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La lecture de rousseau au vi t nam pendant la guerre froide

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La lecture de Rousseau au Việt Nam pendant la Guerre froide Toute traduction contient une vision particulière du monde, due l’époque où elle est faite et l’idéologie du pays d’où est originaire le traducteur Loin d’être simplement une démarque de l’œuvre originelle ou un brillant exercice littéraire qui rendrait dans une autre langue les qualités du premier texte, elle renferme une part active que lui influe plus ou moins consciemment ce dernier Nous souhaiterions aborder ici une telle production née au Việt Nam l’époque de la Guerre froide et de la guerre américano-vietnamienne Avant la traduction du Contrat social de Rousseau réalisée presque intégralement en 1960, des fragments de cette œuvre avaient été traduits par Nguyễn An Ninh en 1923 la maison d’édition Xưa Nay1 Il faudra attendre trente-deux ans pour qu’une autre traduction voie le jour, puis encore une trentaine d’années pour qu’en paraisse une nouvelle, cette fois après la chute du mur de Berlin et le besoin incontournable d’un renouveau politique et social dans le bloc de l’Est La traduction de Rousseau qui est publiée en 1960, est presque intégrale ; elle part dans la Bibliothèque philosophique du Ministère nationale de l’Éducation de la République du Việt Nam (Việt Nam du Sud) Cette bibliothèque bénéfice du programme de coopération entre ce Ministère et le Département américain de l’Économie au Việt Nam2 Cette publication dans le Việt Nam du Sud voit le jour après la prise du pouvoir par le président Ngơ Đình Diệm, en 1955, et l’établissement de la Constitution de 1956, qui est la deuxième du Việt Nam Il semble, au vu de ces dates, que la figure de Rousseau appart chacune des mutations civiles au Việt Nam, toute comme elle est apparue des périodes-clés de l’évolution de certains pays, comme la France ou l’Espagne3 Dans la déclaration d’indépendance de la République démocratique du Việt Nam que le président Ho Chi Minh fait Hanoi, place Ba Đình, le septembre 1945, devant une foule considérable, on peut lire : En 1922, Nguyễn An Ninh revient au Việt Nam pour participer au mouvement militant pour l’éducation du peuple qui vise rehausser le niveau culturel de celui-ci, et d’améliorer sa santé en vue de mener la lutte et de s’affranchir Il fonde en franỗais le journal La Cloche fờlộe condamnant légalement le régime colonial Le journal est interdit par conséquent En 1923, lors de son deuxième retour au pays, il procède la traduction en quốc ngữ des cinq premiers chapitres du Livre I du Contrat social de Rousseau paru dans La Cloche fêlée et réédité part La traduction du Contrat social vise vulgariser l’idée d’égalité : l’homme est né libre Il présente également la position de Rousseau sur l’État : l’État est une institution légitime quand il est fondé par le contrat social Ainsi, c’est Nguyễn An Ninh qui est le premier divulguer au Việt Nam la pensée de démocratie de Rousseau travers son œuvre Or sa traduction en vietnamien est interdite par les autorités coloniales, qui ont peur de l’influence rousseauiste sur le milieu intellectuel vietnamien d’alors, et de l’essor du mouvement révolutionnaire Ce sont les conférences et les interventions publiques données par Nguyễn An Ninh sur la démocratie, la liberté qui ont réveillé l’intellectuel et le peuple vietnamien Voir ce sujet Ngo Van, « Rousseau et quelques figures de la lutte anticolonialiste et révolutionnaire au Việt Nam », Études Jean-Jacques Rousseau, n° 10, 1998, p 269-286 et Nguy ễn Lan Huong, « Rousseau inspirant l’idéal annamite La traduction du Contrat social en vietnamien par Nguyễn An Ninh », Études Jean-Jacques Rousseau, n° 18, 2010-2011, p 293-300 Je tiens exprimer ma reconaissance envers les aides importantes et généreuses que Tanguy L’Aminot a bénévolement apporté mon écrit, qui ne serait pas accompli sans nos exchanges intéressantes au cours de sa rédaction Nguyễn Hữu Khang, Xã-Ước, Sài Gịn, Ấn-Qn Cơng-Lý [Imprimeur Cơng-Lý/Justice], 1960, 172 p Mais c'est le Bộ Quốc gia giáo dục [Ministère national de l'Education] qui est chargé de l'éditer En plus, ce texte s'inscrit dans la bibliothèque philosophique, issue de la coopération entre le Ministère de l'Éducation et le Département américain de l'économie (United States Operations Mission ou USOM, qui deviendra l’U.S Agency for International Development ou USAID) Voir Albert Schinz, État présent des travaux sur J.-J Rousseau, Paris, Belles Lettres, 1941, p « Tous les hommes naissent égaux Le Créateur nous a donné des droits inviolables, le droit de vivre, le droit d’être libres et le droit de réaliser notre bonheur" Cette parole immortelle est tirée de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique, en 1776 Prise dans un sens plus large, cette phrase signifie : tous les peuples sur la terre sont nés égaux ; tous les peuples ont le droit de vivre, d’être heureux, d’être libres La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de la Rộvolution franỗaise de 1791 proclame ộgalement : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » « Tất người sinh có quyền bình đẳng Tạo hóa cho họ quyền khơng xâm phạm được; quyền ấy, có quyền sống, quyền tự quyền mưu cầu hạnh phúc Lời bất hủ Tuyên ngôn Độc lập năm 1776 nước Mỹ Suy rộng ra, câu có ý nghĩa là: tất dân tộc giới sinh bình đẳng, dân tộc có quyền sống, quyền sung sướng quyền tự Bản Tuyên ngôn Nhân quyền Dân quyền Cách mạng Pháp năm 1791 nói : Người ta sinh tự bình đẳng quyền lợi và phải luôn tự bình đẳng quyền lợi »4 La traduction apportée par Hồ Chí Minh au texte anglais révèle clairement sa propre interprétation5 Au lieu de le suivre la lettre, l’auteur vietnamien emploie une expression nuancée et laïque Il choisit « sinh ra/naissent » au lieu de « tạo ra/ are created » ; « Tạo hóa » a plus le sens de « Démiurge universel » que celui de « Créateur » occidental, même si les traductions officielles ont conservé ce mot L’auteur vietnamien, en laïcisant ainsi la citation américaine en fait un texte fondamental du nouvel État « Tạo hóa », selon un dictionnaire vietnamien, est synonyme de celui de Nature Hồ Chí Minh insiste sur la Nature, plus que sur le Créateur impliquant la religion comme dans le texte américain Ce n’est pas non plus la Nature dans la compréhension occidentale du terme, considéré en tant que perspective environnementale ou comme arrière-plan de l’activité sociale, mais une nature Hồ Chí Minh, Écrits (1920-1969), Hanoi, Éditions en langues étrangères, 1971, p 51 Le texte américain de la Déclaration d’Indépendance est le suivant : « […] that all Men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty, and the pursuit of Happiness » Commentant l’événement, Jean Sainteny, ancien Commissaire de la République au Tonkin, écrit : « Dans mon télégramme Kun-ming, j’ai chiffré plusieurs centaines de milliers le nombre de manifestants qui participèrent cette fête du septembre En fait, il était très difficile de procéder une évaluation précise Les provinces étaient représentées, leurs délégations défilant en costumes régionaux De nombreux prêtres catholiques participèrent également en bonne place cette manifestation L’ordre dans lequel eut lieu le défilé, et principalement l’absence de cris séditieux ou hostiles, en fut l’un des aspects les plus remarquables » (Histoire d’une paix manquée Indochine 1945-1947, Paris, Amiot-Dumont, 1953, p 92-93) Jean Lacouture ajoute que si Hồ Chí Minh, lui-même, « avait mis et devait mettre plus tard une sourdine aux propos francophobes de certains de ses compagnons », sa harangue du septembre n’est « qu’un long cri contre la France » (Hô Chi Minh, Paris, Seuil, 1967, p 91) 53 Martin Heidegger a vu juste quand il dit : «Toute traduction est en elle-même une interprétation [ ] Conformément leur essence, l’interprétation et la traduction ne sont qu’une et même chose » Cité d’après A Berman, La Traduction et la Lettre l’Auberge du lointain, Paris, Seuil, 1999 p 19, nous soulignons en italique Pareillement, Walter Benjamin, en refusant l’objectivité de la connaissance, prouve qu’« aucune traduction ne serait possible si son essence ultime était de vouloir ressembler l’original » (W Benjamin, p 249) Pour lui, la vérité ou les ultimes secrets, s’ils existent, se situent dans le langage G Steiner considère qu’« l’intérieur d’une langue ou d’une langue l’autre, la communication est une traduction » G Steiner, Après Babel (traduit de l’anglais par Lucienne Lotringer et Pierre-Emmanuel Dauzat), Paris, Albin Michel, 1998, p 89 « On ne devrait jamais passer sous silence la question de la langue dans laquelle se pose la question et se traduit un discours sur la traduction », ajoute Jacques Derrida, « Des tours de Babel » dans Différence in Translation, edited by Josep F Graham Ithaca, Cornel Universty Press 1985, p 210 Reprenant la réflexion de Humboldt selon laquelle la langue n’est pas « un ouvrage fait » (ergon), mais « une activité en train de se faire » (ennergia), nous visons non pas la transparence d’une traduction, mais les différences inhérentes qui règlent la signification du texte pour le lecteur vietnamienne Cette nature se situe hors de la volonté humaine et plane sur la vie humaine Elle communique avec l’homme Ses lois sont si universelles qu’elles pénètrent la vie humaine Nous reviendrons sur le mot « Tạo hóa » envisagé comme Nature un peu plus loin6 Le septembre 1945, Hanoi, une foule considérable célèbre l’indépendance du Viêt Nam Lors de la libération du pays, des termes tels que démocratie, république, et liberté sont entrés dans la devise nationale et ont été mis dans l’entête des papiers officiels : Việt Nam Dân chủ Cộng hòa, Độc lập, Tự do, Hạnh phúc [République Démocratique du Việt Nam / Indépendance, Liberté, Bonheur] Il est clair que ces mots d’ordre expriment ostensiblement une tendance rousseauiste Ces références réaffirment l’égalité et la liberté que Rousseau a chantées Faisant suite la Déclaration d’Indépendance, c’est la Constitution établie par l’Assemblée Nationale en 1946 qui réaffirme la politique républicaine et démocratique du Việt Nam Le premier article de la première Constitution (1946) déclare : « Nước Việt Nam nước dân chủ cộng hoà » [Le Việt Nam est une République démocratique] Hanoi en 1945, les quartiers européens confrontés la lutte révolutionnaire Avant d’y aller plus loin, on s’arrête dans une « trahison » des citations traduites par Hồ Chí Minh En fait, le premier Président du Vi ệt Nam Démocratique a ajouté une proposition supplémentaire dans sa traduction, proposition qui n’existe pas vraiment dans la version franỗaise: ô Ngi ta sinh t bình đẳng quyền lợi, phải ln ln tự bình đẳng quyền lợi », « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ; et doivent toujours être libres et égaux en droits »7 Il s’agit d’une répétition identique Cette dernière partie de la citation nous suggère que H Chí Minh a un peu modifiộ la Dộclaration franỗaise en faisant deux fois allusion l’égalité afin d’insister sur ce droit dans sa signification de droit-intérêt Comme en Chine, ce terme dans l’acception occidentale que Rousseau et d’autres penseurs des Lumières lui assignent, n’existe pas vraiment en Extrême-Orient Wang Xiaoling dans son étude sur Rousseau en Chine a bien expliqué cette situation Dans le contexte politique du Việt Nam la sortie de la colonisation, il est nécessaire d’ajouter la notion de « droit » rousseauiste la notion d’« intérêt » en vietnamien, puisqu’auparavant, ce droit était exclusivement destiné aux colonisateurs, et non pas aux vietnamiens : quyền lợi Par Voir le site officile du gouvernement : http://www2.chinhphu.vn/portal/page/portal/chinhphu/NuocCHXHCNVietNam/ ThongTinTongHop/QuockyQuochuyQuoccaTuyenngon, où le discours intégral figure À propos, nous attirons l’attention sur le fait que les traductions de la « Déclaration de l’Indépendance » de Hồ Chí Minh ont tendance supprimer la deuxiốme proposition de la citation franỗaise en rộfộrence l’original Alors que le lecteur Hồ Chí Minh a bien répété exprès cette propostion en vue de constituer l’éloquence de la Déclaration Wang Xiaoling, Jean-Jacques Rousseau en Chine (de 1871 nos jours), Montmorency, Société internationale des Amis du Musée J.J Rousseau, 2009, p 75-78 cette traduction, est affirmée l’acquisition que le peuple vietnamien a prise après avoir lutté pour être égal aux autres peuples, en l’occurrence aux Franỗais En citant ainsi les formules cruciales concernant lộgalitộ qui sont les principes de la liberté et de la démocratie moderne, H Chí Minh a élargi le concept de Rousseau dans la perspective du mouvement patriotique et de l’indépendance nationale Il s’agit de la question épineuse apparemment jamais posée par Rousseau : quel est le rapport entre le droit de l’individu et le droit du pays devant le colonialisme étranger Pour Hồ Chí Minh, c’est le droit de l’individu qui participe du droit national La plupart des intellectuels vietnamiens partagent cette idée Hồ Chí Minh centre alors son attention sur le contenus cité, non pas sur la citation elle-même Pour lui, les citations importent seulement dans la mesure où elles sont les principes irréfutables sur lesquels légitimer un État législatif, et n’ont de valeur que dans la mesure où elles expriment le droit l’égalité du peuple vietnamien Aussi servent-elles utilement et efficacement la libération du pays, dans le contexte d’alors où la victoire des alliés occidentaux au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale ne tient pas compte de l’égalité pour tous les peuples du monde Dans le contexte de la Guerre froide, de la guerre américaine et de la partition du pays, aucune traduction de Rousseau ne fut faite dans le Việt Nam du Nord, même si l’auteur du Contrat social figurait parmi les penseurs « progressistes » Dans le Việt Nam du Sud, une traduction fut réalisée par Nguyễn Hữu Khang en 1960 Même s’il s’agit d’une traduction partielle comme l’indique la couverture du livre, on peut dire pourtant que c’est le premier texte de la philosophie occidentale traduit directement du franỗais Le besoin de rétablir un nouvel État législatif et légitime semble être le plus nécessaire et le plus urgent dans le Việt Nam du Sud où la paix s’installe temporairement La traduction du texte de Rousseau y répond alors partiellement Ainsi, il est facile comprendre la raison pour laquelle le traducteur choisit un texte en franỗais de Rousseau, et non en anglais de Hobbes ou de Locke Le choix de Rousseau comme auteur de référence chez les révolutionnaires vietnamiens viendrait ici aussi du fait qu’il parle de l’État comme d’une institution laïque Rousseau est en plus un des auteurs des Lumières qui parlant de la libération nationale et du patriotisme, propos des Polonais ou des Corses Ce thème est primordial pour les intellectuels vietnamiens de l’époque Ce sujet leur est d’autant plus sensible que dans le premier livre du Contrat social, Rousseau a abordé de front la lutte des forts contre les faibles, des mtres et des esclaves Il est probable que ces éléments, auxquels s’ajoutaient probablement les exemples donnés par la Russie soviétique et la Chine maoïste, ont conduit le traducteur vietnamien privilégier Du Contrat social, et non le Discours sur l’origine de l’inégalité Le traducteur Nguyễn Hữu Khang avait publié en France un livre sur la « Commune annamite » où il s’élevait contre la théorie répandue l’époque que « l’Annam a emprunté la Chine ancienne les principes de son droit » Au cours de son travail, Nguyễn Hữu Khang, en montrant les originalités de la commune vietnamienne, cherche toujours distinguer cette dernière de la chinoise Pour expliquer cette distinction, Nguyễn Hữu Khang insiste sur le rôle de la nature en tant qu’environnement par rapport la constitution de la communauté C’est pourquoi, la commune vietnamienne est selon lui différente de la chinoise Il affirme dans sa conclusion la force et la vitalité de la commune vietnamienne : « La force interne du peuple annamite résidait ailleurs, principalement au niveau du village, communauté stable qui, au cours des siècles, a assuré la continuité et l’uniformité de la civilisation nationale »10 Voir Trinh Van Thao, Les compagnons de route de Hô Chi Minh Histoire d’un engagement intellectuel au Viêt Nam, Paris, Karthala, 2005 Le traducteur a supprimé toutes les notes de page dans son édition du Contrat social de Rousseau La traduction subit également des suppressions importantes 11 : la première partie du livre est la moins touchée ; la troisième et la quatrième sont plus concernées, notamment pour ce qui concerne les arguments où l’auteur évoque l’histoire romaine C’est clair : la partie où Rousseau traite de la relation du fort et du faible, ou de la souveraineté, est plus en accord avec la préoccupation principale du traducteur et de son lectorat Il s’agit, pour le premier, de répondre au besoin d’établir un État républicain dans le Viêt Nam du Sud ou, pour le moins, de parvenir une certaine forme de République légitime En fait, l’essai de Rousseau a été, pour lui, une occasion de dialoguer avec les autres penseurs occidentaux comme Grotius, Hobbes, Locke, etc On peut trouver côté des citations philosophiques différents tons pour les argumenter, ironique ou solennel, par exemple Cet ouvrage, si on le considère dans la perspective des discussions philosophiques du XVIII e siècle, vise par conséquent plus inciter au dialogue qu’à postuler une théorie étatique une fois pour toutes La suppression des citations dans la traduction élimine le dialogisme du texte de Rousseau et en ce sens, le texte qui part avec le nom de Rousseau comme auteur dans le Việt Nam du Sud des années 60 participe la légitimation du nouvel État républicain issu de la colonisation Selon Bakhtine, « Le mot est toujours chargé d’un contenu ou d’un sens idéologique ou événementiel »12 C’est ainsi que nous ne réagissons qu’aux paroles qui éveillent en nous des résonances idéologiques ou ayant trait la vie, et que nous les comprenons Dans le cadre de cet article, nous nous occuperons de deux mots-clés rousseauistes : nature et droit Ces mots nécessitent d’être éclairés dans le texte cible Bien qu’ils soient deux mots clés dans la philosophie de Rousseau, ils ne figurent pas dans le glossaire vietnamien-franỗais que 10 Nous soulignons Nguyn Hu Khang, La commune annamite Étude historique, juridique et économique, Paris, Sirey, 1946, p 210 11 Par exemple, les arguments du chapitre du Livre II concernant Grotius, les quatre premiers paragraphes du chapitre 10 du Livre II sur les conditions naturelles nécessaires pour organiser les relations civiles sur un territoire en tant qu’élément de nature ; le traducteur a titré le chapitre par la question qui ouvre le cinquième paragraphe : Quel peuple est donc propre la législation ? Dans le chapitre du Livre III, il a éliminé les paragraphes concernant le double rapport entre le roi et le peuple au niveau de la force Ces éliminations ne sont pas signalées par le traducteur Les suppressions ont été faites quand Rousseau fait la comparaison des deux types de régimes politiques : monarchie et république, etc 12 Bakhtine, Marxisme et philosophie du langage Essai d’application de la méthode sociologique en linguistique, Paris, Éditions de Minuit, 1977, p.103 Nguyễn Hữu Khang a mis la fin de sa traduction Commenỗons par une traduction apparemment bizarre de la notion « droit » : « Kẻ mạnh khơng đủ mạnh để luôn làm chúa tể họ không biến đổi cường lực thành công lý […] (p 11) [Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le mtre, s'il ne transforme sa force en justice – littéralement] »13 Remarquons que le mot « cơng lý/justice » traduit la notion de « droit » que Khang traduira justement en « quyền » un peu plus loin Ainsi, cette « erreur » de la traduction en tant que lecture nous invite penser particulièrement les mots-clés rousseauistes dans le contexte vietnamien Le problème posé ici n’est pas clairement linguistique En désignant « droit » par « cơng lý/justice », le traducteur semble impliquer que cette notion n’a jamais été utilisée auparavant au Việt Nam pour les faibles Le fort part avoir été celui qui a monopolisé le droit la justice C’est pourquoi, l’acquisition de ce droit pour les faibles signifie ici un gain de justice, le droit en question impliquant la fois l’intérêt et le pouvoir Cette traduction en tant qu’interprétation n’implique-t-elle pas la réalité sociale d’où l’auteur provient et écrit ? La question de la place d’où on parle est ici fondamentale Ces analyses nous ramènent au terme vietnamien « quyền lợi » [droit-intérêt] utilisé par Hồ Chí Minh dans l’exemple cité plus haut Apparemment il n’y a aucun lien affiché entre ce texte et le texte de Hồ Chí Minh14 Or, nous avons une ressemblance extraordinaire avec ces deux choix Le « droit » de Rousseau, exprimé par Hồ Chí Minh et celui de Nguyễn Hữu Khang, nous disent alors que « freedom is not free » dans les pays colonisés Dans la même logique, considérons le mot « nature » Pour exprimer ce terme de Rousseau, le traducteur choisit des mots vietnamiens qui ne sont pas vraiment synonymes tels que : thiên nhiên, tự nhiên, chất, tạo hóa Ces termes indiquent les sens différents qu’un mot peut prendre et l’interprétation qu’un terme peut offrir en passant d’une langue, d’une culture et d’une civilisation une autre Reportons-nous pour ces mots au dictionnaire le plus crédible de l’époque, le Từ điển Hán Việt (Dictionnaire chinois-vietnamien) de Đào Duy Anh Ce dictionnaire fut rédigé en 1931 dans le but de « forger le vietnamien contemporain » pour élever l’éducation du peuple Qu’il ait été réédité Paris en 1949 par le Cercle des intellectuels vietnamiens en France, montre le crédit qu’il avait15 « Thiên nhiên » est le choix le plus récurent du traducteur par rapport aux autres avec quarante-cinq occurrences La considération de ce mot révèle que « thiên nhiên » n’est compris dans le texte traduit que comme le milieu naturel qui entoure l’homme et la société Ce milieu existe avant la société humaine et comme sa perspective Dans le premier cas, il permet d’envisager la nature dans un lien chronologique avec la société créée par les conventions communautaires Il est « primitif », initial, originel Dans ce cas, « thiên nhiên » 13 Rousseau disait : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le mtre, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir », Du Contrat social dans Édition thématique du TricentenaireŒuvres complètes, éditées par Raymond Trousson et Frédéric S Eigeldinger Genève, Paris, Slatkine, Champion, 2012, t V, p 467 Référence abrégée par la suite ET-OC 14 Dans la première Constitution du Việt Nam (1946), nous trouvons encore plusieurs reprises les expressions de « quyền /droit », qui implique l’idée de pouvoir ou bien d’intérêt : droit de vote pour la femme (article 9), droit des minorités (article 8) comme droit-intérêt, droit du peuple (article 1) comme pouvoir 15 Dans la lettre ouverte Đào Duy Anh comme préambule l’édition Paris, l’éditeur Minh Tân Nguyễn Ngọc Bích a écrit : « Comme, pendant les dernières décennies, aucun dictionnaire n’a été plus populaire que votre Hán Việt tự điển dans la présentation de nouveaux termes Actuellement, plusieurs mots, qui sont devenus courants, proviennent de ce dictionnaire » envisagé dans le sens de naturel est ce qui existe avant le social et autour du social 16 Le deuxième mot « chất » avec vingt occurrences est compris comme l’essence initiale, inchangeable, pure et originelle, qu’on ne peut plus analyser 17, qui fait une chose est ceci ou cela Ce mot n’est utilisé dans le texte que pour ce qui concerne la qualité d’une chose ou d’un état Le troisième mot « tự nhiên », avec douze occurrences, est défini par Đào Duy Anh la fois comme un être universel et un caractère qui ne dépend pas de la volonté humaine et de la volonté particulière18 Le traducteur préfère « tự nhiên » quand il désigne la loi ou la manière universelle, non seulement du naturel, mais aussi et y compris, du social Aussi le signifié de « tự nhiên » est-il plus large que de ô thiờn nhiờn ằ19 Ces distinctions entraợnent cependant des interprétations différentes Prenons un exemple : « khơng tự-nhiên mà có » (p 7) est traduit du passage suivant : « [Ce droit] ne vient point de la nature ; [il est donc fondé sur des conventions] »20 Dans l’expression en vietnamien, nous avons « tự nhiên » [naturellement] en tant qu’adverbe qui donne un sens de gratuité la logique naturelle : le droit n’est donc pas gratuit, fortuit ou évident L’homme et la communauté qu’il établit par les conventions participent alors l’ensemble qu’est la nature qui domine tout Si l’idée de Rousseau semble vouloir insister sur l’origine du droit, qui ne provient que des conventions et de la société, nous ne la trouvons plus dans le texte en vietnamien Ceci s’explique par la différence entre les pensées occidentale et orientale L’une insiste sur le dualisme comme chez Rousseau, l’autre sur le rapport inséparable entre l’homme et la nature comme chez le traducteur Pour Nguyễn Hữu Khang, les deux mondes communiquent sous l’ombre de l’entité appelée « Tạo hóa », utilisée déjà par Hồ Chí Minh dans son discours du septembre 1945 Ce dernier terme, qui est employé trois fois par Khang 21, est défini – toujours selon le Dictionnaire – comme Démiurge22, créateur de la nature et du cosmos, dont font partie l’homme et la société C’est une entité qui domine la fois la nature et la société Son activité est indépendante de la volonté et de l’esprit humain Ce mot vietnamien n’implique aucun sens religieux À noter que ces mots distingués, traduction d’un mờme mot franỗais [nature], ne permettent pas souvent au traducteur d’utiliser son gré l’un pour l’autre dans les circonstances concrètes que lui offre le texte de Rousseau Ils sont parfois remplaỗables, 16 Nous nous rappelons que Nguyn Hu Khang dans son travail doctoral suit l’idée que la nature est comme un arrière-plan de la société 17 Un coup d’œil sur l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert indique plusieurs sens pour cette entrée : système, essence, être, providence, Dieu Voir volume 2, p 1004 C’est Rousseau qui écrit dans son Discours sur l’origine de l’inégalité : « Avec si peu de sources de maux, l’homme dans l’état de nature n’a donc guère besoin de remèdes, moins encore de médecins » (ET-OC V, p 105) 18 « Tạo hóa, vũ trụ/khơng phải sức người làm, không miễn cưỡng » (p 747) 19 Dans un autre dictionnaire l’époque, établi par l’Association Khai Trí tiến đức, on ne trouve pas le mot « tự nhiên » ; on définit « thiên nhiên » comme « tự nhiên, trời sinh » [naturellement, né par le Ciel – [littéralement]] (p 565) et « tạo hóa » ou « thiên tạo » comme « nói trời đất gây dựng hóa sinh mn vật » [au sujet de la création et de la transformation de toutes les espèces faites par le Ciel et la Terre – [littéralement]] (p 509), Trung Bắc Tân Văn, Hà Nội-1931, réédité Sài Gòn en 1954 20 J.-J Rousseau, Du Contrat social, ET-OC V, p 464 Nous mettons entre crochets la partie de la phrase dont nous ne nous occupons pas ici 21 Ce mot en vietnamien ne contient aucun lien avec les termes « thiên mệnh/tianming » (mandat du Ciel) que Nakae Chōmin a utilisé dans sa traduction du Contrat social au Japon Voir Wang Xiaoling, Jean-Jacques Rousseau en Chine, 2009, p 53 22 Nous voulons emprunter l’expression platonicienne, qui sort du cadre religieux parfois non, Par exemple, le mot « chất » ne peut pas figurer dans la phrase : « Nếu nhu cầu hết, dây liên lạc thiên nhiên tan rã… » (p 8) (« Sitơt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout »23) Le mot « nature » utilisé ici implique un état chronologique, non un état substantiel Passons un autre exemple, où le traducteur aurait du mal remplacer « tự nhiên » par « (tự) thiên nhiên » : « Ils ne sont point naturellement (tự nhiên) ennemis »24 Le premier décrit les lois universelles, le deuxième vise un objet particulier qu’est le milieu, qui n’existe que dans le rapport avec la société Prenons un troisième exemple : « Il est contre la nature (bản chất) du corps politique que le souverain s'impose une loi qu'il ne puisse enfreindre » Le traducteur ne peut mettre en vietnamien ici « thiên nhiên » ou « tự nhiên », mais seulement « chất » Dans ce cas, c’est la présence des choix alternatifs et des synonymes qui entrne la constitution d’autres compréhensions au fil de la lecture L’interprétation n’est pas seulement déterminée immédiatement par la traduction directe, mais encore par les liens internes qui se font dans le vocabulaire du texte d’arrivée Ce vocabulaire n’est jamais fidèle ; il est toujours infléchi par le jeu complexe des choix, comme dans la traduction du préambule du Contrat social : « Tơi muốn tìm xem chế độ dân có quy tắc cai trị đáng trường cửu, nhận định người theo chất thiên nhiên luật pháp theo ý nghĩa [Je veux chercher si dans l'ordre civil il peut y avoir quelque règle d'administration légitime et sûre, en prenant les hommes selon l’essence naturelle, et les lois telles qu'elles peuvent être – [littéralement]] »25 Nous voudrions attirer l’attention sur les dernières propositions en italique En fait, la première expression de Rousseau « tels qu’ils sont » est rendu plus explicite en viêtnamien : « theo chất thiên nhiên/selon l’essence naturelle [littéralement] » Rousseau ne disait pas encore clairement ce qu’il entendait par « tels qu’ils sont », puisque c’est ce que le lecteur doit découvrir dans son livre C’était encore une supposition démontrer Cette idée est répétée une fois dans la dernière proposition et implique un lien chronologique, la première proposition appartenant au passé, la deuxième au futur Le texte vietnamien semble donc présenter une tautologie avec deux mots apparemment synonymes du point de vue du texte franỗais Cette transformation linguistique nous dit une chose importante : que le traducteur a précocement concrétisé un des principes du texte de Rousseau Il s’agit de « thiên nhiên » en tant que prémisse Pour le lecteur-traducteur, l’essence humaine est associée la nature, l’essence primitive, originelle Cette idée, d’autant plus sous-jacente, permet de voir que la traduction de la deuxième proposition est différente : « les lois telles qu'elles peuvent être » est traduit par « luật pháp theo ý nghĩa » Le problème posé par Rousseau implique la réponse donnée dans le même préambule du texte traduit L’expression « chất thiên nhiên » implique que les caractères primitifs de l’homme sont inhérents Pour le traducteur vietnamien, en tant que lecteur de Rousseau, l’essence naturelle est posée comme inéluctable, inhérente Ce sont des qualités originelles qui sont initialement bonnes Ainsi, le but du contrat social que Rousseau veut présenter dans ses écrits, consiste supprimer la corruption causée par la société sans contrat véritable et, s’orienter vers une république considérée comme nature et fonctionnant avec des lois naturelles Dans cette logique, observons un autre exemple où il y a de différentes manifestations dues un mot unique de 23 ET-OC V, p 464 24 ET-OC V, p 472 25 Xã-Ước, p Le texte de Rousseau est le suivant : « Je veux chercher si dans l’ordre civil il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, et les lois telles qu’elles peuvent être » (ET-OC V, p 461) Rousseau : « Như có kẻ nơ lệ chất có kẻ nơ lệ khơng thiên nhiên [« S'il y a donc des esclaves par essence, c'est parce qu'il y a eu des esclaves, non pas cause de la nature – [littéralement]] »26 Le texte de Rousseau présente ici l’argument, selon lequel les esclaves « contre nature » proviennent de la contrainte due aux guerres et la société, et non pas de la nature ó ils sont égaux avec les mtres La nature de la première proposition est une reprise ironique de la parole d’Aristote quand il déclare que « les hommes ne sont pas naturellement égaux » Pour Rousseau, la nature est la cause de la nature 1, et l’expression « des esclaves » est la même dans les deux propositions La phrase suivante réaffirme cette idée Mais le jeu de mot de Rousseau rộvốle une autre logique perỗue par le traducteur Appart alors dans le texte vietnamien une différence entre « chất » [nature 1] comme essence ou qualité, et « thiên nhiên » [nature 2] comme milieu ; « chất/essence » [nature 1] évoque l’existence d’une qualité innée, inhérente, qui renvoie la servitude de l’esclave dans la phrase précédente : « Ils aiment leur servitude comme les compagnons d’Ulysse aimaient leur abrutissement » ; « thiên nhiên » [nature 2] implique la nature considérée en tant que perspective par rapport la société ; elle est primitive et reste hors de celle-ci Nous avons ainsi dans la logique de cette réflexion deux « esclaves » différents C’est la volonté qu’ont certaines personnes de vouloir sortir de leur condition d’esclavage qui réveille les autres encore dans cet état Alors, le lien logique qu’on trouve dans le texte d’arrivée – Xã-Ước – remplace le lien chronologique figurant dans le texte de départ – Du Contrat social27 Cette impression est d’autant plus frappante que le traducteur supprime le dernier paragraphe du chapitre du Livre I dans lequel Rousseau parle avec ironie du roi Adam, de l’empereur Noé des héritiers dont il ferait partie s’il croyait comme tant d’autres être issus de cette branche généalogique Ce paragraphe de Rousseau semble avoir pour but de contester les arguments d’Aristote Dans la version du traducteur, c’est la logique sur l’opposition naturelle entre des esclaves (les uns sont volontaires, les autres forcés) qui l’a emporté C’est pourquoi la dernière phrase du texte en vietnamien, renforỗant la division la fois syntaxique et rhétorique (force et faiblesse), évoque les appels rythmiques plus que les arguments, la décision de sortir de l’esclavage volontaire plus que l’idée de penser cette situation Le texte d’arrivée privilégie la légitimation plus que la réflexion philosophique, la proposition affirmative plus que le dialogisme rousseauiste En guise de la conclusion, l’on peut dire que les réflexions philosophiques de Rousseau, sur le droit naturel de l’homme et de la nation, ont bien servi la légitimation de deux État vietnamiens issus de la colonisation, celle d’un État démocratique déclaré par Hồ Chí Minh en 1945 et celle d’un autre État républicain encadré par les Américains dans le Sud, après la guerre franco-vietnamienne Il s’agit de deux lectures rousseauistes réglées la fois par la Guerre froide en Asie du Sud-Est et par le cadre culturel oriental Exprimées par deux hommes différents la fois dans le temsp et dans l’espace géopolitique, l’un étant un acteur et l’autre un lecteur du monde politique, leur interprétations rousseauistes ont en commun de concevoir l’égalité la fois en tant qu’« intérêt » et « pouvoir », en tant que résultats de la lutte entre les hommes Ce droit leur semble être irréfutable, puisqu’il vient de la nature qui est tour tour perspective de la société humaine, essence inhérente de tous les peuples, et loi universelle de l’Être suprême « Tạo hóa » [Créateur] qui n’intervient pas dans la vie humaine, mais qui existe a priori Dans le cadre de la Guerre froide qui avait lieu, ce droit rousseauiste 26 Xã-Ước, p 10 Le texte de Rousseau est le suivant : « S’il y a donc des esclaves par nature, c’est parce qu’il y a eu des esclaves contre nature » (ET-OC V, p 466) 27 Le manque des déictiques temporels chez vietnamien contribue l’ambiguïté de l’idée importé devient alors une des prémisses qui endosse la lutte du peuple vietnamien pour la décolonisation, pour la liberté et pour l’indépendance PHÙNG Ngọc Kiên Chercheur l’Institut de Littérature du Việt Nam ... politique du Vi? ? ?t Nam la sortie de la colonisation, il est nécessaire d’ajouter la notion de « droit » rousseauiste la notion d’« intér? ?t » en vietnamien, puisqu’auparavant, ce droit était exclusivement... tient pas compte de l’égalité pour tous les peuples du monde Dans le contexte de la Guerre froide, de la guerre américaine et de la partition du pays, aucune traduction de Rousseau ne fut faite... droit en question impliquant la fois l’intér? ?t et le pouvoir Cette traduction en tant qu’interprétation n’implique -t- elle pas la réalité sociale d’où l’auteur provient et écrit ? La question de la

Ngày đăng: 02/08/2022, 16:25

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