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Le nouveau droit francais de la prescrip

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() Electronic copy available at http //ssrn com/abstract=1664329Electronic copy available at http //ssrn com/abstract=1664329Electronic copy available at http //ssrn com/abstract=1664329 R I D C 4 200[.]

R.I.D.C 4-2009 LE NOUVEAU DROIT FRANÇAIS DE LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE À LA LUMIÈRE D’EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES RÉCENTES OU EN GESTATION (LOUISIANE, ALLEMAGNE, ISRAậL) Franỗois-Xavier LICARI* Rares sont les rộformes lộgislatives franỗaises qui ont puisé aussi abondamment dans les sources codifiées étrangères ou savantes du droit que celle de la prescription extinctive Le nouveau droit franỗais ne peut donc se comprendre que par une connaissance de ces sources Il est permis de voir dans ces droits existants ou en gestation, ainsi que dans l’interprétation prétorienne ou doctrinale qu’ils ont engendrées, une sorte de commentaire anticipộ de la nouvelle loi franỗaise La mộthode comparative permettra aussi de mettre en lumière les importantes divergences qui subsistent entre les droits examinés, malgré cette circularité des modèles et les fertilisations croisées La présente étude se concentre sur les trois piliers du nouveau droit de la prescription extinctive : sa durée, son point de départ et le délai butoir Des réflexions sur les buts et les justifications de l’institution sont aussi développées Rare are the French legislative reforms that have so abundantly drawn from foreign codified sources of law or model law proposals as that of extinctive prescription The new French law can thus only be understood with a knowledge of these sources It is possible to see in these sources, as well as in the Praetorian or doctrinal interpretation that they generated, a kind of anticipated comment of the new French law The comparative method will also highlight the important differences that remain between the laws examined, despite the circulation of models and crossed fertilizations The present study concentrates on three pillars of the new * Dr en droit (Strasbourg) – Dr iuris (Saarbrücken), habilité diriger des recherches, Mtre de conférences l’Université de Metz Electronic copy available at: http://ssrn.com/abstract=1664329 740 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 4-2009 law of extinctive prescription: the duration of the prescriptive period, the commencement, and the long-stop period Reflections on the goals and justifications of the institution are also developed Une réforme de la prescription extinctive a été rapidement adoptée en France sous l’impulsion du Sénat1 Les motifs invoqués reviennent telle une antienne depuis un siècle environ2 : complexité croissante des affaires, accélération du temps, inconvénients d’archiver les pièces et documents pendant trente ans ou plus Cette volonté de raccourcir les délais, pour des motifs de modernité, est quelque peu paradoxale, car les brefs délais de prescription sont plutôt la marque des sociétés primitives : lorsque les sociétés ont développé la possibilité de conserver les preuves de leurs droits, les délais ont été augmentés3 Aujourd’hui, c’est encore au nom de la modernité que l’on veut les raccourcir, car notre société post-moderne L n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, J.O.R.F du 18 juin 2008, p 9856 ; S AMRANI-MEKKI, « Liberté, simplicité, efficacité, la nouvelle devise de la prescription ? À propos de la loi du 17 juin 2008 », J.C.P 2008, Ed G., I,160 ; B FAUVARQUE-COSSON et J FRANầOIS, ô Commentaire de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile », D 2008, p 2512 ; C BRENNER et H LÉCUYER, « La réforme de la prescription », J.C.P 2009, Ed N, 1118 ; Ph MALAURIE, « La réforme de la prescription civile », Rép Defrénois 2008, n° 18, p 2029 ; D DUPUIS et G.-L HARANG, « La réforme de la prescription par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 : plus court mais pas plus simple », Cah dr entr 2008/11, n° 6, Dossier 59 ; A.-M LEROYER, « Commentaire », RTD civ 2008, p 563 ; G CANSELIER, « L’effet extinctif de la prescription libératoire la lumière de la réforme de la prescription civile », R.R.J 2008, p 1945 ; Ph MALAURIE, « La réforme de la prescription civile », J.C.P 2009, Ed G., I, 134 ; J KAYSER, « La loi portant réforme de la prescription en matière civile et les modes alternatifs de résolution des conflits », J.C.P 2008, Ed E., 1938 ; F ANCEL, « La loi n° 2008-561du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile », Gaz Pal., 12 juill 2008, n° 194, p ; V ZALEWSKI, « Réforme de la prescription civile : impact sur le droit immobilier », Rép Defrénois 2008, p 2461 ; M BANDRAC, « La nouvelle nature juridique de la prescription extinctive en matière civile », RDC 2008, p 1413 ; V LASSERRE-KIESOW, « Commentaire de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile », ibid., p 14490 ; STAES, « La loi n° 2008-561 et le régime des prescriptions applicables aux transports terrestres de marchandises », Rev Dr des transports, mars 2009, étude ; A ASTEGIANO-LA RIZZA, « L’assurance et la réforme de la prescription en matière civile », RGDA 2008, p 833 ; M BURGARD, « Les implications de la loi du 17 juin 2008 sur la prescription des actions en responsabilité des constructeurs », LPA 10 avril 2009, n° 72, p ; X LAGARDE, « Réforme de la prescription en matière civile : entre simplifications et incertitudes », Gaz Pal 11 avril 2009, n° 101, p ; G VINEY, « Les modifications apportées par la loi du 17 juin 2008 la prescription extinctive des actions en responsabilité civile », RDC 2009, p 493 ; « La réforme du droit de la prescription extinctive : perspectives nationales et transfrontières, colloque du mai 2009 », Faculté de Droit de l’Université de Metz, RLDA 2009/42, p 84 et s Baudry-Lancantinerie et Tissier le réclamaient déjà et l’on apprend dans leur traité qu’en 1904 une proposition de loi avait été déposée pour réduire le délai de droit commun vingt ans : G BAUDRY-LACANTINERIE et A TISSIER, Traité théorique et pratique de droit civil, 3ème éd., t 28, 1905, p 435, note (1) BAUDRY-LACANTINERIE et TISSIER, op cit., p 435 et 436 Electronic copy available at: http://ssrn.com/abstract=1664329 F X LICARI : LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE 741 entend aller toujours plus vite et veut réduire les coûts liés ou supposés liés une prescription trentenaire Mais d’autres causes d’insatisfaction se sont ajoutées depuis cent ans, parmi lesquelles un pullulement des délais spéciaux aux champs d’application parfois délicats délimiter4, si bien que la prescription extinctive est devenue elle-même un objet de litige, ce qui est pour le moins paradoxal pour une institution présentée comme la mère de la sécurité juridique Enfin, on lui reprochait un régime complexe et peu cohérent d’un point de vue tant pratique que dogmatique5 De toutes ses anomalies ressortait une impression de chaos et d’incertitude6 Nombreuses étaient les voix qui réclamaient une réforme7 Mais, sauf exception, ce fut sur les délais que l’attention des partisans de la réforme se focalisa longtemps8 L’avant-projet « Catala » de réforme du droit des obligations et de la prescription alla plus loin puisqu’il proposait une refonte du droit de la prescription9 Le travail était remarquable, mais non sans défaut10 Celui-ci semble avoir fini sa fulgurante carrière dans les tiroirs ministériels Sur l’initiative du Sénat, une loi fut finalement adoptée Elle s’en est inspirée mais s’en sépare sur certains points importants M BEHAR-TOUCHAIS, « Foisonnement des délais », in P COURBE (dir.), Les désordres de la prescription, Publications de l’Université de Rouen, 2000, p V par ex S AMRANI-MEKKI, « Le modèle de la prescription extinctive dans le code civil », in T REVET (dir.), Code civil et modèles – Des modèles du Code au Code comme modèle, L.G.D.J., 2005, p 76 On notera surtout la casuistique déroutante régnant dans la matière du point de départ de la prescription : P SARGOS, « Les points de départ de la prescription dans la jurisprudence de la Cour de cassation », in P COURBE (dir.), Les désordres de la prescription, Publications de l’Université de Rouen, 2000, p 23 A BÉNABENT, « Le chaos du droit de la prescription extinctive », in Etudes dédiées Louis Boyer, P.U Toulouse, 1996, p 123 et s ; D MAZEAUD, Prescription et contrat au XXIè siècle : florilège positif et prospectif, Justice & Cassation 2007, p 83 À l’exception notable de M BANDRAC, « Les tendances récentes de la prescription extinctive en droit franỗais ằ, R.I.D.C 1994, p 359, spéc p 360, n° : « Sur le front de la prescription, en France, le calme règne Aucune réforme d’envergure n’est en projet, et l’on ne discerne, dans la jurisprudence, aucun abcès contentieux ayant quelque ampleur » P SOUTY, ô La prescription trentenaire doit disparaợtre ằ, G P 1948, I, Doctr., p 43 P CATALA (dir.), Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, La documentation franỗaise 2006 : Livre Troisiốme Titre XX : De la prescription et de la possession (art 2234 2281), avec un exposé des motifs de Philippe Malaurie 10 R ZIMMERMANN, « ‘Extinctive’ Prescription under the Avant-projet », ERPL 2007, p 805 ; R WINTGEN, « La mise en œuvre de la technique du double délai de prescription extinctive », RDC 2007, p 907, id « Reforming the French Law of Prescription : A French Perspective », in J CARTWRIGHT/ S VOGENAUER/ S WHITTAKER (ed.), Reforming the French Law of Obligations: Comparative Reflections on the Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription ('the Avant-projet Catala'), Hart Publishing, 2009, p 347 ; J CARTWRIGHT, « Reforming the French Law of Prescription : An English Perspective », ibidem, p 359 742 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 4-2009 La place du droit comparé dans le processus législatif fut majeure11 En cette matière comme dans d’autres, la comparaison des droits est de longue date appelée au secours : Baudry-Lacantinerie et Tissier voyaient dans le droit comparé un moyen d’amélioration du droit en vigueur et dans l’harmonisation des droits des nations civilisées un but, pour une institution jugée universelle12 Parmi les modèles cités, revenait souvent le BGB, nouveau-né des codifications européennes Mais le vœu comparatiste resta longtemps pieu : les études de droit comparé antérieures la réforme furent rares et plutôt tardives13 Ce peu d’intérêt pour le droit comparé n’était que le reflet du désintérêt de la doctrine franỗaise et europộenne pour linstitution de la prescription14 C’est la réforme du BGB15 qui a été le facteur dộclencheur du mouvement de rộforme franỗais et sa principale inspiration, révélant ici une certaine continuité intellectuelle16, alors que les 11 Comme cela ressort des travaux parlementaires V par ex : L BÉTEILLE, Rapport no 358 (2007-2008) fait au nom de la commission des lois, déposé le 28 mai 2008, concernant la Proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile : http://www.senat.fr/rap/l07358/l07-358.html 12 BAUDRY-LACANTINERIE et TISSIER, supra, p 436 13 B FAUVARQUE-COSSON, « Aspects de droit comparé de la prescription », in P COURBE (dir.), Les désordres de la prescription, Publications de l’Université de Rouen, 2000, p 45 ; id., « Réflexion sur le processus d’harmonisation du droit travers l’exemple de la prescription », RDC 2004, p 801 ; R WINTGEN, « La mise en œuvre de la technique du double délai de prescription extinctive », RDC 2007, p 907 ; pour la doctrine étrangère, il faut bien sûr citer l’œuvre majeure de R ZIMMERMANN, Comparative Foundations of a European Law of Set-Off and Prescription, Cambridge University Press, 2002 On compte aussi des études de Law and Economics, mais aux propositions peu convaincantes : H LANDO, « A Rationale for the Limitation Period in Sales Law » (May 28, 2007), ; E GUTTAL et M T NOVICK, « A New Approach to Old Cases : Reconsidering Statutes of Limitation », (2004) 54 UTLJ 129 ; v toutefois I GILEAD, « Economic Analysis of Prescription in Tort Law », in H KOZIOL/ B C STEININGER (eds.), Tort and Insurance Law Yearbook -European Tort Law 2007, Springer-Verlag, 2008, p 112, qui aboutit des résultats plus concluants mais néanmoins limités 14 Cf R ZIMMERMANN, cité la note précédente, p 65 : « For in spite of having been graced by the attention of some of the greatest legal minds of the nineteenth century, the topic of prescription, or limitation, has until recently very widely been regarded as dull and unrewarding » 15 J BAUERREIS, « Le nouveau droit de la prescription », in C WITZ et F RANIERI, La réforme du droit allemand des obligations, Colloque du 31 mai 2002 et nouveaux aspects, SLC, 2004, p 107 ; Y LEVANO, « La prescription extinctive en droit allemand après la réforme du droit des obligations », R.I.D.C 2004, p 947 ; C Witz, Les nouveaux délais de prescription du droit allemand applicables aux ventes internationales de marchandises régies par la Convention de Vienne, D 2002, p 2860 ; F LIMBACH, « La prescription extinctive en droit allemand », D 2008, p 2535 Pour l’état du droit allemand avant la réforme, v C WITZ, Droit privé allemand, Litec, 1992, n° 667 et s 16 Sur l’influence de la doctrine allemande sur la conception franỗaise de la prescription : N NAKAYAMA, ô Les civilistes franỗais et le droit naturel au XIXè siècle : propos de la prescription », Rev d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1989, n° 8, p 129 F X LICARI : LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE 743 réformes entreprises par les droits cousins (louisianais17, belge18 ou quộbộcois19) sont passộes absolument inaperỗues Il faut noter ici une circulation intense des modèles : le droit allemand nouveau a puisé dans les codifications savantes (PDEC, Principes Unidroit, etc.)20, lesquelles avaient visiblement puisé dans le droit américain, au moins en ce qui concerne la Discovery Rule À leur tour, d’autres pays candidats la réforme de leurs dispositions sur la prescription extinctive, ont exploité ces différentes sources21 Cette fertilisation croisée tous azimuts invite mettre en œuvre une des fameuses fonctions du droit comparé : mieux apprộhender et mờme interprộter de nouvelles normes reỗues ou inspirộes de systèmes étrangers la lumière de ceux-ci et ainsi tenter de dégager une sorte de droit commun22 Il ne s’agit pas d’un exercice purement académique : cette méthode s’impose notamment en ce qui concerne la gộnộralisation en droit franỗais d’un point de départ dit « glissant », « flottant » ou encore « subjectif », stigmatisé l’envi par les commentateurs de la loi comme un facteur d’insécurité juridique et d’arbitraire judiciaire, mais peu analysé Cette migration des modèles a-t-elle engendré une convergence sur l’essentiel, savoir les trois piliers de la prescription que sont le mécanisme du point de départ, la durée et l’existence d’un délai-butoir (« long-stop period ») ? C’est aussi ce que nous essaierons de déterminer chemin faisant, en voyageant dans les eaux familières de la famille romano-germanique (France et Allemagne, essentiellement, le droit de ce dernier pays 17 M NIESET NEUFELD, « Prescription and Peremption – The 1982 Revision of The Louisiana Civil Code », (1983) 58 Tul L Rev 593 ; P D GALLAUGHER, Jr., « Revision of the Civil Code provisions on Liberative Prescription », (1985) 60 Tul L Rev 379 18 C DUMONT de CHASSART, « Eclairage étranger sur la récente rộforme franỗaise de la prescription (Rộforme de la prescription extinctive en droit belge : dix ans après) », RLDC 2009/57, p 68 19 S GUILLEMARD, « La prescription extinctive en droit franỗais Regard dune juriste quộbộcoise ằ, RLDA, 2009/42, p 101 20 C WITZ, « La prescription extinctive dans les instruments d’uniformisation du droit », RLDA 2009/42, p 97 21 Plusieurs pays se sont engagés sur la voie de la réforme : Isrặl (I GILEAD, « Limitation of Civil Actions », in K SIEHR/ R ZIMMERMANN (ed.), The Draft Civil Code for Israel In Comparative Perspective, Mohr Siebeck, 2008, p 192 ; v notre recension de l’ouvrage, R.I.D.C 2008, p 1062), la Tchéquie (R ZIMMERMANN, Der Entwurf eines tschechischen Verjährungsrechts : Eine Einschätzung aus rechtsvergleichender Perspektive, Gedächtnisschrift für Jörn Eckert, Nomos, 2008, p 1027) et l’Angleterre (Y.-M LAITHIER, « Le nouveau droit franỗais de la prescription extinctive et le rapport « Limitation of Actions » de la Law Commission anglaise », D 2008, p 2538) 22 Ouvrant la voie : R SALEILLES, « La fonction juridique du droit comparé », in Rechtswissenschaftliche Beiträge Juristische Festgabe des Auslandes zu Josef Kohlers 60 Geburtstag, Stuttgart, Verlag F Enke, 1909, p 164, spéc p 167 et s Parmi une abondante littérature contemporaine, v R LEGEAIS, Grands systèmes de droit contemporains, Litec, 2004, p 412, n° 25 et s.; F BYDLINSKI, Grundzüge der juristischen Methodenlehre, Wuv, 2005, p 42 et s 744 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 4-2009 apparaissant comme la source-mère européenne des réformes) et dans celles moins sillonnées, mais tout aussi stimulantes des droits mixtes Deux pays méritent une attention particulière En premier lieu, la Louisiane qui tout en gardant un droit de la prescription extinctive proche du modèle napoléonien a intégré la Discovery rule via la maxime contra non valentem, prộfigurant ainsi lộvolution du droit franỗais En second lieu, Israël dont le projet de Code civil contient des dispositions particulièrement riches et détaillées sur le droit de la prescription extinctive I LE POINT DE DÉPART DE LA PRESCRIPTION : VERS UNE DISCOVERY RULE LA FRANầAISE La ô subjectivation » du point de départ de la prescription, consacrée par le nouvel article 2224 C civ.23, est l’innovation qui retient le plus l’attention Il convient d’emblée de donner quelques explications terminologiques On peut lire partout que la loi nouvelle a consacré un point de départ subjectif de la prescription, c’est-à-dire articulé autour de la connaissance du sujet de droit Cet adjectif est sans doute de nature induire en erreur, car on le trouve dans la quasi-totalité des branches du droit, de même que son antonyme : droit subjectif, faute objective, cause subjective Nous préférons parler de règle de la découverte (Discovery Rule), car l’inspiration est indubitablement américaine Selon l’art 2224 C civ., la prescription commence courir lorsque le titulaire du droit a découvert l’existence du droit dont il est titulaire Ce système s’oppose celui qui était en principe dominant avant la réforme, objectif, c’est-à-dire basé sur la survenance d’un événement (event-based accrual) l’origine de la naissance du droit Pour prendre un exemple simple, dans le système dit « objectif », la prescription de l’action en réparation commence courir dès que les conditions de son existence sont réunies (i e lorsque sont réunis le fait générateur, le dommage et le lien de causalité), alors que dans le système de la règle de la découverte, la prescription commence courir dès que la victime connt l’existence de ces trois éléments La question qui surgit est la suivante : la consécration de la règle de la découverte a-t-elle engendrộ un changement de paradigme dans le droit franỗais ? Pour répondre, il faut savoir d’où il vient et voir où il est arrivé, 23 « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû conntre les faits lui permettant de l’exercer » ; comp art 2227 C civ qui reprend la même formule pour les actions réelles immobilières F X LICARI : LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE 745 par l’analyse de la nouvelle norme la lumière des expériences étrangères récentes ou en gestation A - Le droit franỗais originel : un systốme nuancộ Le système originel du Code civil peut se résumer en deux principes simples : la prescription extinctive commence courir, en principe, partir du jour où est né le droit ou l’action qu’elle est destinée éteindre24 ; la prescription court même contre celui qui ignore que l’on prescrit contre lui Le système, rigide et donc simple en apparence, a cependant rapidement été assoupli voire concurrencé, par ce que l’on n’appelait pas encore la règle de la découverte Le critère de la connaissance ou de la découverte pouvait intervenir de trois manières Tantôt comme règle d’équité correctrice du système objectif ; tantôt comme règle subsidiaire du système objectif ; tantôt comme règle de principe et donc dérogatoire La règle de la découverte, source d’équité correctrice : la maxime contra non valentem agere non currit praescriptio Il faut nous arrêter quelque temps sur la maxime contra non valentem agere non currit praescriptio, en ce qu’elle permet, dans le système antérieur, de remédier équitablement au caractère parfois injuste du caractère objectif du commencement du délai de prescription25 Recueillant une tradition fort ancienne remontant aux glossateurs26, la jurisprudence a rapidement infléchi le principe du point de départ fondé sur la survenance d’un événement, en admettant que la prescription ne courait pas lorsque « le créancier peut raisonnablement et aux yeux de la loi, ignorer l’existence du fait qui donne naissance son droit et son intérêt, et par suite, ouverture son action »27 Il convient de dissiper une certaine ambiguïté terminologique Bien que cette application particulière de la maxime contra non valentem soit souvent classée dans la 24 BAUDRY-LACANTINERIE et TISSIER, op cit., n° 364 J CARBONNIER, « La règle contra non valentem agere non currit praescriptio », Rev crit de légis et de jur 1937, p 155 26 Sur les origines historiques de la règle, outre l’article cité la note précédente, v D NICHOLS, « Contra non valentem », (1995) 56 La L Rev 337 ; sur son développement dans les codifications européennes, v K SPIRO, « Zur neueren Geschichte des Satzes « Agere non valenti non currit praescriptio », in Festschrift für Hans Lewald, 1953, p 585 et F RANIERI, Europäisches Obligationenrecht, Ein Handbuch mit Texten und Materialien, 3ème éd., Wien – New York, Springer, 2009, p 1866 et s 27 V l’arrêt de principe : Cass civ 27 mai 1857, DP 1857, 1, p 290 ; Cass com avril 1967, Bull civ., III, n° 125 25 746 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 4-2009 catégorie « ignorance du droit », ce n’est nullement de l’ignorance de la règle de droit pouvant servir de fondement l’action qu’il s’agit La jurisprudence refuse en effet, en principe, d’appliquer la maxime contra non valentem au cas où le créancier n’a pas agi dans les temps, car il ignorait le droit en vigueur ou avait commis une erreur dans l’appréciation juridique d’une situation28 Il s’agit bien d’une méconnaissance d’une des conditions d’application d’une règle de droit, un des éléments de la présupposition L’arrêt de 185729 est particulièrement intéressant dans sa formulation, car il n’exige pas que l’ignorance revête les caractéristiques de la force majeure Une ignorance raisonnable suffit Il est fascinant de constater un développement parallèle du droit louisianais La maxime contra non valentem non currit praescriptio a été, dès lorigine30, reỗue par les tribunaux louisianais31, qui ont consacrộ quatre cas d’application de cette maxime Le quatrième cas est précisément l’ignorance raisonnable du défendeur de la cause de l’action, quand bien même cette ignorance n’a pas été provoquée par le demandeur32 Par cette réception de la maxime, le droit 28 Pour une illustration particulière propos de l’impossibilité d’agir au sens de l’article L 114-1 C ass., v Cass civ 1ère 11 déc 1990, n° 87-17868, Bull civ I, n° 284 [erreur de droit : croyance en l’existence d’un mandataire de l’assureur qui aurait admis la prise en charge du sinistre] ; Cass civ 2ème 12 juil 2007, n° 06-20548, Bull civ., II, n° 208 ; v aussi affirmant nettement que l’ignorance de la loi ne suspend pas la prescription ; Cass soc 27 nov 1980, n° 7910754, Bull civ V, n° 866 ; Cass soc nov 1992, n° 90-20634 ; Cass civ 2ème, mars 2008, n° 07-11812, Bull civ., II, n° 59 ; Comp Cass civ 1ère 27 juin 2006, n° 05-13337, Bull civ., I, n° 328 ; et pour l’ignorance tout court : Cass soc 26 avr 1984, n° 82-15956, Bull civ V, n° 159 « niveau culturel ») Adde, Cass civ 1ère, 27 juin 2006, n° 05-13337, n C PÉRÈS, RDC 2007, p 229 29 V supra note 27 30 Pour un panorama des applications de cette maxime avant 1916, v Hyman v Hibernia Bank & Trust Co., 139 La 411, 71 So 598 ; v aussi A D FAVROT, « The Scope of The Maxim Contra non Valentem in Louisiana », (1937-38) 12 Tul L Rev 244 31 Certains avaient pu interpréter certaines modifications du Code civil Louisianais comme un rejet par le législateur de la maxime contra non valentem La Cour suprême de Louisiane a écarté cette interprétation : Plaquemines Parish Commission Council v Delta Development Company, Inc., 502 So.2d 1034, spéc 1055 et s Pour un commentaire : v D P DOUGHTY, « Plaquemines Parish Commission v Delta Developement Company : Application of the Contra non Valentem Doctrine in the Attorney-Client Context », (1987) 62 Tul L Rev 267 32 Corsey v State Dep’t of Cor., 375 So 2d 1319 (La 1979): « As the cited comment notes, 12 Tul.L.Rev at 253-54, this court in Reynolds v Batson, 11La.Ann 729, 730-31 (1856), authoritatively lays down the three categories of situations in which our early jurisprudence held that the principle Contra non valentem applied so as to prevent the running of liberative prescription : (1) Where there was some legal cause which prevented the courts or their officers from taking cognizance of or acting on the plaintiff's action ; (2) Where there was some condition coupled with the contract or connected with the proceedings which prevented the creditor from suing or acting ; and (3) Where the debtor himself has done some act effectually to prevent the creditor from availing himself of his cause of action (…) [4] Modern jurisprudence also recognizes a fourth type of situation where Contra non valentem applies so that prescription does not run: Where the cause of action is not known or reasonably knowable by the plaintiff, even though his ignorance is not induced by the defendant (This principle will not except the plaintiff's claim from the running of prescription if his ignorance is attributable to his own wilfulness or neglect; that is, a plaintiff will be F X LICARI : LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE 747 louisianais parvient ainsi une solution comparable celles issues des droits américains de Common Law ayant introduit progressivement la Discovery Rule33 34 Le droit louisianais nous permettra de comprendre les implications de l’introduction du système issu de la nouvelle loi Mais revenons pour le moment au droit franỗais Le motif de lignorance n’a pas forcément relever de la force majeure, il suffit que l’on ne puisse raisonnablement exiger du créancier qu’il ait connu les faits donnant naissance ses droits Ainsi en est-il d’une cause de nullité d’un acte de notarié, de nature n’être découverte que postérieurement l’acte35, ou encore de l’héritier qui découvre tardivement l’existence d’une assurance souscrite en sa faveur par le de cujus36 Quant l’action en paiement, traditionnellement, le point de départ de sa prescription se situe au moment de l’exigibilité de l’obligation37 Mais dans ce cas aussi, l’adage contra non valentem peut venir au secours du créancier38 Mais encore faut-il que l’ignorance ne soit pas imputable au créancier ou déraisonnable39 deemed to know what he could by reasonable diligence have learned Cartwright v Chrysler Corporation, 255 La 597,598, 232 So.2d 285 (1970); Sumerall v St Paul Fire & Marine Ins Co., 366 So.2d 213 (La.App Cir 1978) » 33 Même arrêt, ibidem : « This fourth or more modern situation (…) is generically similar to instances provided by statute where prescription does not begin to run until the claimant has knowledge of his cause of action In these, the cause of action does not mature (so prescription does not begin to run) until it is known or at least knowable » 34 Pour une analyse de ces quatre cas d’application de la maxime contra non valentem, v J M COSSICH, « The Suspension and Commencement of The Running of Liberative Prescription », (1988/1989) 34 Loy L Rev 341, spéc p 354 et s ; M D LATHAM, « Plaquemines Parish Commission Council v Delta Development Co : Contra Non Valentem Applied to Fiduciaries », (1988) 48 La L Rev 967 et spéc p 976 et s pour la Discovery Rule ; pour une analyse du quatrième cas (Discovery Rule), v F L MARAIST et T C GALLIGAN, Jr., Louisiana Tort Law, Michie, 1996, p 222 et s ; v aussi : B W JANKE, « Revisiting Contra Non Valentem in Light of Hurricanes Katrina and Rita », (2008) 68 La L Rev 497, spéc pp 500-505 Le premier des quatre cas rappelés dans Reynolds v Batson est peu appliqué, car il concerne les cas de guerre ou de catastrophes naturelles Après les ouragans Katrina et Rita, le gouverneur a décrété une suspension rétroactive de tous les délais de prescription et de péremption pour une période déterminée La constitutionnalité de cette mesure a été mise doute Un auteur a fait valoir qu’il aurait mieux valu laisser juger les tribunaux au cas par cas de l’application de la maxime contra non valentem afin que la suspension soit toujours justifiée et proportionnée aux besoins en présence : B W JANKE, préc., spéc., pp 531 et s 35 Cass civ 27 mai 1857, préc 36 Paris, 19ème ch., 28 oct 1969, J.C.P 1970, II, 16318, concl LEMANT 37 V par ex Cass civ 3ème, 14 juin 2006, n°05-14181, Bull civ., III, n° 151 38 Complexité des modalités d’établissement de la rémunération : Cass com 13 avr 1999, n° 97-16632, Bull civ., IV, n° 89 : art 108 C com (prescription annale) ; l’ignorance par l’assuré de l’existence de co-assureurs suspend le cours de la prescription : Cass com janvier 1994, n° 9210249, 2ème moyen 39 Par exemple, l’épouse qui ignore la mort de son mari et laisse ainsi s’éteindre par prescription une créance d’indemnité d’assurance ne peut invoquer le caractère raisonnable et légitime de son ignorance alors qu’elle avait abandonné le domicile conjugal pendant une quinzaine d’années « sans fournir aucune explication plausible de son attitude » : Cass civ 25 juin 1935, S 1936, 1, p 366 ; v aussi Cass req 27 janv 1941, S 1941, I, p : « si l’ignorance de l’ouverture 748 REVUE INTERNATIONALE DE DROIT COMPARÉ 4-2009 Toutefois, une vộritable Discovery Rule la franỗaise na jamais pu vraiment émerger du fait de la coexistence dans la jurisprudence de deux tendances contradictoires dès l’origine40 En effet, côté du critère de l’ignorance raisonnable41, la jurisprudence a développé celui de l’ignorance invincible, assimilable la force majeure42, sans qu’une tendance l’ait jamais emporté Il est possible aussi que le besoin dune Discovery Rule ait ộtộ moins urgent en droit franỗais qu’en droit louisianais : son champ d’application naturel est la responsabilité délictuelle du fait du décalage existant parfois entre la réalisation du dommage et la connaissance que la victime en a Or, en France, jusqu’à l’introduction en 1985 de l’article 22701 du Code civil, la prescription de droit commun en matière délictuelle était de 30 ans (10 ans en matière mixte ou commerciale), ce qui laissait en règle générale la victime un délai suffisant pour agir Au contraire, en droit louisianais, en matière délictuelle, la prescription fut annale dès l’origine43 , délai qui ne pouvait qu’inciter les tribunaux forger une cause de suspension basée sur la méconnaissance des faits En somme, la règle de la découverte de l’article 2224 n’est rien d’autre que la généralisation de ce cas d’application de la règle contra non valentem Les autres cas d’application de la maxime ont été quant eux codifiés dans l’article 2234 La règle de la découverte pouvait aussi avoir un caractère subsidiaire La règle de la découverte, règle parfois subsidiaire La règle de la découverte a été consacrée comme règle subsidiaire soit par le droit légiféré, soit par le droit prétorien À titre d’exemple pour le d’une succession peut empêcher de courir la prescription extinctive de l’article 789 C civ., c’est la condition que le successible ait une juste raison d’ignorer la naissance de son droit » 40 J CARBONNIER, « La règle … », préc., spéc p 169 et s 41 Req., 27 janv 1941, S 1941, I, p « Juste raison d’ignorer la naissance de son droit ; Cass com., avr 1967, Bull civ., III, n° 125 : « pouvait raisonnablement ignorer le fait qui donne naissance son action » ;« ignorance légitime et raisonnable » : Cass com., janv 1994, n° 9210249 ; Cass civ 2ème, 22 mars 2005, n° 03-30551, Bull civ., II, n° 75 ; Cass com., 13 avr 1999, n° 97-16632, Bull civ., IV, n° 89 42 Dans un arrêt de 1918, la chambre des requêtes avait exclu que l’ignorance du droit pût jamais constituer une impossibilité d’agir (Req 11 juin 1918, S 1922, I, p 217, n crit E NAQUET) Puis, ultérieurement la Cour de cassation est revenue une position plus juste : l’ignorance peut constituer un cas d’application de la maxime, mais condition de revêtir les caractéristiques de la force majeure : Cass civ 25 juin 1935, S 1936, I, p 366 ; Cass soc janv 1974, n° 73-10418, Bull civ., V, n° ; Cass civ 1ère, oct 1992, n° 89-13461 ; pour d’autres cas où il est exigé une impossibilité « absolue » d’agir : Cass civ 3ème, 22 nov 2006, n° 05-19565, Bull civ III, n° 228 ; Cass civ 2ème, 12 juil 2007, n° 06-20548, Bull civ., II, n° 208 43 V aujourd’hui art 3492 C civ Louisiane : « Les actions délictuelles sont soumises une prescription libératoires d’un an La prescription commence courir du jour où la blessure ou le dommage est subi » ... détaillées sur le droit de la prescription extinctive I LE POINT DE DÉPART DE LA PRESCRIPTION : VERS UNE DISCOVERY RULE À LA FRANÇAISE La « subjectivation » du point de départ de la prescription,... dans la jurisprudence de la Cour de cassation », in P COURBE (dir.), Les désordres de la prescription, Publications de l’Université de Rouen, 2000, p 23 A BÉNABENT, « Le chaos du droit de la prescription... puisque c’est le demandeur qui a la meilleure aptitude la preuve Dans tout les cas où la présomption sera jugée conforme la réalité, et ce devrait être la majorité d’entre eux, la règle de la découverte

Ngày đăng: 16/03/2023, 15:34

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