Le Tân đính luân lý giáo khoa thư (Manuel de morale, nouvelle version ; ou Nouvelle version) est un manuel de morale rédigé, gravé et imprimé à l’école Đông Kinh Nghĩa Thục pour servir de base à l’enseignement donné dans cette école La rédaction des manuels scolaires a toujours reflété les idées, les connaissances, les choix de valeurs d’une époque et leur étude fournit nécessairement des éclairages puissants sur les sociétés qui les ont émis, mais cette caractéristique est d’autant plus affirmé[.]
Le Tân đính luân lý giáo khoa thư (Manuel de morale, nouvelle version ; ou Nouvelle version) est un manuel de morale rédigé, gravé et imprimé l’école Đông Kinh Nghĩa Thục pour servir de base l’enseignement donné dans cette école La rédaction des manuels scolaires a toujours reflété les idées, les connaissances, les choix de valeurs d’une époque et leur étude fournit nécessairement des éclairages puissants sur les sociétés qui les ont émis, mais cette caractéristique est d’autant plus affirmée dans le cas de Đông Kinh Nghĩa Thục, qu’elle n’était pas seulement une école privée qui dispensait des cours, mais un des maillons importants dans le mouvement Duy Tân alors en pleine effervescence du Nord au Sud L’étude et l’analyse détaillée du contenu de la Nouvelle version pourraient donc contribuer une meilleure compréhension de l’évolution des idées des lettrés au début du XXe siècle, et de l’histoire des idées au Vietnam en général Ce manuel a été traduit en quốc ngữ par Vũ Văn Sạch, puis publié Hanoi en 1997 par les éditions ( ) 2Nous avons travaillé sur l’unique exemplaire de ce manuel conservé dans les fonds de la Résidence de Nam Định au Centre national d’archives n° Hanoi dans le dossier 2629 intitulé Les textes visant critiquer et abaisser le Gouvernement du Protectorat, 1907-1908 Le texte en caractères chinois1 compte trente-six feuilles recto verso, donc soixante-douze pages ; la présentation est traditionnelle et la lecture se fait du haut en bas La préface a été rédigée le 27 du 2e mois de l’année Đinh mùi (1907) Les citations sont accompagnées du numéro des pages et de face A ou B Nous laisserons de côté ici l’analyse sémantique et stylistique, ainsi que les aspects techniques pour nous borner l’analyse des idées de morale contenues dans ce manuel Avant d’analyser sa nouveauté, ainsi que les révisions des lettrés modernistes par rapport la morale confucéenne traditionnelle, il convient de présenter rapidement quelques points clés de l’idéologie et de la morale du confucianisme classique La structure générale de la Nouvelle Version et les bases de la morale confucéenne traditionnelle 3La morale vietnamienne traditionnelle n’est pas construite d’après le confucianisme du temps de Confucius et de Mencius (Ve siècle av J.-C.), mais d’après la conception morale telle qu’elle a été établie partir des Tần Hán (IIIe siècle av J.-C – IIIe siècle apr J.-C.) Le contenu de cette morale est complexe, mais en résumé l’on peut dire qu’elle est exprimée dune faỗon concentrộe et systộmatique dans les Trois Relations (Tam cương : souverain-sujet, père-fils, époux-épouse) et les Cinq Relations (Ngũ luân : souverain-sujet, père-fils, épouxépouse, entre les frères, entre les amis) Le système des Trois Relations est considéré comme le pilier de la morale confucéenne et entrne des conséquences en termes de hiérarchie et de préséance, selon un ordre immuable que les lettrés confucéens ont développé au niveau de l’ordre universel, celui d’un univers aussi stable que la Terre et le Ciel L’esprit des relations dans le système des Trois Relations réside dans la Fidélité (Trung), la Piété filiale (Hiếu), la Loyauté toute épreuve (Tiết nghĩa) Ce sont les catégories morales les plus importantes : les sujets doivent être fidèles au souverain ; l’enfant doit être pieux envers ses parents ; les époux doivent être respectueux et fidèles 4Les deux premières catégories (Trung et Hiếu) concernent la morale individuelle, mais ont des conséquences politiques suivant la séquence suivante : perfectionnement individuel ; fonctionnement de la famille ; gouvernement du pays ; conquête du monde (tu thân – tề gia – trị quốc – bình thiên hạ) Cette morale inclut l’aspect intérieur du perfectionnement moral de l’individu et l’aspect extérieur de l’action sociale Des relations étroites lient la Fidélité et la Piété : la piété dans la famille est la condition pour avoir des sujets fidèles La fidélité du sujet vis--vis du souverain est conỗue comme lộlargissement et le dộveloppement de la piété filiale Dans un même mouvement la piété filiale implique nécessairement la fidélité au souverain Dans l’histoire du Vietnam, les catégories morales Fidélité et Piété sont très tôt mentionnées Les Annales consignent un rite institué sous les Lý après la révolte des Trois princes (loạn Tam Vương) qui consiste faire venir, au début du printemps au temple de Ðồng Cổ, tous les membres de la famille royale et les mandarins pour prêter au souverain le serment suivant : « celui qui est sujet infidèle et fils impie sera mis mort par les génies » Dès la dynastie des Lý au XIe siècle, ces deux concepts sont donc l’objet d’une attention toute particulière À partir du XVe siècle, dans toutes les manifestations du confucianisme, depuis les rédactions aux concours, les poèmes et les proses, les lois, les ouvrages divers enseignés dans la famille et dans le lignage, etc le système moral des Trois Relations et les catégories Fidélité – Piété occupent toujours une place centrale, stratégique et extrêmement importante Jusqu’au milieu du XIXe siècle, dans son ensemble ce système reste sacré et domine le système des valeurs dans la société vietnamienne 5Dans la Nouvelle version qui est un manuel destiné au grand public, les sujets abordés sont considérés comme des modules de connaissances que les rédacteurs désirent transmettre aux élèves La distribution des sujets en chapitres et en sous-chapitres, ainsi que leur ordre, exprime les centres d’intérêts des rédacteurs et leur volonté de souligner les questions abordées 6La Nouvelle version est divisée en sept chapitres avec les souschapitres suivants : Généralités (Tổng luận) : Honneur national (Quốc thể) – Fidélité (Trung Hiếu) ; Par rapport au Pays (Đối quốc) : Pays (Quốc) ; Respecter le souverain, aimer le pays (Tôn vương quốc) ; Lois (Thủ pháp) ; Armée (Binh dịch) ; Impôt (Nạp thuế) ; Élection des députés (Tuyển cử nghị viên) ; Éducation des enfants (Giáo dục tử nữ) ; Par rapport la famille (Ðối gia) : Famille (Gia tộc) ; Époux (Phu thê) ; Parents et enfants (Phụ tử) ; nés et cadets (Huynh đệ) ; Par rapport soi-même (Ðối kỷ) : Soi-même (Kỷ) ; Hygiène (Vệ sinh) ; Connaissance (Dũ trí) ; Morale (Tiến đức) ; Par rapport l’autrui (Ðối nhân) : Respect du mtre (Tơn sư) ; Respect de l’né (Kính trưởng) ; Amis (Giao hữu) ; Par rapport la société (Ðối xã hội) : Société (Xã hội) ; Cause publique (Công nghĩa) ; Bienfait (Công đức) ; Par rapport la nature (Ðối thứ vật) : Tolérance (Bác ái) ; Animaux (Động vật) ; Plantes (Thực vật) Dans l’ouvrage Lê triều giáo hóa điều luật rédigé en 1663 sous le règne de Lê Cảnh Trị, le premier ( ) 7La structure de ces sept chapitres présente la fois des ressemblances et des différences par rapport au mode de raisonnement et la conception de la morale traditionnelle Le premier chapitre est considéré comme un manifeste et une introduction Il est composé de deux parties, « Honneur national » et « Fidélité », qui seront développées dans les deuxième et troisième chapitres Cependant ces idées sont mises en valeur la manière d’un manifeste, dès le début du manuel, parce qu’elles sont considérées comme la base de tout ce qui suivra La distinction entre « honneur national » et « fidélité » est un fait remarquable Les manuels traditionnels de morale posent en effet la « fidélité-piété » (trung hiếu) comme la première question débattre2, mais le concept « fidélité » (trung) comprend déjà les problématiques de la nation et du pays (quốc) La Nouvelle version innove donc en réservant la première place la nation d’une part, en la distinguant d’autre part du souverain : la fidélité au souverain et l’attitude par rapport la patrie sont désormais deux notions distinctes Dans le contexte d’un pays sous domination étrangère le souverain n’est plus synonyme du pays, car le pays n’est plus celui du roi 8La Nouvelle version propose par ailleurs une structure logique différente de la morale traditionnelle Dans l’esprit confucéen, le modèle suit généralement le chemin de l’auto-perfectionnement (Nội thánh) qui permet d’emprunter la voie de la vertu (Ngoại vương) visà-vis d’autrui Logiquement, soi-même (kỷ) est le point de départ d’un itinéraire qui aboutit la société (thiên hạ) : la sincérité dans l’âme entrne une vie spirituelle poursuivant le juste chemin, puis la connaissance du monde extérieur ou bien, le perfectionnement individuel permet de gérer la famille, puis de gouverner le pays, puis de faire régner la paix dans le monde (thành ý – tâm – cách vật – trí tri – tu thân – tề gia – trị quốc – bình thiên hạ) Ce cheminement des racines au sommet, du proche au lointain, permet de résoudre toutes les questions de l’individuel et du collectif, de l’intérieur et de l’extérieur Le cheminement dans l’autre sens (de l’extérieur l’intérieur et du général au concret) est parfois pratiq, mais toujours dans un enchnement linéaire La Nouvelle version suit le schéma suivant : pays – famille – soi-même – autrui – société – nature Ce n’est pas une logique habituelle : elle ne va pas vers le général, ni vers le concret comme dans les ouvrages traditionnels La première séquence de ce schéma – du pays l’individu – représente un système l’horizontale, du général au concret La deuxième séquence – de l’individu la nature – a une structure verticale Cela est une nouveauté La société est considérée comme une famille étendue avec les relations morales familiales élargies Dans le système de morale traditionnelle la notion de société n’existe pas : soi-même et autrui sont inclus dans les étapes du schéma « perfectionnement moral – gérer la famille – conquérir le monde » L’attention accordée un autre ensemble de relations morales d’un type nouveau s’oriente ici vers la construction d’une société avec des membres qui ne sont pas seulement sujets, mais aussi citoyens Le système moral proposé par les lettrés modernistes peut ainsi être considéré la fois comme nouveau et ancien dans son ensemble Il s’agit ici d’une morale qui s’adresse la fois aux sujets et aux citoyens 9Cette morale correspond tout fait l’idée de monarchie constitutionnelle Dans le chapitre « Par rapport au pays », les parties « Élections des députés » et « Lois » représentent d’ailleurs des problématiques inconnues du système traditionnel Au premier regard, les chapitres « Par rapport autrui » et « Par rapport la société » semblent faire double emploi : les relations envers autrui sont aussi celles envers les autres membres de la société Cependant, par la distinction introduite entre ces deux parties, les rédacteurs veulent exposer deux systèmes différents Les relations envers autrui concernent les relations communautaires de l’ancien type qui incluent le respect du mtre, de l’né et les relations amicales La société inclut, quant elle, des relations d’un type tout fait nouveau ; l’accent est ici mis sur les vertus citoyennes comme les bienfaits, les causes publiques, les cérémonies, etc Cette juxtaposition s’explique peut-être par la nécessité de concilier une conception ancienne encore bien vivante et une nouvelle conception qui ne s’est pas encore imposée La structure du chapitre « Par rapport la famille » montre également des différences par rapport la morale traditionnelle : les relations des « Époux », y précèdent « ParentsEnfants » et « nés et cadets », alors que dans les manuels traditionnels de morale, les relations parents-enfants sont mises en premier lieu Le fait d’intervertir l’ordre des relations par rapport aux Trois Relations traditionnelles et par de mettre l’accent sur les relations entre les époux peut être considéré comme une innovation dans la morale familiale Cela traduit probablement une certaine influence de l’esprit d’égalité des philosophies européennes et américaines dont les lettrés modernistes ont pu avoir connaissance 10Le quatrième chapitre concerne l’attitude par rapport soi-même (Đối kỷ) Les lettrés confucéens considèrent cette question comme le point de départ pour l’enchnement des comportements et des relations C’est pour cela qu’il faut ce perfectionnement moralement (tu kỷ) afin d’accomplir correctement les autres relations Se perfectionner moralement est un entrnement visant la résolution correcte des relations : ce que je veux pour moi je le ferai pour autrui (suy kỷ cập nhân) ; si je suis moralement bon je peux avoir une bonne influence sur autrui (tu kỷ an nhân) ; donc quand je me perfectionne moralement cela représente aussi une condition pour faire de la politique et faire régner l’harmonie dans le monde (tu kỷ để an bách tính) Le chapitre « Par rapport soi-même » dans la Nouvelle version comprend quatre parties selon l’ordre suivant : soi-même – hygiène – connaissances – morale Cet enchnement ne considère pas la morale comme primordiale, mais la morale ne peut être respectée correctement que s’il y a une attitude correcte par rapport soi-même, et l’intelligence ne peut se développer que grâce un corps en bonne santé, c’est l’ensemble de ces conditions qui mène une bonne morale La morale représente toujours un objectif important atteindre, mais exposé en dernier lieu Dans le raisonnement de cette dernière partie sur la morale, on voit qu’elle a toujours un rôle très important, mais dans la logique du raisonnement et la conception de l’éducation de l’individu sont déjà introduits beaucoup d’éléments nouveaux, assez proche de l’idée de l’éducation globale dans la pédagogie actuelle Le sixième chapitre, « Par rapport la société », et le dernier chapitre, « Par rapport la nature », sont nouveaux : les manuels traditionnels n’abordent presque jamais ces questions 11Dans l’ensemble, la structure logique de la Nouvelle version, ainsi que l’ordre des sujets développés, montrent que le système moral proposé par les lettrés modernistes est différent, l’ancien système subsistant cependant travers des éléments isolés Le manuel tente de concilier la morale du sujet et celle du citoyen et c’est ce qui oblige les rédacteurs introduire des changements dans la structure du système Par contre, il ne propose pas de système globalement nouveau, mais un élargissement constitué d’ajouts et de coupures Les nouveautés 12Après une appréciation globale sur la structure générale de la Nouvelle version, il faut maintenant considérer ce qui est nouveau dans les points de vue développés, les concepts utilisés, les problématiques ainsi que les explications des auteurs 13Le concept « honneur national » (quốc thể) est en lui-même une nouveauté que le lettré confucéen n’utilisait pas d’habitude Dans ce manuel, il est présenté dans l’esprit de quốc thông – thể et thông font référence l’honneur et la nécessité de garder la face Les rédacteurs ont souligné en particulier l’origine du pays des Viêts et leurs ancêtres légendaires Hồng Lạc, la transmission travers les liens du sang Le pays est considéré comme une grande famille grâce aux relations familiales, la famille étant sa base Les auteurs soulignent également la question de la solidarité nationale (đoàn kết), considérée comme l’esprit de la communauté nationale (feuille 3B) Le concept quốc thống subit une certaine influence du concept confucéen đạo thống qu’on peut interpréter comme la transmission des valeurs de génération en génération « Honneur national » est basé sur le sang qui se transmet de génération en génération Le pays (quốc) étant imaginé comme une famille élargie, toute la population dun pays reỗoit ainsi les faveurs des ancờtres communs C’est pour cette raison que les membres d’un même pays doivent être solidaires, se doivent le respect et s’aimer comme les nés et les cadets d’une même famille L’attachement des membres du pays doit venir d’un sentiment naturel comme l’amour entre père et fils, entre frères et sœurs, et non pas sur la base d’un calcul d’intérêt ou d’un contrat social : Si les êtres humains ne se réunissent pas, ils ne peuvent pas gagner dans la concurrence pour exister L’origine de la solidarité n’est pas unique Si l’on calcule le pour et le contre afin de se mettre d’accord, si l’on prend le contrat comme lien d’attache, cette solidarité vient de la volonté humaine et ne peut pas être solide et durable Elle ne peut qu’exister provisoirement avant de se dissoudre inéluctablement C’est pour cette raison que seule la solidarité par le sang est précieuse La solidarité par le sang est une solidarité née de l’amour respectueux que les membres de la même communauté témoignent vis-à-vis des ancêtres communs Par cette solidarité est née une association des gens qui sont redevables vis-à-vis des bienfaits des ancêtres communs et gardent la paix collective Cette association, c’est la famille quand elle est de petite taille, et c’est le pays quand elle acquiert une taille importante Cette solidarité est d’origine naturelle, la force humaine n’atteindra jamais son ampleur (feuille 3A) 14Le fait de mettre « honneur national » (quốc thể) en premier lieu témoigne de la demande et de la question morale la plus importante pour les Vietnamiens ce début du XXe siècle Dans le contexte de la perte de la souveraineté, la question de la fierté nationale et la solidarité nationale en vue de la régénération du peuple, est considérée comme la question morale suprême et la plus urgente Cette solidarité est basée sur les liens du sang, sur l’amour des « gens nés des mêmes entrailles » (tình đồng bào) et non pas sur un contrat social abstrait Poser « l’honneur national » comme le premier principe moral est une nouveauté par rapport la morale confucéenne traditionnelle qui considère la fidélité au souverain (trung quân) comme la valeur suprờme Les auteurs de la Nouvelle version, en remplaỗant la « fidélité au souverain » par « l’honneur national » répondent un besoin concret d’un moment de l’histoire du Vietnam « L’honneur national » est considéré comme une sorte de morale nationale transcendante Mais cette morale est construite sur un modèle auquel est habitué le lettré confucéen, c’est-à-dire imaginer la patrie selon le modèle de la famille élargie, ce dont témoigne le terme même, quốc gia, qui est composé de quốc (pays) et gia (famille) Ici les relations sociales sont converties en relations familiales, soudées par la conscience de l’humanité et le sentiment de l’être Les lettrés modernistes connaissent la problématique du contrat social Cependant ils le considèrent comme inférieur, moins solide que l’alliance basée sur les sentiments naturels par le sang L’alliance sociale basée sur l’intérêt et le contrat sont considérés comme une affaire d’individus vils et mesquins Suite Confucius dans les Entretiens, le lettré confucéen dit que « le gentilhomme est solidaire sans être dans une clique, tandis que l’individu mesquin est dans une clique sans être solidaire » C’est une contradiction qui ressortira plus tard quand les auteurs discutent avec passion des questions d’organisation sociale qui relèvent au fond du contrat social La Nouvelle version distingue la solidarité (đoàn kết) et l’union (cố kết), solidarité et clique (bè đảng) L’appel la solidarité nationale vise la sauvegarde du pays et la régénération du peuple ; il est essentiellement pathétique et vise plus émouvoir le lecteur qu’à le convaincre par la raison Ce sont les catégories les plus importantes de la piété filiale qui sorganisent de la faỗon suiva ( ) 15Les auteurs de la Nouvelle version abordent ensuite les concepts de fidélité et de piété (trung-hiếu), deux concepts de base de la morale traditionnelle Leur place dans le premier chapitre montre leur importance, d’autant qu’ils sont les plus développés dans la suite de l’ouvrage En évoquant la fidélité (trung), les auteurs ne peuvent passer sous silence l’idée de la fidélité au souverain (trung quân), et ils en parlent donc, mais sans plus de dộtail et notamment sans indiquer la faỗon dờtre fidốle au souverain Les auteurs ne parlent d’ailleurs plus du trône suprême, ni de l’obéissance inconditionnelle un individu sacré, ni de la relation souverain-sujet au sens classique Quant la piété filiale (hiếu), on n’y trouve pas non plus le contenu habituel du respect envers les parents et des honneurs qui leur sont dus (kính, dưỡng, kế chí, thuật ou dương danh hiển thân) comme dans la conception traditionnelle3 Le passage sur la fidélité et la piété est constitué essentiellement du raisonnement sur l’origine commune (nhất bản) des deux concepts et les auteurs combattent l’opinion selon laquelle la fidélité entière (tận trung) n’est pas compatible avec la piété entière (tận hiếu) Les auteurs abordent ensuite les moyens de les mettre en œuvre en même temps, puisqu’ils ne sont pas contradictoires et ils estiment qu’il est possible de les pratiquer dans tous les actes ordinaires de la vie : le mandarin doit être consciencieux et travailleur, les nés et les cadets doivent être en bons termes, les amis doivent conserver la confiance, les soldats doivent être courageux sur le champ de bataille, etc Quand on accomplit consciencieusement ces actes, les parents sont forcément contents et le souverain satisfait Les auteurs arrivent finalement la conclusion que tous les autres aspects de la morale se trouvent inclus dans les concepts trung-hiếu qui sont donc un élément essentiel, et non pas un simple maillon d’un système comme dans la morale traditionnelle 16Les auteurs soulignent de plus le concept de la « grande cause » (đại nghĩa), mais dans le sens de « fidélité suprême » (đại trung) et aussi de « piété suprême » (đại hiếu), différente du concept souverain-sujet traditionnel : Ne pas faire grand cas de sa vie pour atteindre son idéal, c’est cela la piété suprême ; la piété et la fidélité ont la même racine, elles ne sont pas en contradiction, mais au contraire se complètent ; elles sont vraiment l’origine de toutes les vertus et qualités Tous les actes au quotidien ne sortent pas du domaine de la piété et de la fidélité (feuille 4B) 17Le concept de la « grande cause » peut donc signifier que les enfants du pays, dans un moment critique pour leur patrie, peuvent être amenés faire le sacrifice de leur vie pour leur patrie Il signifie également que le perfectionnement moral a également pour but la sauvegarde de la patrie, comme le montre la fin du premier chapitre : Qu’elle est grande la voie de la fidélité et de la piété ! Qu’elle est belle la vertu de la fidélité et de la piété ! La puissance ou la perte d’un pays, le développement ou la décadence d’une société, l’honneur ou le déshonneur, l’existence ou la destruction d’un individu, d’une famille, rien n’est étranger la fidélité et la piété Peut-on alors négliger de les prendre comme les fondements ? ! (feuille 5B) 18La « cause suprême », la « fidélité suprême », la « piété suprême » dộpassent donc dune certaine faỗon le contenu traditionnel de fidộlitộ – piété Celle-ci ne vise plus le service inconditionnel un roi ou une dynastie, mais tend une attitude et un comportement responsable envers la société, la responsabilité vis-à-vis de la société signifie également l’honneur et peut remplacer la « piété » envers ses parents au contenu beaucoup plus étroit 19Dans le deuxième chapitre les auteurs de la Nouvelle version continuent explorer les rapports vis-à-vis du pays et le premier paragraphe aborde la notion du « pays » (quốc) du point de vue des lettrés modernistes, avec leur conception de l’« honneur national » (quốc thể) déjà abordée dans le premier chapitre : Une terre de mille lieux, mais dont la population n’est pas fixée mais instable, ne peut pas être définie comme un « pays » (quốc) Un territoire comptant des millions d’habitants, mais qu’aucune carte ne définit, ne peut pas être appelé « pays » La population nombreuse, la superficie suffisante, mais sans la souveraineté, sans l’application des règlements, cela ne peut pas être un « pays » Ce qu’on appelle « pays » doit comprendre trois éléments – le territoire, une population nombreuse, la souveraineté Parmi ces trois éléments, la souveraineté est le plus important pour la fondation d’un pays (feuille 6A) Dans toute la Nouvelle version, aucune référence des penseurs occidentaux ; les seules sources s ( ) 20Les lettrés modernistes passent de la notion de « sujet » (thần dân) opposée celle de « pays » (quốc), comprise dans son acception traditionnelle celle de « citoyen » (công dân) En effet, en décrivant le caractère absolutiste des règnes antérieurs, ils insistent sur les dangers considérer le peuple (thần dân) comme des marionnettes ou des esclaves Ils en appellent donc une régénération du peuple par des actions concrètes et proposent de développer les organisations sociales et associatives (liên hiệp đồn thể), de fonder une constitution (cơng định hiến pháp) et d’accomplir au mieux ses devoirs envers la Patrie, ce qui est suffisant pour la défendre Ici les auteurs soulignent la notion de la Patrie (Tổ quốc, littéralement « ancêtre + pays », au sens d’un pays hérité des ancêtres par la transmission par le sang, et non pas du pays d’un souverain, quốc triều) Ils préconisent l’adoption du modèle japonais de monarchie constitutionnelle4 Le passage « Par rapport au pays » introduit donc une nouvelle philosophie sur la société : la régénération du peuple, la proclamation des droits civiques, l’établissement des lois, visent résoudre la question nationale On peut dire que c’est le point le plus novateur dans la pensée morale proposée par les lettrés modernistes au début du XXe siècle Ils sont conscients du danger de l’absolutisme puisqu’ils vont jusqu’à proposer l’idée de la const ( ) Ils n’évoquent donc pas la révolution ou la république, mais était-ce possible pour des lettrés co ( ) 21Le manuel aborde ensuite la question du respect du souverain et celle de l’amour du pays (Tôn vương quốc), indissociables dans la morale traditionnelle Le pays étant celui d’une lignée et d’une dynastie, aimer son pays veut dire aimer son souverain et vice versa De fait, les lettrés modernistes attribuent une certaine signification la monarchie5 : le trône demeure le symbole de l’union et de la solidarité du peuple6, même s’ils en parlent assez peu, soulignant plutôt le fait que le pays doit être dirigé par des Vietnamiens, par des souverains vietnamiens donc Le sous-chapitre « Les lois » (Thủ pháp), c’est-à-dire appliquer et respecter la loi, suit immédiatement celui du respect dû au souverain et de l’amour du pays C’est une partie importante, les auteurs estiment qu’il s’agit du devoir premier du citoyen, la base de la fondation d’un pays Cette partie est développée dans le détail, ce qui montre leur compréhension de la nature du modèle des sociétés occidentales modernes, perỗues travers le prisme japonais, fondộes sur le droit : L’obligation première de la population par rapport au pays, c’est le respect de la loi Ce qu’on appelle le droit, ce n’est pas ce qu’on obtient avec des mesures despotiques, mais par le pouvoir désintéressé de l’individu pour défendre l’intérêt de la majorité, punir les malhonnêtes, défendre la population, assurer la paix et la prospérité du pays an khang, pour cette raison le peuple doit respecter la loi (feuille 7A) 22Les auteurs rappellent également qu’il existe des lois internationales qu’il faut conntre et respecter, afin d’augmenter le prestige du pays Ce chapitre contient également les sous-chapitres sur l’Armée ; Les Impôts ; Élection des députés Ces trois questions sont abordées d’un point de vue général, car la Nouvelle version est consacrée l’aspect moral : les auteurs pensaient donc sans doute aborder les détails dans des cours spécialisés Les auteurs soulignent essentiellement la nécessité du dévouement et de la sincérité du citoyen par rapport l’armée et au service militaire, au paiement des impôts, l’élection des députés et l’éducation des enfants Chaque individu doit s’impliquer dans l’application de ces devoirs : Si le cœur n’y est pas, on ne peut rien réussir ; les bonnes paroles et les belles actions ne sont alors que l’apparence pour masquer l’extérieur Si le cœur y est, tout réussit, même une racine qui s’enfouit profondément ou un tronc dur, on peut les arracher (feuille 8A) 23Dans la partie sur le Paiement des impôts, les auteurs écrivent : Si c’est un pays, il y a forcément l’envie de maintenir la paix intérieure pour le peuple, de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté vis-à-vis de l’extérieure C’est pour cette raison que les frais d’un pays sont importants Et pour les couvrir, il faut forcément faire appel la richesse du peuple pour augmenter la force du pays Étant citoyen d’un pays, comment peut-on ne pas donner sa contribution avec joie ? (feuille 9A, nous soulignons) 24En exposant L’Élection des députés, les auteurs accordent également une grande attention au comportement du citoyen accomplissant son devoir ; les négligences dans l’élection des députés ayant un lien direct avec le maintien de la paix et la puissance du pays, il faut donc s’acquitter de ces devoirs avec respect et sérieux 25D’une manière générale, c’est au « cœur » (tâm) ou la catégorie thành (esprit pur et conscient) qu’est réservée la place centrale : dans tous les actes, petits ou grands, ce qui est important c’est l’esprit avec lequel les choses sont faites L’attention portée au comportement des citoyens dans l’accomplissement de leurs devoirs plutôt qu’à une explication détaillée des institutions occidentales peut se comprendre : les lettrés connaissaient infiniment mieux le fonctionnement des phénomènes moraux que celui des organisations européennes Leur originalité par rapport leurs confrères du passé n’est pas qu’ils abandonnent le confucianisme, mais qu’ils l’adaptent des réalités nouvelles Dans le sous-chapitre Éducation des enfants, les auteurs de la Nouvelle version soulignent en particulier l’importance du thème du devoir patriotique, ce que les manuels traditionnels dộducation familiale abordaient dộj, mais pas dune faỗon aussi directe et concentrée L’être humain aime naturellement ses enfants ; les ayant mis au monde, il est naturel de les éduquer ; l’éducation des enfants vise essentiellement l’objectif de s’établir, c’est ce qui est tout fait normal de la part des parents Cependant, dans l’éducation des enfants, les parents feraient bien de ne pas penser seulement cet aspect, mais tout d’abord accorder une attention l’éducation des devoirs du citoyen par rapport au pays (feuille n° 10A, nous soulignons) Ainsi dans les relations entre parents et enfants, entre époux, l’accent est moins mis sur la hiér ( ) 26Le troisième chapitre intitulé Par rapport la famille, comprend les sous-chapitres suivants : mari-femme (phu thê) ; père-fils (phụ tử), dont les paragraphes sur tiếu, l’attitude normative des enfants envers parents ; sur từ (la tolérance des parents vis-à-vis des enfants) ; sur phụng dưỡng (les soins portés aux parents et les sentiments qui doivent les accompagner) ; et fratrie (huynh đệ) Avec ses quatorze pages, ce chapitre est plus détaillé que le précédent Dans l’ensemble, il s’agit des sujets habituels des manuels de morale, le terrain connu du lettré confucéen : la famille est la base de la patrie, la cellule de la société, il faut avoir la paix dans les familles pour obtenir la paix dans le pays La piété (hiếu) suppose d’aimer, de respecter ses parents et de les entretenir avec soin, la relation mari-femme est basée sur le respect mutuel On retrouve également un type d’exposé moins normatif7 que dans les traités chinois, ce qui caractérise le confucianisme traditionnel vietnamien La seule véritable nouveauté tient dans l’ordre des sujets abordés, comme nous l’avons signalé plus haut, les relations entre époux étant valorisées : Pour fonder une famille, il faut d’abord les époux, ensuite viennent les parents et les enfants, et en dernier lieu les nés et les cadets, on appelle cela tam thân (feuille 10A, nous soulignons) 27Or, les manuels traditionnels influencés par les institutions de tông pháp (les lois coutumières dans l’Antiquité chinoise mettant l’accent sur la hiérarchie) de la famille patriarcale plaỗaient en premier les relations parents-enfants La nouveauté a donc consisté ici choisir un point de repère différent et de valoriser les relations égalitaires horizontales aux relations verticales : on peut y reconntre une prise en compte du concept européen d’égalité dont les lettrés modernistes avaient pu avoir connaissance Et notamment un de ses préceptes essentiels : « Du Fils du Ciel au simple habitant, tous doivent c ( ) La connaissance (trí) était pour le lettré confucéen incluse dans la morale et la vertu : Confuciu ( ) 28Le quatrième chapitre « Par rapport soi-même » de la Nouvelle version aborde la question de l’individu travers quatre thèmes : soimême, hygiène, connaissances, morale On y reconnt sans peine le confucianisme traditionnel8, avec ses méthodes, ses contenus et les objectifs de perfectionnement moral retenus Les auteurs montrent ici une grande mtrise de leur domaine d’expertise et une érudition sans faille des textes classiques pour étayer leurs points de vue Quelques détails montrent cependant des nouveautés dans la morale de la « conduite envers soi-même » (xử kỷ) La pièce la plus importante des manuels traditionnels, celle du « perfectionnement de soi » (tu kỷ), c’est-à-dire la morale (tiến đức), vient en dernier lieu De la mờme faỗon que pour le chapitre précédent, le changement du point de repère initial entrne un nouveau système logique : dans le système traditionnel, tout découle de la vertu, qui est donc déterminante9 ; dans la Nouvelle Version, la santé est première, qui permet d’accomplir ses devoirs (s’instruire notamment) et finalement d’avoir une bonne morale : La connaissance (trí) est la source de la morale Sans la connaissance, l’on ne peut pas distinguer le vrai et l’ivraie, l’on peut facilement se perdre dans les mauvais chemins et oublier les vrais Et puis la connaissance n’est pas seulement la source de la morale, car toute chose dans ce monde, s’il n’y a pas de connaissance, ne peut être améliorée et perfectionnée Cette connaissance est d’une grande utilité (feuille 20B) 29Avant le XXe siècle, les lettrés ne parlaient jamais d’entrnement physique, ni d’exercices intellectuels travers l’accumulation des savoirs et des méthodes, des raisonnements et des comportements devant la réalité Dans le paragraphe sur la connaissance (dũ trí), les auteurs insistent sur la persévérance nécessaire pour l’acquérir, ce qui rappelle d’ailleurs l’esprit de perfectionnement moral tự cường bất tức mentionné dans le Livre des Mutations (Kinh Dịch) des lettrés traditionnels La nécessité de la persévérance s’explique également par l’importance donnée la pratique (thực tiễn) dans la Nouvelle Version, une question relativement détaillée Ce concept de thực tiễn est une nouveauté inconnue des lettrés traditionnels et son utilisation montre que les sciences et la philosophie occidentale ont eu un écho dans ce manuel de morale Cependant, si l’on analyse plus attentivement le contenu du concept « pratique » exposé ici, nous verrons qu’il n’est pas très loin de la catégorie Hành du couple traditionnel Tri/Hành (conntre/agir) et les auteurs prennent d’ailleurs pour référence sur ce point des ouvrages traditionnels comme Nhan thị gia huấn Tout le paragraphe Dũ trí au fond se cantonne au modèle traditionnel et la connaissance y demeure un moyen pour atteindre la « vertu » (tiến đức) 30Thème de prédilection des lettrés, la « vertu » (tiến đức) est la partie la plus développée et dans un style enlevé, expressif, chaleureux L’exposé suit un ordre classique : étude de soi, perfectionnement de soi selon les valeurs définies, résolution des relations avec autrui, garder son esprit serein (tu dưỡng nội tỉnh, suy kỷ cập nhân, tự giác điều tiết tinh thần, tâm thành ý kính) La catégorie thành (esprit pur et conscient) est soulignée comme le point fondamental du perfectionnement Les auteurs considèrent la philosophie confucéenne comme parfaite et, soit ils ne connaissent pas les systèmes occidentaux, même par le vecteur japonais, soit ils en connaissent certains mais appliquent l’adage « esprit oriental, techniques occidentales » (Đông thể Tây dụng) C’est pour cette raison que la partie sur la « vertu » ne propose rien de nouveau 31Les chapitres cinq « Par rapport autrui » et six « Par rapport la société » occupent seize pages sur un total de soixante, ce qui est remarquable si on se place du point de vue du lettré traditionnel : pour ce dernier en effet, les relations avec autrui, verticales (souverain/sujet ; parents/enfants ; mtre/élève) et horizontales (mari/femme ; nés/cadets ; amis), suffisent comprendre le fonctionnement de la société, regroupement d’individus (nhân) imaginé comme une famille élargie Pour cette raison on peut considérer le chapitre six comme un développement tout fait nouveau avec des sujets sur la « cause publique », le « patrimoine » ; « l’honneur », les « bienfaits », « l’amour universel » (phiếm ái), « l’intérêt collectif » (cơng ích) et les cérémonies Il s’agit ici d’un développement plus concret que l’idée de la monarchie constitutionnelle ou les raisonnements sur la sociộtộ civile, dộj posộs dune faỗon gộnộrale dans le premier chapitre Certains développements ne semblent pas différents des manuels de morale précédents : pour la cause publique par exemple, les auteurs la définissent comme les devoirs accomplir vis-à-vis d’autrui « Ne pas faire aux autres ce que soi-même, on ne veut pas », ce qui reste assez proche du concept traditionnel de quần – kỷ (collectif/individuel) Le passage sur les biens (tài sản) par contre montre une prise en compte du concept de propriété, essentiel au fonctionnement des sociétés modernes : Les biens sont le produit de nos efforts et de notre travail, par conséquence nous avons le droit de les utiliser notre discrétion Nos biens sont garantis par la loi, selon notre droit nous pouvons en user, sans que personne n’y porte atteinte Les biens sont aussi précieux que le corps (feuille 30A-B) Conclusion 32Manuel de la morale, nouvelle version : le titre indique qu’il s’agit d’adapter la morale traditionnelle, pas de l’abandonner et le contenu, tel que nous venons de l’analyser le confirme La Nouvelle Version propose un certain nombre de nouveautés : le système moral ne se limite plus aux Trois et aux Cinq relations, l’idée de monarchie constitutionnelle (dans sa version japonaise), celle des droits du peuple et de ses devoirs (les chapitres 1, et insistent sur la morale citoyenne) sont affirmées Plus important, l’idée de patrie (Tổ quốc) considérée comme une communauté de sang, est élargie celle de nation (dân tộc) ou communauté de citoyens : dès lors, la lutte pour l’indépendance est une des conditions de la construction d’une société civilisée où chaque individu doit avoir sa chance L’esprit des études pratiques et des choses utiles représente également un élargissement par rapport la morale traditionnelle Ces nouveautés se présentent cependant comme des éléments, des matériaux, imbriqués dans un système ancien Même si les concepts moraux exposés sont, dans leur ensemble, nouveaux, tout le système est organisé autour de l’axe fidélité/ piété (trung hiếu), autrement dit les concepts moraux les plus importants du confucianisme En parlant de la société, des associations et de l’élection, c’est-à-dire du régime de la monarchie constitutionnelle, les lettrés n’ont pas pu oublier le roi, ce qui montre qu’ils suivent le modèle traditionnel qui ne distingue pas la morale de la politique et de la religion, ni la morale du citoyen, de la morale de l’individu, dans la famille et dans la société Cela montre que les lettrés modernistes discutent de la morale nouvelle en suivant le raisonnement ancien La Nouvelle Version n’évoque pas que la morale ; elle est également un manuel dont il faut observer les aspects pédagogiques : les méthodes d’éducation proposées sont également entièrement traditionnelles Cette pédagogie est présentée comme des explications patientes d’un supérieur son inférieur et elle tente de convaincre par le sentiment plutôt que par le raisonnement 33On ne doit pas mésestimer l’effort extraordinaire et le courage de ces lettrés pour adapter un système de valeurs qu’ils mtrisaient parfaitement, après des années d’études, mais ils ne pouvaient dépasser les limites que l’état de leurs connaissances et leur système leur assignaient Le système moral mi-ancien mi-nouveau de ce manuel témoigne du caractère de transition des idées, de la culture et de l’éducation au Vietnam Un siècle après, certaines des valeurs qui les animaient peuvent encore avoir leur utilité et nous donnent matière réflexion, notamment en ce qui concerne l’esprit de responsabilité par rapport la nation Le sujet est approfondir et nous l’aborderons peut-être un jour NOTES Ce manuel a été traduit en quốc ngữ par Vũ Văn Sạch, puis publié Hanoi en 1997 par les éditions Van Hoa en collaboration avec les archives nationales du Vietnam et lộcole franỗaise dExtrờme-Orient dans l’ouvrage Văn thõ Đông Kinh Nghĩa Thục [Prose et poésies de l’école du Đông Kinh Nghĩa Thục], Hanoi, Éditions Van hoa, 1997 Dans l’ouvrage Lê triều giáo hóa điều luật rédigé en 1663 sous le règne de Lê Cảnh Trị, le premier sujet concerne la « fidélité » et le deuxième la « piété » Dans le Huấn địch thập điều promulgué par le roi Minh Mệnh des Nguyễn, le premier point abordé Đôn nhân luân commence également par les relations « souverain-sujet » (quân thần) Les manuels d’éducation familiale soulignent également les catégories « fidélité » et « piété », considérées comme le socle et l’origine de la morale Ce sont les catégories les plus importantes de la piộtộ filiale qui sorganisent de la faỗon suivante : dương signifie subvenir aux besoins de ses parents, c’est le niveau le plus élémentaire ; kính, le respect, en est l’esprit ; au-dessus de cette dernière kế chí et thuật signifient l’accomplissement de l’œuvre du père par le fils ; enfin dương danh hiển thân veut dire réussir sa vie, laisser une bonne renommée, ce qui honore ses propres parents Dans toute la Nouvelle version, aucune référence des penseurs occidentaux ; les seules sources sont japonaises Les auteurs connaissaient peut-être les textes d’inspiration républicaine de Sun Yat Sen en caractères chinois, mais ils ne s’en inspirent pas Ils sont conscients du danger de l’absolutisme puisqu’ils vont jusqu’à proposer l’idée de la constitution 6 Ils n’évoquent donc pas la révolution ou la république, mais était-ce possible pour des lettrés confucéens ? Ainsi dans les relations entre parents et enfants, entre époux, l’accent est moins mis sur la hiérarchie que sur le respect, l’amour et la bonne entente Et notamment un de ses préceptes essentiels : « Du Fils du Ciel au simple habitant, tous doivent considérer le perfectionnement moral de soi comme le fondement » La connaissance (trí) était pour le lettré confucéen incluse dans la morale et la vertu : Confucius dans les Entretiens explique que « ce qu’on appelle « connaissance » ne sert qu’à comprendre l’humanité et la vertu » AUTEUR Kim Sơn Nguyễn Directeur du Centre des études chinoises l’université nationale de Hanoi (Vietnam) Ses travaux portent sur le confucianisme au Viêtnam et a notamment publié Quelques questions sur le confucianisme au Viêtnam, Hanoi, Éditions Chính trị Quốc gia, 1998 ... structure générale de la Nouvelle Version et les bases de la morale confucéenne traditionnelle 3La morale vietnamienne traditionnelle n’est pas construite d’après le confucianisme du temps de Confucius... Qu’elle est grande la voie de la fidélité et de la piété ! Qu’elle est belle la vertu de la fidélité et de la piété ! La puissance ou la perte d’un pays, le développement ou la décadence d’une société,... et de la religion, ni la morale du citoyen, de la morale de l’individu, dans la famille et dans la société Cela montre que les lettrés modernistes discutent de la morale nouvelle en suivant le