Centre du pays Parmi eux, certains n’ont jamais appris le français, d’autres en ont fait 3 ans au lycée, dans des classes FLE (3 périodes de 45mn par semaine), ou encore dans des classes à option (5 à 7 périodes par semaine) Une minorité vient des classes dites
Traduction-« bilingues », un projet d’enseignement intensif du et en français qui couvre 12 années de scolarité des élèves
Une fois la porte de l’Université franchie, ces étudiants suivent une formation de 210 UV, étalées sur 4 ans (8 semestres) et réparties en deux grands blocs : formation générale (59 UV)
et formation spécialisée (151 UV) La formation spécialisée comprend elle-même deux blocs : les connaissances de base du domaine pendant les deux premières années (français général et de spécialité, 79 UV) et les connaissances approfondies du métier pendant les deux dernières années (linguistique, littérature, civilisation, traduction, interprétation) Les étudiants vrais débutants à l’entrée ont des heures supplémentaires de français général (150 périodes de 45mn) pour rattraper les autres à la fin de la première année A partir de la promotion 2013-2017, les étudiants doivent passer un examen de français selon le modèle du DELF-DALF pour avoir le diplơme Le niveau demandé est équivalent à un B2 du CECR
A la sortie de l’Université, les débouchés possibles sont nombreux pour les licenciés de français de notre Département : traducteur, interprète de liaison, secrétaire, assistant de direction ou de projet, guide touristique, conseiller en voyage, enseignant de français… pour
ne citer que ceux-là La licence en français délivrée par l'Université donne aussi la possibilité
Trang 20de poursuivre les études dans les masters en français (droit, gestion de projet, études francophones…) ou dans des centres de formations spécialisées comme le CFIT (Centre de Formation d’Interprètes et de Traducteurs, relevant de l’Académie des Relations internationales qui forme des traducteurs professionnels et des interprètes de conférence) ou
le CFVG (Centre Franco-Vietnamien de formation à la Gestion, qui délivre un MBA à la fin
du parcours)
L’enseignement du français et de la spécialisation est assumé par un corps professoral d’une vingtaine d’enseignants-chercheurs, répartis en 3 sections : Pratique de la langue (français général et de spécialité), Théorie de la langue (linguistique, littérature, civilisation)
et Traduction-Interprétation
2.2 La réforme des cursus et les formations professionnalisantes
Depuis quelques années, les filières de langues étrangères dans l’enseignement supérieur vietnamien s’imposent une nouvelle exigence, celle d’innover leurs programmes de formation
Cette exigence, inspirée par les changements profonds de la conjoncture économique et sociale d’un pays sur la voie de l’intégration internationale, provient directement des nouveaux critères de recrutement : le marché du travail a besoin de personnes compétentes en langues étrangères et aptes à travailler dès la fin de leurs études supérieures
Au niveau décisionnel, ce besoin de restructuration des programmes de formation est concrétisé dans deux décrets, promulgués en 2005 et 2008, relatifs au renouveau de l’enseignement supérieur et au projet de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères dans le système éducatif du pays
Publié le 02/11/2005, le décret 14/2005/NQ-CP a tracé les grandes lignes d’une politique d’innovation dans l’enseignement supérieur vietnamien pour la période 2006-2012 Il décrit d’abord les objectifs généraux de ce renouveau
Une innovation fondamentale et complète de l’enseignement supérieur, visant à créer des améliorations de la qualité et de l’efficacité, et à tous les niveaux, pour répondre aux nouvelles demandes de l’industrialisation et de la modernisation du pays, de l’intégration à l’économie mondiale et des besoins d’apprentissage du peuple
Pour atteindre ces objectifs, le texte officiel du gouvernement vietnamien donne aux établissements des directives précises, dont la restructuration des curricula, afin de faire
Trang 21évoluer le potentiel des apprenants dans la recherche et leurs compétences professionnelles, pour une meilleure intégration de ceux-ci dans la société et dans le marché du travail Le décret définit deux types de curricula : à orientation recherche ou à orientation professionnelle, tout en donnant une priorité au deuxième type, c’est-à-dire aux programmes
de formation à caractère professionnalisant
L’arrêté 36/2004/QĐ-BGD&ĐT publié le 25/10/2004 par le ministère de l’Éducation et de
la Formation donne la possibilité aux établissements de créer des programmes mineurs (de 25
à 45 UV) dans une autre spécialité telle que les relations internationales, le management, l’anglais ou le russe Les établissements sont aussi libres d’ajouter des cours optionnels jugés utiles pour une meilleure intégration de leurs étudiants au marché du travail Ces cours rentrent dans un bloc intitulé « Connaissances complémentaires », d’un volume horaire de 25
UV au maximum Cette marge de manœuvre est intéressante pour les établissements qui souhaitent valoriser leurs formations par un programme plus professionnalisant
Un autre texte officiel – le décret 1400/QĐ-TTg promulgué le 30/09/2008 – lance un vaste projet national intitulé « L’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères dans le système éducatif national, période 2008-2020 » La visée du projet est claire :
En 2020, la majorité des jeunes Vietnamiens ayant fini leurs études supérieures seront capables d’utiliser de façon autonome et avec confiance les langues étrangères pour communiquer, étudier et travailler dans un environnement international, multilingue et multiculturel Les langues étrangères devront constituer un point fort des Vietnamiens, au service de l’industrialisation et de la modernisation du pays
Le même décret donne aussi des directives pour la conception des programmes de formation en langues étrangères :
Concevoir et mettre en place l’enseignement en langues étrangères de certaines matières fondamentales, basiques, de spécialisation et à option dans certaines spécialités de pointe, dans le programme de la dernière année de l’enseignement universitaire
L’Université de Hanọ est une des avant-gardes de ce mouvement de renouveau Selon Nguyen Thi Cuc Phuong (2012), depuis 2002, l’Université a mis en place 6 filières en anglais, dans des spécialités autres que les langues: Management, Management du Tourisme
et des Voyages, Etudes Internationales, Banque-Finance (2002), Technologies de l’Information (2005), Comptabilité (2007) Un premier bilan de ces filières en anglais fait en
2011 a confirmé leur réussite : un taux élevé d’étudiants qui trouvent du travail à la fin de
Trang 22leurs études, la reconnaissance de l’équivalence de diplơme par des établissements d’enseignement supérieur étrangers… Le rectorat de l’Université encourage alors les départements de langues étrangères à suivre cette voie vers la spécialisation et la professionnalisation, en créant de nouvelles licences enseignées en langues étrangères ou des licences en langue, mais orientées vers des métiers ou des secteurs professionnels
2.3 La professionnalisation des programmes de formation au Département de français
Au Département de français, le mouvement de restructuration se manifeste par :
- La mise en place d’une licence de Communication en entreprise en français Cette licence,
la première au Vietnam, a recruté sa première promotion d’étudiants à la rentrée universitaire 2016-2017 Le programme de formation a été conçu en collaboration avec l’Université Libre
de Bruxelles En même temps, nous avons préparé le corps professoral de cette licence en envoyant les enseignants faire des masters et des doctorats en communication
- La restructuration de la licence en français actuelle en deux options (orientation), Traduction-Interprétation et Tourisme, avec un curriculum qui suit le système de crédits capitalisables Nous nous sommes basés sur l’article 4.3 du programme cadre de la Licence
en français du ministère de l’Éducation et de la Formation, selon lequel des modules complémentaires d’une spécialité autre que le français peuvent être ajoutés au programme majeur (Licence en français), dans le but d’élargir les activités professionnelles des étudiants
à la sortie de l’Université Dans le cas ó le volume horaire de tous ces modules se situe entre
25 et 45 UV, ces derniers constituent alors un programme mineur, à cơté du programme majeur qui est la licence en français
Le choix de la spécialité (le tourisme), selon Nguyen Thi Cuc Phuong (2012), a été justifié par une enquête de terrain : les deux tiers des 65 anciens étudiants du Département ont répondu qu’ils ont exercé un métier lié au tourisme depuis leur sortie de l’Université, le même nombre aurait souhaité ajouter à l’offre de la formation du Département une option Tourisme ou au moins une formation au métier de guide touristique francophone
Dans l’option Tourisme ó tout sera enseigné en français, nous avons 38 crédits pour les cours et 9 crédits pour les stages Parmi les 38 crédits, nous avons programmé 8 cours obligatoires (30 crédits) et 4 cours optionnels parmi lesquels les étudiants choisiront 2 pour obtenir les 8 crédits qui restent, selon leur orientation professionnelle, c’est-à-dire le métier
de guide ou d’agent de voyage (conseiller en voyage ou chef de produit)
Trang 232.4 La place de notre recherche dans la réforme des cursus du Département
L’équipe de concepteurs de l’option Tourisme dont nous faisons partie a décidé de respecter les étapes de la conception d’un programme de formation suggérées par Vignard (2011) et citées par Nguyen Thi Cuc Phuong (2012) : 1) élaboration d’un référentiel d’activités professionnelles à l’aide des experts du métier ; 2) élaboration des référentiels de compétences professionnelles à partir des activités répertoriées : 3) élaboration d’un référentiel de formation
Pour une étude des besoins, nous avons d’abord réalisé une pré-enquête pour trouver les métiers du tourisme qui recrutent de nombreux licenciés de français, et nous en avons trouvé trois : guide touristique, conseiller en voyage et chef de produit Ainsi, l’option Tourisme que nous concevons devra préparer le mieux possible les licenciés de français à la pratique de ces métiers
Une première maquette de ce programme a été conçue, après consultation de nombreux experts du domaine Parallèlement à cela, nous avons réalisé des entretiens avec une vingtaine de professionnels du tourisme appartenant à ces trois groupes de métier afin de construire le référentiel d’activités professionnelles, que suivra le référentiel de formation Ensuite, le référentiel de formation servira à la conception des syllabus de chacun des cours
de l’option Tourisme
Ayant choisi au départ de travailler en didactique du français général, nous avons réorienté l’objet d’études de la thèse, afin qu’elle soit plus utile pour notre établissement Notre travail, qui consiste à concevoir et à expérimenter un module de formation à l’exposé oral pour futurs guides touristiques par des Situations-Problèmes, trouvera son plein sens au sein du projet de conception de l’option Tourisme du Département : d’une part, le module, une fois validé et amélioré, pourra être intégré dans le cours « Communication touristique, orientation métier
de guide » (prévu pour 3 crédits sur un total de 39 crédits du programme) D’autre part, la démarche de conception deviendra un modèle pour la scénarisation des contenus des autres cours du programme
2.5 Conclusion du chapitre 2
La capacité de communication orale en langue étrangère est le premier critère exigé par les agences lors du recrutement d’un guide Or, le jeune guide francophone, avec son bagage linguistique – le niveau B2 du CECR à la sortie de l’université – et professionnel – le brevet
du guide en vietnamien – n’arrive pas encore à produire des exposés de qualité en langue
Trang 24française Une licence en français à option Tourisme, qui fournit aux étudiants des connaissances des métiers du tourisme, et qui les met en pratique au travers de situations professionnelles typiques de quelques métiers les plus choisis par les licenciés à la sortie de l’université, tels que conseiller en voyage et guide accompagnateur, répondra mieux aux besoins du marché de travail Dans sa politique de réforme des cursus, afin de mieux attirer les bacheliers à l’entrée de l’université, l’Université de Hanọ a choisi de concevoir des formations professionnalisantes, dont la licence en français à option Tourisme La conception d’une telle formation doit passer obligatoirement par l’analyse des besoins du marché de travail, et cette analyse des besoins a révélé que former les futurs guides à l’exposé oral en français est un des contenus indispensables de ce programme
Trang 25Chapitre 3 : Délimitation du champ de recherche
Visant comme objectif l’enseignement de l’exposé oral selon l’approche par les genres et via les situations-problèmes, notre recherche se trouve à la croisée de domaines de recherche différents, à savoir la didactique du français langue étrangère et les sciences de l’éducation
Ce chapitre permettra dans une première partie de situer notre recherche dans ces deux vastes domaines et, dans une deuxième partie, de passer en revue les recherches similaires ou proches de la nôtre Ce travail nous aide non seulement à orienter nos lectures et notre recherche, mais aussi à trouver la signification de notre sujet de recherche dans les domaines auxquels il appartient
3.1 En didactique du français langue étrangère
3.1.1 Français de spécialité ou français sur objectifs spécifiques ?
Ayant choisi comme objet d’études l’exposé oral du guide-interprète des voyages organisés, au service d’une formation professionnalisante à la fin du parcours universitaire, nous sommes amenée à situer notre sujet de recherche dans le champ de la didactique du français langue étrangère, afin de pouvoir adopter une démarche pertinente dans l’analyse des besoins et la conception du dispositif
Dans le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Cuq (2003)
ne fait pas vraiment de différence entre le Français sur Objectifs Spécifiques (désormais FOS) et le Français de Spécialité (désormais FS) en considérant que le deuxième est une suite
du premier Pour Cuq, en FOS, l’objectif de la formation linguistique n’est pas la maîtrise de
la langue en soi, mais l’accès à des savoir-faire langagiers dans des situations de communication professionnelles ou académiques Le FOS a commencé à évoluer dans les années 1970, à partir du français instrumental en Amérique latine et du français de spécialité conçu pour les étudiants des filières scientifiques en France Il s’oppose au français général par son objectif restreint, la modalité intensive et le temps court de l’apprentissage Il demande aussi un processus d’élaboration particulier des programmes d’enseignement qui doit commencer par l’analyse des besoins : recenser les situations de communication cibles et les discours, écrits ou oraux qui y sont réellement tenus, collecter des données langagières authentiques, les sélectionner, les traiter et les transformer en supports de formation linguistique
Cuq distingue deux formes de mise en œuvre du FOS : la première est la construction d’un programme sur demande, presque au cas par cas, pour un public qui a un objectif
Trang 26professionnel ou universitaire très clair La deuxième s’attache à une profession ou à une discipline moins clairement déterminées, le matériel pédagogique se présentant alors comme une méthode de langue centrée sur une spécialité permettant de couvrir un spectre plus large, visant un public moins diversifié C’est le cas, par exemple, des méthodes de français intitulés de l’hôtellerie, du français médical ou du français des affaires
Si l’on suit cette typologie de Cuq, le module que nous allons concevoir fait partie du FOS, plutôt de la première catégorie
Mangiante & Parpette (2004) font la distinction entre le français de spécialité et le français sur objectifs spécifiques (FOS) Selon ces auteurs, le français de spécialité des méthodes met l’accent sur une spécialité (le français médical, le français juridique, le français d’agronomie…) ou une branche d’activité professionnelle (le tourisme, l’hôtellerie, les affaires…) Le FOS, en revanche, peut couvrir toutes les situations, que celles-ci soient ancrées ou non dans une spécialité Tel est le cas des cours qui préparent les futurs étudiants
en France, toutes spécialités confondues, à des techniques universitaires comme la compréhension des cours magistraux, la prise de notes ou les exposés oraux Si l’on considère notre recherche de ce point de vue, on pourrait considérer qu’elle fait partie du français du français de spécialité, plus précisément du français du tourisme Sur le plan institutionnel et didactique, Mangiante & Parpette (2004) montrent qu’il s’agit de deux approches différentes: celle de l’offre pour le français de spécialité et celle de la demande du FOS Pour toucher un public le plus large possible, les institutions qui offrent des cours de français de spécialité adoptent une approche globale d’une discipline ou d’une branche professionnelle Elles tentent de rendre compte de la diversité du champ traité Ainsi, une méthode de français du tourisme peut présenter des situations de travail d’un guide, d’un conseiller en voyage, d’un réceptionniste ou d’un restaurateur… Le FOS, au contraire, travaille au cas par cas, ou en d’autres termes, métier par métier, en fonction des demandes et des besoins d’un public bien précis Par conséquent, les programmes de français de spécialité sont beaucoup plus connus que ceux de FOS ; ils font l’objet d’ouvrages publiés chez des éditeurs de renom, tandis que
dans les programmes de FOS, les concepteurs font du patchwork à partir des matériels
existants plus diversifiés, pour répondre le mieux possible aux besoins d’un public bien visé, ciblé de façon plus précise
L’élaboration des cours spécifique de l’orientation Tourisme de notre Département correspond à une approche de l’offre Or, pour son caractère professionnalisant, le
Trang 27programme vise à former à quelques métiers du tourisme, et le module que nous devons concevoir est exclusivement réservé aux futurs guides, donc à un public limité qui exerce un métier précis La situation professionnelle étudiée dans notre recherche est aussi spécifique
au métier de guide
Pour toutes ces raisons, nous concluons que notre recherche présente des caractères du FOS, dans la mesure ó il s’adresse à un métier bien précis : les guides francophones vietnamiens et étudie une situation professionnelle bien particulière de ce métier
Le dispositif que nous allons concevoir repose sur l’approche par situation-problème, dans laquelle les apprenants sont appelés à résoudre des problèmes authentiques dans leur future vie professionnelle, donc à réaliser des tâches concrètes d’un vrai guide Cette approche rentre parfaitement dans la nouvelle tendance en didactique des langues en général et celle du français langue étrangère en particulier que nous présenterons dans la partie suivante
3.1.2 La didactique actionnelle du français langue étrangère
Les années 2000 ont ouvert une nouvelle voie dans la didactique des langues-cultures, avec l’arrivée du CECR (Cadre européen commun de référence pour les langues, désormais
le Cadre) du Conseil de l’Europe Désormais, concepteurs de programmes et de manuels, évaluateurs et enseignants parlent de perspective actionnelle
La perspective privilégiée ici est, très généralement aussi de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier Si les actes de parole se réalisent dans des actions langagières, celles-ci s’inscrivent elles-mêmes à l’intérieur d’actions
en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification
(Conseil de l’Europe, 2001, p.15)
De la communication, on passe à l’action, et certains chercheurs parlent même de action Le but de l’apprentissage est d’acquérir non seulement les compétences langagières mais aussi et surtout celles de l’agir social L’apprenant a aussi changé de rơle pour devenir
co-un usager de la langue, co-un acteur social qui entre en interaction avec les autres et agit avec eux
Selon Puren (2007), les unités pédagogiques doivent être conçues comme des unités d’action et non pas de communication Les documents doivent être mis au service de l’agir,
Trang 28c’est-à-dire en fonction des tâches et des actions, et pas l’inverse Les compétences langagières doivent être mises au service de l’action et pas de la communication La communication doit être mise au service de l’action et pas l’inverse Enfin, le tout (communication et action) doit être replacé dans l’agir d’enseignement-apprentissage
Qu’est-ce que la tâche ? Il y a « tâche » dans la mesure ó l’action est le fait d’un (ou de plusieurs) sujet(s) qui y mobilise(nt) stratégiquement les compétences dont il(s) dispose(nt)
en vue de parvenir à un résultat déterminé La perspective actionnelle prend donc aussi en compte les ressources cognitives, affectives, volitives et l’ensemble des capacités que possède et met en œuvre l’acteur social
L’usage d’une langue, y compris son apprentissage, comprend les actions accomplies par des gens qui, comme individus et comme acteurs sociaux, développent un ensemble de compétences générales et, notamment, une compétence à communiquer langagièrement Ils mettent en œuvre les compétences dont ils disposent dans des contextes et des conditions variées et en se pliant à différentes contraintes afin de réaliser des activités langagières permettant de traiter (en réception et en production) des textes portant sur des thèmes à l’intérieur de domaines particuliers, en mobilisant les stratégies qui paraissent le mieux convenir à l’accomplissement des tâches à effectuer Le contrơle de ces activités par les interlocuteurs conduit au renforcement ou à la modification des compétences
Les compétences générales individuelles du sujet apprenant ou communiquant reposent notamment sur les savoirs, savoir-faire et savoir-être qu’il possède, ainsi que sur ses savoir-apprendre
Une revue rapide de la nouvelle approche dans le domaine de la didactique du français langue étrangère permet de trouver le sens de notre recherche
D’abord, notre recherche vise un public de futurs guides qui utilisera le français dans leur vie professionnelle Le guide francophone est un acteur social en interaction avec d’autres acteurs, comme des touristes, des chauffeurs, des tour-opérateurs, des vendeurs… Il a de multiples tâches à réaliser : accueillir les touristes, les accompagner à l’hơtel, les installer, les guider pendant leurs visites… Chacune de ces tâches exige du guide de mettre en œuvre non seulement des compétences langagières, en français et en vietnamien, mais aussi des compétences générales (comme en communication interculturelle) et professionnelles (guidage, organisation d’un circuit…) Chaque action a lieu dans un environnement donné
Trang 29(un endroit donné, avec des touristes venant d’un pays francophone, le circuit est organisé par une agence réceptrice donnée) et appartient à un domaine d’action précis, ici c’est le tourisme récepteur Le contexte donne au guide des contraintes (temporelle, spatiale, humaine…) Nous rendrons compte de ces contraintes lors de la conception de nos situations-problèmes Les activités langagières que le guide a à réaliser sont à la fois réceptrices et émettrices, et de type oral dans la plupart des cas Nous avons choisi de nous centrer sur un type de texte qui pose des difficultés pour les jeunes guides : l’exposé oral Pour réussir ses tâches, le guide doit mobiliser des ressources (documentation en vietnamien et en français, les expériences personnelles ou de ses collègues, les aides des touristes…) et utiliser des stratégies différentes Ces ressources et stratégies font justement l’objet d’apprentissage de notre formation
Afin de monter le dispositif, nous procèderons d’abord l’analyse de l’exposé oral comme
un genre discursif Après, lors de l’enseignement, nous ferons découvrir les caractéristiques
de ce genre bien particulier qu’un guide doit produire dans ses activités professionnelles Cette entrée par le genre que nous avons choisie n’est pas du tout nouvelle en didactique du français langue étrangère La partie suivante situera notre recherche dans ce champ
3.1.3 L’approche par genres de discours en didactique du français langue étrangère
L’approche par genres de discours est connue dans l’enseignement des langues sur objectifs spécifiques, dans le monde anglophone comme en France L’arrivée du CECR fait revenir cette approche dans la didactique du FLE En effet, selon Beacco (2013), apprendre une langue revient à gérer le dépaysement discursif qui résulte du contact entre deux cultures discursives, celle de la communauté discursive d’origine des apprenants et celle de la langue cible Les nouveaux référentiels de l’enseignement des langues issus du CECR comme le
Niveaux pour le français utilisent les catégories de genre de discours et de répertoires de
discours au niveau le plus englobant, les autres catégorisations sont d’ordre inférieur dans la hiérarchie des spécifications emboîtées qui en constituent l’armature Un niveau de compétence communicationnel en français langue étrangère est aussi caractérisé par le répertoire des discours que l’on souhaite voir les apprenants se constituer Par conséquent, la structuration des contenus doit reposer non sur des thèmes, des champs lexicaux, des structures syntaxiques… mais sur des textes relevant des genres discursifs, tout en prenant en considération qu’un genre peut être compris ou produit à de différents niveaux
En inscrivant notre recherche dans ce nouveau courant, nous espérons non seulement tirer profit de la théorie sur les genres discursifs en didactique du français langue étrangère et
Trang 30première, mais aussi de contribuer à la structuration des contenus dans l’enseignement d’un genre de discours particulier : celui de l’exposé oral du guide
3.2 En sciences de l’éducation
D’abord, notre recherche relève de la formation professionnelle, car nous étudions l’enseignement d’un genre discursif (l’exposé oral) d’un métier (le guide-interprète francophone au Vietnam) Nous allons recourir aux notions propres à cette branche d’études comme la formation formelle et informelle, l’observation des pratiques professionnelles et le rôle de la représentation identitaire dans la construction d’un contrat de communication entre
le guide et les touristes dans des contextes professionnels bien précis
Certes, notre objet d’étude est une branche du français sur objectifs spécifiques, mais la recherche ne se situe pas entièrement dans le champ de la didactique des langues étrangères : elle relève aussi de LA didactique – une sous-discipline qui étudie les relations entre l’enseignement et l’acquisition des connaissances La démarche que nous avons adoptée est
de concevoir un référentiel des pratiques de référence à l’exposé oral du guide, et ce à partir des observations de terrain Cette démarche sera appuyée par des théories qui relèvent des théories de l’apprentissage comme : la transposition didactique, la scénarisation des contenus
et l’ingénierie de la formation (plus précisément la conception des parcours pédagogiques et les curricula)
Les situations-problèmes que nous allons concevoir et expérimenter sont des situations didactiques qui relèvent de l’approche socioconstructiviste et interactive Leur conception et utilisation méritent des réflexions autours des notions propres aux sciences de l’éducation comme le travail de groupe et le conflit sociocognitif, la zone proximale de développement, etc
Le discours que nous allons analyser est l’exposé oral du guide touristique Nous allons chercher à comprendre aussi la façon dont les guides préparent ces exposés Tout cela relève
de l’analyse des pratiques, et ce dans les métiers de l’interaction humaine
Nous travaillons aussi sur la notion de ressource et la mobilisation des ressources, ce qui est particulièrement important dans l’auto-formation chez les nouveaux entrants au métier, selon Adé & Lescouarch (2015) Nous abordons aussi les notions de formation formelle et informelle pour comprendre le profil d’apprenant de notre public
Trang 313.3 Regard rétrospectif sur les recherches du même domaine
3.3.1 Didactique du français du tourisme
Le français du tourisme, qu’il soit étudié sous l’angle du français de spécialité ou du français sur objectifs spécifiques, a été l’objet de nombreuses recherches en didactique du français langue étrangère
Sur le plan de l’analyse discursive, nous avons recensé surtout des recherches qui travaillent sur les discours écrits : guides touristiques, publicités… que ce soit pour analyser l’identité et l’altérité ainsi que des modalités d’invitation au voyage comme chez Baider, Burger & Goutsos (2004), des configurations de stéréotypes comme chez Bova (2000), ou simplement pour en faire une typologie textuelle et discursive pour une visée pédagogique comme chez Cantón Rodríguez (2006) Seule la thèse de Bakah (2010) analyse le discours oral du guide, mais dans une perspective comparative avec les scripteurs-guides La comparaison de Bakah repose sur trois aspects : les thèmes abordés, la polyphonie et les déictiques (de personne, de non-personne, temporels et spatiaux) marquant ces discours Le choix des éléments à analyser est effectué alors à partir de la régularité de ces éléments
Sur le plan de la conception de dispositifs de formation au français du tourisme pour un public d’apprenants vietnamiens, quelques mémoires de master récemment défendus au Vietnam et en Belgique ont essayé de proposer des activités pédagogiques : à partir des analyses des compétences discursives et interculturelles dans les manuels de français du tourisme (Demonty, 2006), par une approche méta-communicative pour maîtriser les imprévus dans un contexte de communication interculturelle (Lambert, 2007), sous forme de jeux de rôle et de simulation globale pour renforcer les interactions orales dans les situations professionnelles du tourisme (Tran Thi Thu Hien, 2012) Ce qui est à noter ici, c’est que ces activités, hormis celles proposées par Nathalie Lambert, n’ont pas été expérimentées en classe, et les supports choisis pour travailler sont essentiellement des textes Seule Tran Thi Thu Hien a choisi de travailler sur l’oral, mais n’a pas proposé de support Bakah (2010), quant à lui, a proposé des thèmes et sous-thèmes à traiter pour un programme de formation au discours oral du guide Or, ce choix n’a pas été effectué à partir de ses analyses discursives
En plus de ces thèmes, Bakah a conçu aussi quelques fiches pédagogiques utilisant des ressources orales et écrites tirées de ses corpus Les approches proposées par Bakah sont variées (analyse langagière, par compétence, simulation) mais les propositions pédagogiques n’ont pas été validées non plus par expérimentation
Trang 32Parmi les scénarios conçus et expérimentés en français du tourisme pour le public d’apprenants vietnamiens, nous nous intéressons particulièrement à celui proposé en 2000 par Frédéric Broisson, responsable de l’antenne de l’AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) à Danang Le module s’adresse à un public bien précis : des étudiants de la filière Tourisme de l’AUF, qui vont faire un stage pratique dans un salon de tourisme en France A partir d’une enquête préliminaire pour mieux cerner le profil et les attentes du public, le concepteur propose un module de formation qui comprend : une simulation globale qui fait vivre les situations probablement rencontrées au cours du stage, une analyse des écrits touristiques, à caractère promotionnel et non promotionnel, et des exercices qui visent une analyse discursive de ces écrits Or, même si la simulation globale proposée contient quelques séquences orales (présentation d’arguments, questions et débat, présentation des sites à partir des brochures fabriquées par les étudiants eux-mêmes), l’objet d’études principal est toujours le discours écrit dans le domaine touristique (compréhension et production)
3.3.2 L’application des Situations-Problèmes dans l’enseignement des langues
Si l’on doit les premiers fondements de l’approche par Situation-Problème à John Dewey (philosophe, pédagogue américain, 1859-1952), en France, c’est d’abord dans le domaine de l’enseignement des sciences que ces situations didactiques sont définies et appliquées, avec Meirieu (1989) ou Fabre (1999) Arsac, Germain & Mante (1991) ont fait aussi la distinction entre problème ouvert et situation-problème, et ce dans l’enseignement des sciences Il n’est pas donc étonnant de voir les premières applications de cette approche dans l’enseignement des sciences (mathématiques, EPS) En sciences humaines, Dalongeville & Hubert (1989, 2000) et Dalongeville (2007) ont fait publier des ouvrages sur l’utilisation des situations-problèmes pour enseigner l’histoire au lycée
Pour généraliser les situations-problèmes dans l’enseignement de plusieurs matières au secondaire, des ouvrages plus pratiques comme celui de De Vecchi & Carmona-Magnaldi (2007) expliquent, avec des mots faciles, aux enseignants ce qu’est une situation-problème,
sa conception et ses démarches et donnent des exemples d’application non seulement en mathématiques et en physique, mais aussi en sciences de la vie et de la terre, en éducation musicale, physique et sportive, et même en français
Tout ceci pour dire que la situation-problème trouve son origine dans l’enseignement des sciences et c’est à partir des années 2000 seulement qu’on commence à l’appliquer dans l’enseignement du français langue maternelle, à l’école maternelle pour enseigner la lecture
Trang 33(Balslev et al., 2005), ou encore pour enseigner la grammaire, l’orthographe et le vocabulaire
à l’école primaire (De Vecchi & Carmona-Magnaldi, 2007)
Dans l’enseignement du français langue étrangère, au même moment ó l’on parle de situation-problème dans l’enseignement secondaire en France et ailleurs, la méthode utilisée est l’approche communicative On ne parle pas de situation-problème mais plutơt de jeux de rơle, de simulation globale et un peu plus tard, de l’approche par projet et par tâche C’est là
ó les deux chemins se croisent, et l’on fera une note théorique sur ce point dans un chapitre ultérieur
3.4 Conclusion du chapitre 3
Désirant faire une recherche dans le domaine de la didactique du français langue étrangère dans le cadre d’une formation professionnalisante, nous nous retrouvons à la croisée de la didactique du français sur objectifs spécifiques et des sciences de l’éducation Si les théories
en didactique du FOS, en psychologie cognitive et en analyse des pratiques professionnelles éclairciront la première partie de notre recherche (l’analyse du discours du guide), les théories
de la perspective actionnelle, en ingénierie du FOS et sur la situation-problème nous aideront dans la conception des situations didactiques au service de l’apprentissage de ce genre de discours professionnel du métier de guide
La revue des tendances de recherche et des travaux du même domaine nous a permis de trouver la pertinence de notre recherche : l’analyse de l’exposé oral du guide touristique comme un genre discursif et l’utilisation de la situation-problème en didactique de français sur objectifs spécifiques
Trang 34Chapitre 4: L’analyse du discours dans l’enseignement des langues
Dans ce chapitre, afin de définir notre objet d’étude, nous ferons dans un premier temps un tour d’horizon de la notion de discours, puis dans un deuxième temps nous analyserons les typologies des genres discursifs Ensuite, nous nous focaliserons sur la théorie de contrat de communication de Charaudeau comme un moyen pour déterminer un genre discursif Dans la quatrième partie, nous tracerons le parcours par lequel les genres discursifs sont devenus des objets d’enseignement en français langue maternelle et français langue étrangère Et puis dans la cinquième partie, nous ferons la synthèse des modèles d’analyse des discours professionnels, la base de la conception des modules d’apprentissage du français à visée professionnelle afin de choisir les éléments les plus pertinents pour notre analyse et de justifier le choix de notre méthode d’analyse La dernière partie sera consacrée à des caractéristiques de l’analyse du discours oral, ce qui est le cas de notre recherche qui aborde l’exposé oral du guide touristique francophone
4.1 La notion de discours
Les philosophes classiques faisaient déjà référence à la notion de discours en opposant la connaissance discursive – résultat d’un enchaînement rationnel de raisons et appartenant donc
à des hommes de science – et la connaissance intuitive, plus immédiate et essentiellement
acquise par les acteurs en action
En linguistique, le discours est défini à travers son opposition avec la phrase, la langue, le texte et l’énoncé
• Discours vs phrase : le discours est une unité linguistique constituée d’une
succession de phrases C’est dans ce sens qu’on parle de la « grammaire du
discours » par opposition à la « grammaire de la phrase » L’« analyse du discours » à l’heure de Harris (cité par Maingueneau & Charaudeau, 2002) prenait ce sens Aujourd’hui, on utilise l’expression « linguistique textuelle » à
sa place
• Discours vs langue : si la langue est un système de valeurs virtuelles, le
discours, tout proche de la parole chez Saussure, est la réalisation de la langue dans un contexte particulier, qui filtre ces valeurs et en suscite de nouvelles Cette notion a été avancée par Gardiner (cité par Maingueneau & Charaudeau, 2002), qui oriente « discours » vers la valeur sociale : « le discours est l’utilisation, entre hommes, de signes sonores articulés, pour communiquer
Trang 35leurs désirs et leurs opinions sur les choses », alors que d’autres linguistes, comme Guillaume (Maingueneau & Charaudeau, 2002) optent pour sa valeur mentale
• Discours vs texte : le discours est l’inclusion du texte et son contexte (de
production et de réception), selon Adam (1990)
• Discours vs énoncé : si l’on appréhende une unité transphrastique comme une
unité linguistique, cela fera un énoncé D’autre part, et si l’on appréhende cette unité comme la trace d’un acte de communication socio-historiquement déterminé, cela fera un discours Comme a dit Guespin (cité par Maingueneau
& Charaudeau, 2002) : « Un regard jeté sur un texte du point de vue de sa structuration en langue en fait un énoncé ; une étude linguistique des conditions de production de ce texte en fera un discours »
Maingueneau, dans le Dictionnaire de l’analyse du discours (Mainguenau & Charaudeau,
2002) définit le discours à travers ses caractéristiques:
- Le discours suppose une organisation transphrastique Ceci s’oppose à la définition classique de Harris selon laquelle le discours est constitué d’une succession de phrases (cité par Mainguenau & Charaudeau, 2002) Une phrase peut former un discours si elle est une unité discursive complète, c’est-à-dire si elle est soumise à des règles d’organisation en vigueur dans une communauté déterminée, celles des multiples genres
de discours: règles portant sur le plan de texte, sur la longueur de l’énoncé, etc
- Le discours est orienté, car il est conçu en fonction d’une visée du locuteur et se développe dans le temps Le locuteur, conscient de cette linéarité, guide les interlocuteurs par un jeu d’anticipation, même si ce guidage s’effectue dans des conditions très différentes, selon la situation, selon que l’énoncé est tenu par un seul locuteur ou par plusieurs : dans le premier cas, il est contrôlé, au moins dans les séquences, dans le deuxième, il peut être dévié ou interrompu par les interlocuteurs
- Le discours est une forme d’action Toute énonciation constitue un acte qui vise à modifier une situation A un niveau supérieur, ces actes s’intègrent à des activités langagières d’un genre déterminé, elles-mêmes en relation avec des activités non verbales
- Le discours est interactif Toute énonciation, même produite sans la présence du destinataire, est en fait prise par une interactivité constitutive, elle est un échange, implicite ou explicite, avec d’autres locuteurs, virtuels ou réels, elle implique toujours la
Trang 36présence d’une autre instance d’énonciation à laquelle s’adresse le locuteur et par rapport
à laquelle il construit son propre discours
- Le discours est contextualisé : il n’y a de discours que contextualisé On ne peut véritablement assigner un sens à un énoncé sans contexte Le discours contribue aussi à définir le contexte et peut le modifier en cours d’énonciation
- Le discours est pris en charge Le discours n’est discours que s’il est rapporté à une instance qui à la fois se pose comme source de repérages personnels, temporels, spatiaux
et indique quelle attitude elle adopte à l’égard de ce qu’elle dit et de son interlocuteur (processus de modalisation)
- Le discours est régi par des normes Il s’agit des normes sociales générales et des normes spécifiques régies par les lois du discours : tout acte de parole se déroule dans un « cadre juridique et psychologique imposé » selon Ducrot (cité par Maingueneau & Charaudeau, 2002)
- Le discours est pris dans un interdiscours Chaque genre de discours a sa manière de gérer
la multiplicité des relations interdiscursives Le seul fait de ranger un discours dans un genre implique qu’on le mette en relation avec l’ensemble illimité d’autres discours
4.2 Typologies des genres discursifs
L’analyse du discours repose sur le classement des discours produits dans la société Classer les discours est aussi une composante de la compétence de communication des locuteurs, selon Mainguenau (Maingueneau & Charaudeau, 2002) : elle permet de comprendre les textes, d’en reproduire et de les faire circuler dans la société
4.2.1 Typologies traditionnelles
Dans la tradition littéraire, on définit le genre selon :
- Des critères de composition, de forme et de contenu (poésie, théâtre, roman, essai… et puis des sous-genres à l’intérieur de ceux-ci) ;
- Des critères qui renvoient à différentes façons de concevoir la représentation de la réalité (genres romantique, réaliste…) ;
- Des critères qui renvoient à la structure des textes et à l’organisation énonciative : le fantastique, l’autobiographie…
Le problème posé ici est qu’un même type de texte peut cumuler plusieurs de ces critères
de façon homogène ou hétérogène, et comme les critères sont tellement variés et s’entrecroisent parfois, cela rend les classements complexes et parfois flous
Trang 374.2.2 Vers une typologie des typologies
Petitjean (cité par Mainguenau & Charaudeau, 2002) propose une typologie des typologies Selon lui, il existe trois types de typologies :
- Les typologies homogènes s’appuient sur une base unique pour élaborer une grille
abstraite, distincte des textes concrets C’est le cas par exemple d'Adam (1990) qui distingue, sur la base des procédures cognitives, divers types fondamentaux : descriptif, narratif, argumentatif… Ainsi, il propose un niveau intermédiaire entre la phrase et le texte appelé séquentiel ayant une valeur prototypique de récit, description, argumentation, etc A son instar, plusieurs auteurs parlent de « genres textuels »
- Les typologies intermédiaires recourent à des critères hétérogènes mais en les organisant
dans un « foyer classificatoire » : essentiellement énonciatif, l’intention de communication ou les conditions de production
- Les typologies hétérogènes associent les critères relevant de foyers classificatoires
distincts : intention communicative, thématique, médium, monde énonciatif… C’est de cette façon que l’on analyse des genres de discours, c’est-à-dire des dispositifs de parole socio-historiquement institués : le journal télévisé, la consultation médicale, le fait divers,
la dissertation littéraire…
4.2.3 Typologies proposées par Mainguenau
Mainguenau (Mainguenau & Charaudeau, 2002) distingue trois types de typologies :
- Les typologies énonciatives, qui se fondent sur la relation entre l’énoncé et sa situation
d’énonciation La typologie fondatrice de ce courant est celle de Benveniste (1966) qui s’appuie sur l’ « appareil formel de l’énonciation » pour distinguer l’histoire (le récit) et
le discours J.-C Beacco et S Moirand prolongent ce point de vue par des analyses tentant de décrire les genres à travers les caractéristiques formelles des textes et en rassemblant les marques les plus récurrentes Bronckart (1996) distingue les types de
discours en combinant deux critères 1- implication vs autonomie par rapport à la situation d’énonciation 2- conjonction (exposer) vs disjonction (raconter) Il a trouvé quatre types
de discours fondamentaux qui sont : le discours interactif (exposer / impliqué), le récit interactif (raconter / impliqué), le discours théorique (exposer / autonome) et la narration (raconter / autonome)
- Les typologies situationnelles : les classements reposent sur le domaine d’activité sociale
dans lequel s’exerce le discours Ainsi, on tient compte des zones de la société (l’école,
Trang 38les loisirs, les médias…), et les discours peuvent être classés selon le lieu de production (les genres de discours à l’école, à l’hơpital…) ou le secteur (les genres journalistiques, les genres politiques…) On distingue aussi les genres institutionnalisés (comme les cours
à l’école) des genres effectifs (les conversations entre les cours) Certaines typologies reposent sur le statut des participants du discours et leur relation (supériorité / infériorité, différences d’âge, appartenance ou non à un groupe ethnique…) D’autres reposent sur des positionnements idéologiques : on parle alors du discours communiste ou patronal à telle ou telle époque
- Les typologies fonctionnelles ou communicationnelles : certains analystes essaient
d’établir des fonctions de base de l’activité langagière à partir desquelles les productions textuelles peuvent être classées selon le pơle de l’acte de communication vers lequel elles sont orientées Jakobson (1963) dans le schéma de communication propose les fonctions
émotive, conative, phatique, poétique et référentielle Halliday (1973), d’une façon plus sociologisée, propose les fonctions instrumentale, interactionnelle, personnelle, heuristique, imaginative, idéationnelle, interpersonnelle, etc La littérature anglo-saxonne
distingue souvent deux fonctions majeures : transactionnelle, qui correspond à l’expression des contenus, et interactionnelle (ou interpersonnelle) à l’expression de relations sociales et d’attitudes personnelles, selon Brown et Yule (cité par Mainguenau
& Charaudeau, 2002) Pourtant, cette classification se heurte à plusieurs problèmes : les fonctions communicatives ne correspondent pas forcément aux intentions communicatives des locuteurs, et un même discours peut associer plusieurs fonctions Pour Bakhtine (1984), les genres dépendent de la « nature communicationnelle » de l’échange verbal ; de là, il définit deux grandes catégories : les productions « naturelle », spontanées, appartenant aux « genres premiers », et des productions « construites », institutionnalisées, appartenant aux « genres seconds », qui dériveraient des premiers Pour Maingueneau et Cossuta, il s’agit de repérer et décrire des types de discours qui
prétendent à un rơle fondateur, appelés constituants comme le discours religieux,
scientifique, philosophique, littéraire, juridique Charaudeau (2000) cherche à ancrer le discours dans le social, mais aussi dans une filiation plus psychologique Cet auteur détermine les genres au point d’articulation entre « les contraintes situationnelles déterminées par le contrat global de communication », « les contraintes de l’organisation discursive » et « les caractéristiques des formes textuelles », repérables par la récurrence des marques formelles Pour cet auteur, les caractéristiques des discours dépendent essentiellement de leurs conditions de production situationnelles ó sont définies les
Trang 39contraintes qui déterminent les caractéristiques de l’organisation discursive et formelle, les genres de discours sont des « genres situationnels »
Nous optons pour la typologie de Charaudeau car, même si elle est plus orientée vers les conditions de production du discours que vers la forme des textes, cette définition arrive à aborder le genre discursif de la façon la plus complète, en se basant sur ses aspects multiples : l’ancrage social du discours, sa nature communicationnelle, ses régularités compositionnelles
et ses caractéristiques formelles En plus, ces aspects sont indissociables, et se conditionnent les uns les autres
4 3 La théorie de contrat de communication de Charaudeau
Si le discours est déterminé par son contrat de communication, il nous est nécessaire d’en comprendre les composantes, ce qui servira de base à l’analyse du genre de discours qui fait notre objet d’étude : l’exposé oral des guides francophones vietnamiens
En analyse du discours, le contrat de communication est considéré, selon Charaudeau (Mainguenau & Charaudeau, 2002) comme l’ensemble des conditions dans lesquelles se réalise tout acte de communication, quelle que soit sa forme, orale ou écrite, monolocutive ou interlocutive Il est ce qui permet aux partenaires d’un échange langagier de se connaître l’un
l’autre avec les traits identitaires qui les définissent en tant que sujets de cet acte (identité), de reconnaître la visée de l’acte qui les surdétermine (finalité), de s’entendre sur ce qui constitue l’objet thématique de l’échange (propos) et de considérer la pertinence des contraintes matérielles qui déterminent cet acte (circonstance) « Le contrat de communication définit
ces conditions en termes d’enjeu psychosocial par les biais de ses composantes situationnelles
et communicationnelles » (Charaudeau, 1995b) constituant ainsi chez les êtres de langage une
« mémoire collective » ancrée « socio-historiquement » Du point de vue du sujet interprétant, il est ce qui permet de comprendre, en partie, un acte de communication avant même d’en avoir perçu les détails De la sorte, cette théorie du contrat renvoie à une théorie des genres, car on peut dire que cet ensemble de contraintes apporté par le contrat est ce qui définit un genre de discours
4.3.1 L’identité du sujet du discours
Selon Charaudeau (2009), l’identité du sujet communiquant est composite Elle se compose des données biologiques (« on est ce qu’est notre corps »), de données psychosociales qui sont attribuées (« on est ce que l’on dit que vous êtes ») et de données construites par notre propre comportement (« on est ce que l’on prétend être ») Les
Trang 40composantes de l’identité du sujet communiquant se ramènent à deux: une identité sociale et une identité discursive Le discours n’est alors pas seulement le langage, sa signification dépendant d’une part de l’identité sociale de celui qui parle Or, cette identité sociale a aussi besoin d’être confortée, renforcée, recréée ou au contraire, occultée par le comportement langagier du sujet parlant L’identité discursive, de son côté, a aussi besoin du socle de l’identité sociale Le pouvoir d’influence du sujet parlant se construit donc de la combinaison
de ces deux identités
4.3.1.1 L’identité sociale
L’identité sociale est d’abord déterminée par la légitimité de la parole, dans une situation
de communication Le mécanisme par lequel on est légitimé est un mécanisme de reconnaissance d’un sujet par d’autres sujets, au nom d’une valeur qui est acceptée par tous
Ainsi, la légitimité dépend des normes institutionnelles dans chaque domaine de la pratique sociale Ces normes attribuent des statuts, des places et des rôles à ceux qui en sont investis Mais il y a aussi une autre légitimité, celle qui est attribuée de fait, par la seule force de la
reconnaissance, de la part des membres d’une communauté, de la valeur de l’un des leurs
L’identité sociale (plus précisément psycho-sociale car elle est empreinte des traits psychologiques) est donc un « attribué-reconnu », un « construit par avance » au nom d’un
savoir reconnu par institutionnalisation, d’un savoir-faire reconnu par la performance de
l’individu (expert), d’une position de pouvoir reconnu par filiation (être bien né) ou par attribution (être élu / décoré), d’une position de témoin pour avoir vécu l’événement ou s’être engagé
Mais l’identité sociale est aussi en partie déterminée par la situation de communication: elle doit aider le sujet parlant à répondre à la question: « Je suis là pour quoi dire, en fonction
de quel statut et de quel rôle qui m’est assigné par la situation ? » Cette identité sociale peut être aussi reconstruite, masquée ou déplacée par les sujets parlants
4.3.1.2 L’identité discursive
L’identité discursive a la particularité d’être construite par le sujet parlant en répondant à
la question: « Je suis là pour comment parler ? » Elle correspond alors à un double jeu de
« crédibilité » et de « captation »
Le jeu de crédibilité qui repose sur le besoin pour le sujet parlant d’être cru, soit par rapport à la vérité de son propos, soit par rapport à ce qu’il pense réellement, c’est-à-dire la