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HUMANISME DE GEORGES DUHAMEL à TRAVERS SES ÉCRITS DE 1918 1920

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Séminaire de Master – M Durand « La littérature franỗaise de l'entre-deux-guerresằ Universitộ Paul-Valộry Montpellier Annộe universitaire 2013 – 2014 La civilisation n'est pas dans toute cette pacotille terrible ; et, si elle n'est pas dans le cœur de l'homme, eh bien, elle n'est nulle part Georges Duhamel, Civilisation, 1918 « NO MAN IS AN ISLAND » ? L'HUMANISME DE GEORGES DUHAMEL À TRAVERS SES ÉCRITS DES ANNÉES 1918 – 1920 L'entre-deux-guerres fit appartre maints écrivains avec un style propre, l'instar de Jean Giono, Henri Massis, Paul Claudel, Franỗois Mauriac, Louis Aragon, dont l'uvre considộrable est reconnue aujourd'hui Georges Duhamel (1884 - 1966) figure parmi eux comme un cas particulier : exerỗant la profession de mộdecin, il n'écrivait pas en tant qu'écrivain mais plutơt comme « humaniste » Trouver autant d'études ou même d'essais sur sa contribution littéraire que sur celles de Giono ou Claudel n'est pas évident puisque – malgré ses nombreuses œuvres et sa célébrité considérable de l'époque1 – Duhamel n'appart pas comme un écrivain connu, commenté ou étudié la fin du 20 e ou au début du 21e siècle2 Pour cette même raison, nous nous engageons faire sa connaissance travers ses premiers livres et essais, c´est-à-dire Civilisation (1918), La Possession du monde (1919) et Confession de minuit (1920) Le but de cet essai est donc de voir et comprendre le message que l'on qualifie d'« humaniste » de Georges Duhamel dans le contexte littéraire de l'entre-deux-guerres, notamment l'aide de certaines notions ou mots-clés André Maurois, De Proust Camus, Paris, Librairie Acadộmique Perrin, 1963, p 185 Ouellet Franỗois, « Georges Duhamel, Salavin précurseur », Nuit blanche, le magazine du livre, n° 49, 1992, pp 64-66 En premier lieu, nous allons voir pourquoi la guerre émerge dans les réflexions et les descriptions de Duhamel en accentuant la « mécanicité » et la mise-en-scène Ensuite, on va demander si l´on peut qualifier l´œuvre de Duhamel de tragique, en insistant sur l´importance visible du silence et du rire dans le texte De plus, nous nous interrogeons chez Duhamel sur les aspects existentialistes de l´être humain, – notamment son rapport avec la nature et le rousseauisme, l´errance (impossibilité de distinguer le réel du rêve), la quête d´équilibre entre individualisme et collectivité, – qui surgissent de temps autre dans ces écrits Enfin, la question que l´on se pose : s´agit-il de l´humanisme schopenhauerien chez Duhamel, ou promet-il, au contraire, de l´espoir et du bonheur ? Duhamel – humaniste Louis Chaigne3, dessinant des portraits des écrivains de l'époque, décrit Duhamel, effectivement, comme un grand humaniste dont parmi les mtres et influences majeures figurent Dostoïevski, Paul Claudel, William James Dans la langue, l'élégance il préfère l'exactitude4: les répétitions sont nombreuses et la décoration de la syntaxe très rare « Chez lui c'est une sorte de chaleur humaine », commente Chaigne Son humanisme et l'expérience de la guerre nourrissent certainement la description des ambulances du front dans Civilisation Son style peut être considéré relativement austère côté de celui de Giono ou Simon par exemple, mais selon Chaigne, il n'y a « aucune surcharge, aucune inutile accumulation de détails, mais quelques traits d'une impressionnante puissance suggestive ».5 On y voit, par contre, un certain accent placé sur les effets oratoires qui évoque la lecture un parallèle avec Werther de Goethe et Les Confessions de Rousseau, ou même Le Hussard sur le toit de Giono Dans Civilisation l'auteur s'interroge sur ce que la guerre fait surgir devant lui, dans l'homme Il se demande comment croire dans le progrès, comment approuver l'emploi des machines afin de tuer des hommes comme des mouches Il s'enquiert auprès du lecteur : ó se trouve la « civilisation » alors que l'on a perdu toute humanité ? Et ce n'est pas tellement le « progrès » de la technologie dont Duhamel parle, puisqu'il est contre la dépendance de Louis Chaigne, Vies et œuvres d'écrivains 2, Paris, F Lanore, 1956 Selon André Maurois, la phrase duhamélienne est minutieusement étudiée De plus, Maurois la compare avec celle de Flaubert, la place et choix de mots étant considérés comme des priorités André Maurois, op cit., Louis Chaigne, op cit.,p 120 l'homme tout ce qui est matériel Chaigne le souligne : « Pour Duhamel, […] la civilisation n'est pas dans l'avion ni dans la T S F., mais elle est au plus profond du cœur de l'homme » Ce qui intéresse Duhamel, c'est l'âme et le cœur de l'homme (dans La Possession du monde, il développe une vraie philosophie du cœur) Ainsi, Duhamel désigne la civilisation comme une sorte de spiritualisme humaniste, puisque, ainsi qu'il le rappelle : « si elle [la civilisation] n'est pas dans le cœur de l'homme, eh bien, elle n'est nulle part »7 Chaigne voit chez Duhamel quelqu'un qui, malgré le ton mélancolique et tragique de ses œuvres, « laisse intactes les chances de renouvellement […] » Par contre, cet espoir reste relativement fragile, non seulement dans Civilisation, mas également dans Confession de minuit où le tragique fait partie de l'existence humaine Civilisation : contre la mécanicité, l'importance de l'âme Selon Carme Figuerola8, Duhamel lutte contre l'annihilation de la race humaine travers ses personnages la fois guerriers et victimes, qui notamment dans Civilisation, au lieu de se dissoudre dans un brouillard anonyme, deviennent des individus, avec un nom propre, avec des visages et traits bien décrits C'est exprès, grâce leur identité renforcée, que Duhamel leur fait l'hommage, essayant ainsi de les sauver de cette machine dévorante et anonyme de la guerre qui ne considère les hommes que comme une seule ligne de chiffres Dans le chapitre « Les maquignons » les hommes qui attendent, afin de savoir s'ils sont aptes pour le service militaire, n'appartiennent plus eux-mêmes Ayant perdu toute possibilité de prendre leur destin dans leurs propres mains, ils appartiennent l'État, la machine de guerre La transition (de la liberté individuelle la guerre collective) est décrite comme emprisonnement de l'homme, écartement de la nature La guerre entrne comme conséquence la perte de la nature Ils ne voient plus le ciel de février, ils ne respirent plus le vent enivré d'odeurs froides : ils sont entassés dans un couloir puant dont les murs, peints de couleurs sans nom, secrètent une sueur visqueuse Ils y Carme Figuerola, « L'expression de la douleur dans les récits de guerre de Georges Duhamel », Universitat de Lleida, Ull critic, n° 6, 2000 Georges Duhamel, Civilisation, Paris, Mercure de France, [1918], 1967, p 189 Carme Figuerola, op cit., piétinent quelque temps, puis une autre porte s'ouvre Un gendarme les compte par douze, comme des fruits ou des bestiaux, et les pousse dans la grande salle où se passe la chose … D'ailleurs, le chapitre se termine avec l'image d'une rue en train de se perdre dans le brouillard, où il ne reste que l'odeur forte du vomi, preuve nette de la dépréciation de guerre de la part de Duhamel Dépréciation d'autant plus forte qu'il y voit l'application horrible du logos, de ce système absurde dont déjà parlait Malraux dans La Tentation de l'Occident 10 : Le massacre européen veut de l'ordre Une comptabilité minutieuse règle tous les actes du drame Au fur et mesure que ces hommes défilaient, on les comptait, on les couvrait d'étiquettes ; des scribes vérifiaient leur identité avec la froide exactitude d'employés de la douane 11 Ce logos, cet attachement absurde au « système » notamment, fait que l'on efface l'âme et l'esprit, car l'individualité de chacun est tamponnée par une étiquette ou un chiffre On perd ainsi tout intérêt de voir, dans cette masse grise, des personnes, des individus ; on ne compte que des chiffres S'ensuit alors, cet inventaire et cet ordre grotesque, l'idée de mécanicité : les corps malades ou sains des guerriers deviennent rien de plus que des mécanismes que l'on doit réparer.12 Ce qui est encore pire, selon Duhamel, est que la médecine, sous prétexte de guérir les blessés, démontre grâce son pouvoir technique sa supériorité vis-à-vis du corps humain : Le pauvre homme n'avait pas osé balbutier sa protestation Saisi dans l'engrenage, il avait été dominé tout de suite et s'abandonnait aux appétits de la mécanique, comme un saumon de fonte avalé par les laminoirs Et puis, ne savait-il pas que tout cela était pour son bien ; puisque c'est cela qu'en est réduit le bien.13 Duhamel au contraire (Figuerola souligne ce fait), en tant que médecin, cherchait non seulement guérir le corps, c'est-à-dire le mécanique, mais également l'âme, les blessures mentales et psychologiques Selon Duhamel, avec les soins de plus en plus mécanisés, on perd l'individualité14 (chez les médecins eux-mêmes), en transformant ceux-ci tour de rôle en Georges Duhamel, Civilisation, op cit., p 93 10 André Malraux, La tentation de l'Occident, Paris, Grasset, 1926, p 115 11 Georges Duhamel, Civilisation, p 28 12 Ibid., p 99 13 Ibid., p 187 14 Ibid., pp 129 - 131) machines.15 Qu'en reste- t-il finalement ? Où y a-t-il alors encore de l'espace pour l'âme ? Voici une notion essentielle dans toute l'œuvre de Duhamel Celle-ci devient presque le centre de gravité pour Duhamel dans Civilisation, car il engage lui-même une quête afin de le retrouver La recherche est pénible, au vu de certaines scènes évoquées, notamment le passage où l'abbé et le rabbin luttent entre eux pour un décédé dont la religion est en question : Entre eux deux [l'abbé et le rabbin], l'enjeu n'était pas une âme, mais cette bte, avec un corps rigide, défiguré par dix jours d'agonie, cette bte recouverte de l'étoffe symbolique, qu'une brise légère agitait 16 Ce que Duhamel cherche, au bout du compte, est un équilibre sain entre corps, âme, nature, progrès technique, espèce humaine, individualité Il faut le tenir comme but de la quête, cet équilibre, sinon il en résulte la chute de l'homme et de la civilisation Sortir du tragique – le rire et le silence Le tragique s'exprime travers certaines formes répétées et très existentialistes chez Duhamel, savoir le rire et le silence Quand dans Civilisation Duhamel met en scène le rire, il s'agit-là du rire dans le sens d’Henri Bergson 17, c.-à-d le rire qui libère et qui appart comme contre-attaque de ce qui l'entoure Le rire ainsi se venge de l'anormalité (considérée comme normale au moment donné) Egalement, c´est grâce au rire que l'on veut « punir », s'échapper d'une situation insensée Celui-ci aide accepter l'absurdité des circonstances, et notamment l'angoisse procurée par la guerre.18 Le rire surgit aussi dans des extraits où on voit clairement l'inconstance humaine, où la sûreté relative quelque chose est renversée Dans l'exemple suivant, un nouveau supérieur des médecins, en se basant sur l'importance de la discipline, déclare que ses paroles font loi : Pareillement, je regardai ses confrères et, considérant tous ces gens qui n'attendaient rien de leur renoncement et abdiquaient si totalement, si ộperdument, je conỗus une immense admiration et j'entrevis le sens du mot discipline Mais les conceptions de l'intelligence sont souvent trahies par d'autres mouvements moins nobles, car, ce moment même, j'eus du mal réprimer une forte envie de rire 19 15 Georges Duhamel, Civilisation, p 160 16 Georges Duhamel, Civilisation, p 135 17 Henri Bergson, Le rire Essai sur la signification du comique, Paris, Éditions Alcan, 1900 18 Georges Duhamel, Civilisation, p 19 Dans cet extrait le narrateur est perplexe sur la conduite des médecins qui, il y a un moment, étaient d'un autre avis, et maintenant, soumis ce même supérieur perdent leur personnalité et leurs convictions La situation est dégoûtante pour le narrateur qui y voit une chute morale et, effectivement, il a du mal s'adapter ce type de comportement, une telle société Rappelons-nous de Bergson quand il dit que « le comique exprime avant tout une certaine inadaptation particulière de la personne la société ».20 Cette absurdité de la situation et de l'homme le fait rire Selon Bergson, ce qui suscite le rire, est souvent la répétition théâtrale ou imitée et le fait que l'on comprend qu'il s'agit-là de non-vivant, de quelque chose de mécanique.21 Ces médecins se soumettent automatiquement aux ordres du supérieur parce qu'il faut suivre la hiérarchie pour la hiérarchie, pour une cause mécanique Si le rire n'aide pas, c'est le silence qui accentue le tragique de l'homme et de l'humanité Souvent les mots manquent Duhamel Ainsi s'introduit un silence devenant également un aspect ou dévoilement quasi religieux chez Duhamel, un moment d'hommage mélancolique Le silence peut signifier plusieurs choses, mais le plus souvent il arrive comme l'annonce de la dernière agonie de la mort.22 Derrière ce recours répétitif des mourants en pleine solitude, ne voit-on pas justement une critique contre le « système » de l'Occident qui ne s'intéresse plus ceux qui ont donné leur vie pour protéger la patrie ? Cette machine ne compte que les chiffres des survivants, des guerriers potentiels ; les autres sont oubliés aussi vite que possible, et de plus, dans la solitude, pour ne pas démoraliser les futurs guerriers Duhamel lutte contre cette pratique en rendant dans ces pages toutes les victimes de guerre visibles, audibles, et en mettant exprès en œuvre leur identité Des fois, le silence sert également remplacer les mots, devenus superflus il y a déjà longtemps, comme si la guerre avait coupé la possibilité de communiquer avec la langue De plus, après tout, la langue n'arrive pas tout décrire, tout expliquer, tout montrer ni démontrer23 Souvent, l'angoisse pure empêche de parler - « Si donc vous ne voulez pas de moi, c'est que je vais crever Mais je vous dis que j'ai des raisons pour aller au front, plutôt que de rester me faire engueuler tous les jours » 19 Ibid., p 161 20 Henri Bergson, op cit., p 59 21 Ibid., p 22 22 Georges Duhamel, Civilisation, op cit., p 37 23 Ibid., p 35 Un court silence immobilise tout le monde ; l'écho d'un drame s'y prolonge L'homme est visiblement très malade.24 Dans le dernier exemple joue également l'idée de Susan Sontag, introduite dans son essai « The Aesthetics of Silence »25, ó elle remarque l'importance du silence afin de stimuler ou renforcer les mots précédemment exprimés Le silence non seulement coupe mais également prolonge ce qui est dit, et Duhamel l'emploie souvent dans ce but Ce silence démontre, par son aspect religieux, la coupure non seulement de l'autre, mais également du cosmos Afin de le relier, le narrateur (dans les petits textes de Civilisation) cherche sortir dans la nature et trouver une sorte de paix Cette quête s'approche un peu du contact recherché entre l'homme et la nature chez Giono ou Rousseau Il s'agit d'un appel de consolation avec la nature, un essai de maintenir intact le fil fragile qui les unit Également, dans La Possession du monde l'auteur se plaint de la destruction méchante faite la nature.26 Le contraire de l'hommage la nature se présente chez Duhamel travers le vocabulaire du spectacle et de la mise-en-scène que les épisodes de guerre amènent chez l'écrivain On remarque sa tendance rassembler ses acteurs dans un milieu souvent clos qui, logiquement, s'oppose la nature De cette faỗon, il met en scène un vrai théâtre : il parle également d'une véritable mise en scène de la guerre 27 Le dégoût de la théâtralité est également présent, par exemple, dans la description de la visite par les civils des camps hospitaliers, par simple curiosité Ils y viennent par un désir pervers et bizarre de voir les dégâts humains, comme si c'était un parc d'attraction ou un musée 28 À quoi sert toute cette théâtralité pour Duhamel ? De nouveau, le but est d'accentuer quel point la guerre semble mécanique et artificielle S'y ajoutent les victimes devenus rien d'autre que des chiffres, les rires vides de sens devenus des symboles de l'absurdité ultime de cette mise en scène qu'est la guerre 24 Georges Duhamel, Civilisation, op cit., p 97 25 Susan Sontag, « The Aesthetics of Silence » [en ligne] http://www.scribd.com/doc/14536809/Sontag-SusanThe-Aesthetics-of-Silence 26 Georges Duhamel, La Possession du monde, Paris, Mercure de France, [1919], 1954, p 100 27 Georges Duhamel, Civilisation, op cit., p 29 28 « Il y avait des étrangers, des philanthropes, des hommes politiques, des comédiennes, des millionnaires, des romanciers et des folliculaires Ceux qui recherchaient les sensations fortes étaient parfois admis pénétrer sous une tente conique ou dans une salle d'opérations Ils repartaient, satisfaits […] et assurés d'avoir vu des choses curieuses, des combattants héroïques, une installation modèle » (ibid., p 41) Rousseauisme et spiritualité ? Souvent les textes dans Civilisation se terminent par la mise en place d'une force de nature, comme une tentative de pardon ou d'absolution de ou par la nature 29 Cette dernière renvoie automatiquement l'influence probable des idées de Rousseau, du retour la nature Par contre, André Maurois par exemple, refuse ce parallèle avec la pensée de Rousseau 30 Selon lui, Duhamel prêche surtout un équilibre entre le côté mécanique, et celui de l'âme et de la nature Cet équilibre, son importance – il l'avait lui-même appris grâce d'autres médecins, grâce son métier en tant que médecin.31 Maurois refuse donc de voir chez Duhamel un apprenti de Rousseau Mais selon nous, l'opposition (visible quand même dans le texte) entre la nature et le théâtral, prouve le désir de Duhamel de former un lien avec la nature Cette dernière est la seule chose qui peut l'apaiser au milieu des tumultes grotesques voir chez les victimes de guerre Le silence « religieux » analysé antérieurement nous renvoie une question générale dans l'ensemble de l'œuvre duhamélienne qui, selon Henri Massis, tourne autour de la religiosité et de la spiritualité32 Mais Massis accuse Duhamel d'avoir mise en scène une religiosité de travers33 cause de sa méconnaissance générale du catéchisme, alors même qu'il emploie le vocabulaire chrétien Le critique affirme au bout du compte que la « religion » de Duhamel est effectivement traversée d'un panthéisme ó « Dieu [est] considéré comme immanent l'univers »34 Une des caractéristiques du spiritualisme duhamélien, selon Massis, est de poser la supériorité du cœur et du sensible sur l'intelligence 35 Ce fait est effectivement bien présent dans ses œuvres, notamment dans le vocabulaire et l'abondance des « silences 29 Ibid., p 42 ; p 82 30 André Maurois, op cit., pp 191-192 31 Ibid., p 193 32 Henri Massis, Jugements André Gide – Romain Rolland – Georges Duhamel – Julien Benda – Les chapelles littéraires, Paris, Plon, 1924, p 165 33 M Duhamel est surtout un homme ignorant des choses dont il parle et il est bien visible que la théologie n'est pas son fort, non plus que le catéchisme Mais tout propos, hors de propos, il parle de l'espérance, de la charité, du renoncement, de l'humilité, de la prière, de la communion, de la pénitence, de la contrition ; autel, culte, holocauste, sont des images préférées (Ibid., p 191) 34 Ibid., p 177 35 Ibid., p 185 religieux », qui deviennent quasiment des signes divins Massis dit que Duhamel, ayant perdu Dieu, fait des hommes eux-mêmes des créatures divines.36 Comme Rousseau dans l'Émile prêche l'importance de l'union entre l'homme et la terre (Giono également), Duhamel fait hommage la terre et surtout l'homme qui sait bien prendre soin d'elle, la posséder, mais pas comme on possède un bien matériel Ce dont l'homme doit se débarrasser, selon Duhamel (dans La Possession du monde), est son côté matérialiste, son obsession d'avoir Pour Duhamel la possession ne peut jamais remplir l'être humain de bonheur Celui-ci se trouve uniquement dans l'âme équilibrée travers lequel on peut posséder le monde La possession du monde se traduit pour Duhamel par la possession des êtres humains, « car n'es-tu pas moi, tout d'abord, ô mon ami ? »37 C'est comme si Duhamel reprenait la notion de la fête dans l'Émile de Rousseau38 et invitait tous les êtres humains, tous les amis, participer une fête où tous sont égaux et festifs, en symbiose avec la nature On pourrait tenter de circonscrire son idée avec les mots de John Donne: « No man is an island / Entire of itself / Every man is a piece of the continent / A part of the main » En cas de doute ou douleur « rappelle-toi que tu n'es pas abandonné sans recours Les hommes te restent 39» Duhamel applique également cette idée dans Confession de minuit Certainement, dans cette religiosité duhamélienne, le lecteur trouve une forte dose d'exaltation verbale rousseauiste, qui émerge surtout dans Confession de minuit Ici nous voyons le narrateur et simultanément personnage principal, Salavin, en train de confesser ce qui lui est arrivé pendant un certain temps Le style et les propos exprimés s'approchent beaucoup de ceux de Rousseau dans Les Confessions, par exemple son affirmation (au lecteur) qu'il veut tout dire, y compris les choses dont il a honte – la mort de sa mère, le désir pour la femme de son meilleur ami, etc – et, bien sûr, surtout son état extrêmement sensible et exalté Son monologue, proche la fois du Werther de Goethe et des Confessions de Rousseau, témoigne de la vie extrêmement sensible d'un jeune homme qui s'est installé après la guerre (les références cette époque sont rares et subtiles, uniquement désignées par « le 36 Ibid., pp 194-195 37 Georges Duhamel, La Possession du monde, op cit., p 144 38 Jean - Jacques Rousseau, L´Émile, Livre IV [en ligne] : http://classiques.uqac.ca/classiques/Rousseau_jj/emile/emile_de_education_4.pdf 39 Georges Duhamel, La Possession du monde, op cit., p 137 temps du régiment ») en tant que scribe chez un patron Un jour, suite un moment de folie 40 (il touche l'oreille de son patron), il est renvoyé et le livre raconte les conséquences qui s'ensuivent Cet incident marque pour lui le début de la « détresse morale dans laquelle je patauge depuis cette époque et d'où je ne sortirai peut-être jamais plus » Il se rend compte qu'il lui est arrivé quelque chose de profond : J'ai, ce jour-là, mesuré, visité des profondeurs dont mon esprit ne peut plus s'évader Il s'est fait une déchirure dans les nuages et, pendant une minute, j'ai très nettement regardé le fond du fond 41 Salavin se justifie en disant que les barrières entre les êtres humains sont devenues ubuesques42 Après cet incident, le protagoniste perd pour de vrai le fil rouge de son vieux monde et ainsi que son rythme (Tout cela rappelle d'ailleurs plusieurs reprises Le Mythe de Sisyphe ou L'Étranger de Camus) Il commence errer dans les rues de Paris sans but ni objectif précis, faisant de nouvelles connaissances, essayant de trouver un but, un repère dans la vie, de profiter de la vie Il n'y arrive pas cause des réflexions de plus en plus graves qu'il se fait sur sa propre âme, qu'il considère pourrie Ayant quitté sa maison, ses amis, sa mère, seul la fin de son parcours, il demande l'avis du lecteur Il se présente comme quelqu'un avec le désir de s'échapper de la monotonie, de la solitude, du manque de contact avec le monde Mais est-ce vraiment ainsi ? Effectivement, Duhamel laisse le lecteur interpréter librement ce qui arrivera son protagoniste Son retour au vieux monde, est-il envisageable, probable, possible ? N'est-il pas impossible, comme l'indique Massis, parce qu'il est finalement tellement éloigné des autres, lui qui avait déclaré qu'il aime autrui ?43 Mais Massis ne semble pas tenir en compte le fait que Salavin confesse tout cela quelqu'un, un étranger, un inconnu Il lui demande de l'aide, donc : n'en résulte-t-il pas que Salavin lutte pour appartenir l'humanité ? En théorie, il désire le contact avec les autres, mais son histoire est forcément tragique parce qu'il se perd dans luimême Cependant, comme Massis le dit bien, il doit être sauvé : 40 Georges Duhamel, Confession de minuit, Paris, Mercure de France, [1920], 1925, pp 15-16 41 Ibid., p 19 42 « Est-ce bien une sottise, d'ailleurs ? Est-ce ridicule, en réalité ? Non ! Mille fois non ! Vous ne me ferez admettre ni que je suis un malfaiteur, ni que je suis un idiot Alors, c'est ỗa, votre humanitộ ? Voil un homme, un homme comme vous et moi ; il y a, entre nous deux, une telle barrière que je ne peux même pas appliquer le bout de mon doigt sur sa peau sans prendre figure du criminel Alors, je ne suis pas libre ? » (Ibid., pp 26 – 27) 43 « Vous le voyez, je fais mon possible pour vous expliquer des choses inexplicables, pour bien vous montrer, surtout, que si j'ai l'air d'un misanthrope, c'est précisément, parce que j'aime trop l'humanité » (Ibid., p 96) […] il permet de dire que Salavin est un malheureux, mais il interdit de penser qu'il ne peut pas être sauvé ; car il en fait tout ensemble le premier des prêcheurs et la premiốre des crộatures 44 Franỗois Ouellet affirme qu'en vérité, Salavin ne s'ouvre pas aux autres cause de son individualisme, sa « conscience exacerbée » Selon lui, il s'agit d'un individualiste par excellence Errance d'Ulysse ? L'errance (non seulement extérieure mais également intérieure) du protagoniste devient dans la Confession de minuit une promenade symbolique du labyrinthe de la vie ellemême Ce qui l'accentue de plus est le fait que Duhamel oscille dans son écriture entre le réel et le rêve (divin ?)45 Ouellet soutient, effectivement, que Salavin pour cette même raison (conflit entre la conscience et l'inconscience) est incapable de « se saisir entièrement » : c'est parce qu'il minimise chaque jour le contact avec d'autres êtres humains et se livre ses propres méditations Sa confusion l'amène l'indécision : En arpentant les allées tortueuses du Labyrinthe, je me sentais gonflé, tuméfié par un monde de pensées venimeuses Mes pas revenaient toujours dans le même cercle stupide et mes sentiments tournoyaient sur place, comme un vol de sansonnets qui ne sait où se poser.46 J'errais, d'un pas de somnambule, dans un Paris ténébreux et sec.47 Le protagoniste a de plus en plus du mal comprendre si les choses se passent en réalité ou s'il est en train de dormir Finalement, il arrive jusqu'au point où il ne fait presque plus de différence entre la réalité et le rêve48 Salavin, est-il un « héros » tragique et souffrant ? On peut le considérer tragique (au sens de Jean-Marie Domenach49 et on peut le designer comme anti-héros) C'est un prométhéen qui se présente humblement et qui, dans ses tumultes intérieures, se considère (à 44 Henri Massis, op cit., pp 204-205 45 Ibid., p 203 46 Georges Duhamel, Confession de minuit, op cit., p 32 47 Ibid., p 75 48 Ibid., p 79 49 Jean-Marie Domenach, Le retour du tragique, Paris, Seuil, 1967, pp 41 – 42 cause des pensées malsaines) comme quelqu'un de mauvais Il ne voit pas de futur ni de bonheur dans son avenir50 Il constate la fin qu'il ne sait plus quoi faire La mort n'est pas une solution, au moins pas encore, comme il dit : « je ne cherche pas mourir Je ne suis pas encore prêt mourir » Voilà l'existentialiste hésitant qui prend la parole : Je ne sais plus que faire Je ne sais plus que devenir Peut-être vais-je partir en voyage, si le vent me prend en pitié et m'emporte Peut-être vais-je rester Peut-être …51 Ce que cet extrait démontre très nettement, est l'inaptitude ou la non-volonté de Salavin de simplement prendre son destin dans ses propres mains Il attend et son indécision le mène vouloir ne prendre aucune décision pour son destin ; il veut que quelque chose ou quelqu'un d'autre décide pour lui (« si le vent me prend en pitié et m'emporte ») Le voyage devient pour Salavin ce que Moscou représente pour les trois sœurs dans la pièce célèbre d´Anton Pavlovitch Tchekhov (Les Trois Sœurs), elles qui ne rêvent que de partir « Moscou, Moscou, Moscou ! » Libéré de sa fonction de scribe, et de sa « petite existence », il doit faire face soi-même C'est que les tumultes émotionnels s'accélèrent Ses projets deviennent oniriques et idéalistes, et l'Asie le but exotique imaginé au sens de Edward Saïd dans L'Orientalisme : Et puis, un voyage Partir ! On pourrait partir ! Une vie haletante, maudite, admirable, travers des continents inconnus L'Asie ! Ou dans des îles de l'Océanie, ou dans les Antilles 52 Il ne veut que se fuir Cette indécision est le propre du personnage de Salavin Il ne sait pas se contenter de quoi que ce soit, sauf peut-être, ayant une route et l'horizon devant ses yeux, la liberté Les autres semblent devenir des ennemis passifs Il se sent piégé dans une masse anonyme, en train de se perdre Finalement, il n'en résulte qu'une capitulation53 Se complt-il dans sa tragédie contradictoire54 ? Salavin devient, dans un certain sens, martyre ou abnégation, symbole de l'Europe masochiste dévoilée Après tout, Malraux avait déjà désigné l'Occident comme une civilisation de douleur constante : 50 Georges Duhamel, Confession de minuit, op cit., p 104 51 Ibid., p 213 52 Ibid., p 201 53 Ibid., p 206 54 Jean-Marie Domenach, op cit., p 46 Quelle impression de douleur monte de vos spectacles, de tous les pauvres êtres que je vois dans vos rues ! Votre activité m'étonne moins que ces faces de peine auxquelles je ne puis échapper La peine semble lutter, seule seule, avec chacun de vous ; que de souffrances particulières !55 Pourtant, n'oublions pas que Salavin s'adresse un inconnu qui il a tout raconté et qui il a demandé de l'aide, des conseils Ainsi Duhamel dévoile, en fait, le partage nécessaire entre un individu et un autre, afin de pouvoir dépasser l'angoisse, la douleur, la souffrance D'ailleurs, toutes ces dernières émotions humaines, dont on a normalement peur, sont pour Duhamel essentielles et bonnes dans la vie et deviennent la base de celle-ci dans La Possession du monde.56 C'est uniquement travers la douleur que l'on devient humain Si son hypothèse humaniste – « car n'es-tu pas moi ? » – tient bon, ce partage de douleur, de doutes – c'est dans la communion que l'on devient possesseur d'autrui, possesseur du monde, de l'âme et du cœur.57 55 André Malraux, op cit., p 24 56 Georges Duhamel, La Possession du monde, op cit., pp 145 – 147 57 Yvan Comeau, « Georges Duhamel et la possession du monde Jusqu'à la chronique des Pasquiers », thèse doctorale de l'Université de Fribourg, LIDEC, Montréal, Canada, 1970, pp 89-91 Conclusion L'humanisme de Duhamel se manifeste avec éclat dans les trois essais et livres que nous avons étudiés Il surgit de l'ensemble des êtres humains, travers la douleur et l'absurde (rire et silence) que Duhamel décrit dans la guerre, la fois quête existentialiste et découverte du « quo vadis, homo sapiens ? », du renforcement du lien fragile entre l'homme et la nature En gros, cet humanisme peut être résumé dans la quête de la possession du monde qui n'est autre chose que la recherche du bonheur Afin d'y arriver, il faut parvenir un équilibre entre tous ces aspects mentionnés, il faut se débarrasser de cette manière de penser uniquement l'aide de l'intellect scientifique ou en calculant des biens matériels Même s'il y a du négatif dans l'humanisme de Duhamel, nous sommes d'accord avec Franỗois Ouellet pour dire que son uvre, dans sa totalité, reste plutôt positive, comme le disait également dans la perspective de l'existentialisme Jean-Paul Sartre Duhamel vaut certainement d'être lu de nos jours, non seulement pour sa réflexion sur la civilisation, l'homme, et l'individu mais aussi parce qu'il s'inquiète de la robotisation de l'être humain, de la supériorité scientifique, qui restent des débats tout fait actuels au 21e siècle BIBLIOGRAPHIE PRIMAIRE DUHAMEL (Georges), Civilisation, Paris, Mercure de France, [1918], 1967 DUHAMEL (Georges), La Possession du monde, Paris, Mercure de France, [1919], 1954 DUHAMEL (Georges), Confession de minuit, Paris, Mercure de France, [1920], 1925 BIBLIOGRAPHIE SECONDAIRE BERGSON (Henri), Le rire Essai sur la signification du comique, Paris, Éditions Alcan, 1900 http://clubqualitativelife.com/pdf/100le_rire.pdf CHAIGNE (Louis), Vies et œuvres d'écrivains 2, Paris, F Lanore, 1956 COMEAU (Yvan), Georges Duhamel et la possession du monde Jusqu'à la chronique des Pasquiers, thèse doctorale de l'Université de Fribourg, LIDEC, Montréal, Canada, 1970 DOMENACH (Jean-Marie), Le retour du tragique, Paris, Seuil, 1967 FIGUEROLA (Carme), « L'expression de la douleur dans les récits de guerre de Georges Duhamel », Universitat de Lleida, Ull critic, num 6, 2000 [en ligne] file:///C:/Users/Tiina/Downloads/207731-285766-1-PB.pdf MAUROIS (André), De Proust Camus, Paris, Librairie Académique Perrin, 1963 MALRAUX (André), La tentation de l'Occident, Paris, Grasset, 1926 MASSIS (Henri), Jugements André Gide – Romain Rolland – Georges Duhamel – Julien Benda – Les chapelles littộraires, Paris, Plon, 1924 OUELLET (Franỗois), ô Georges Duhamel, Salavin précurseur », Nuit blanche, le magazine du livre, n° 49, 1992, p 64-66 [en ligne] : http://www.erudit.org/culture/nb1073421/nb1103871/21623ac.pdf ROUSSEAU (Jean-Jacques), L´Emile, Livre IV, [en ligne] : http://classiques.uqac.ca/classiques/Rousseau_jj/emile/emile_de_education_4.pdf [Edition complétée le 30 mars 2002] SONTAG (Susan), The Aesthetics of Silence [en ligne] http://www.scribd.com/doc/14536809/Sontag-Susan-The-Aesthetics-of-Silence [publié le 22 avril 2009] ... http://www.scribd.com/doc/14536809/Sontag-SusanThe-Aesthetics-of-Silence 26 Georges Duhamel, La Possession du monde, Paris, Mercure de France, [1919], 1954, p 100 27 Georges Duhamel, Civilisation, op cit., p 29 28 « Il y avait des... Mercure de France, [1918] , 1967 DUHAMEL (Georges) , La Possession du monde, Paris, Mercure de France, [1919], 1954 DUHAMEL (Georges) , Confession de minuit, Paris, Mercure de France, [1920] , 1925... dans les réflexions et les descriptions de Duhamel en accentuant la « mécanicité » et la mise-en-scène Ensuite, on va demander si l´on peut qualifier l´œuvre de Duhamel de tragique, en insistant

Ngày đăng: 19/10/2022, 12:22

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