En passant en revue les études sur la temporalité en vietnamien, nous avons des remarques suivantes : En premier lieu, il s’agit de la définition du temps et de l’aspect. Cao Xuan Hao (1998), Tran Kim Phuong (2005a) et d’autres ont souvent défini le temps et l’aspect respectivement comme la localisation du procès par rapport au moment de référence et les perspectives de vue du procès. Les limites de ces définitions ont été discutées dans la première partie de notre thèse. Elles sont quand même illustrées par l’exemple suivant :
(177) Ngày mai, khi anh tới, chúng tôi đã làm việc Demain, quand vous arriver, nous đã travailler
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Nous avons deux interprétations. La première et la plus courante est que le procès
<CHÚNG TÔI LÀM VIỆC> prend fin au moment de référence défini par l’adverbe
ô demain ằ et le circonstanciel de temps ô quand vous arriverez ằ. Cette interprộtation est mieux illustrộe si on ajoute ô xong ằ, un autre marqueur à la fin de l’ộnoncộ comme ô Ngày mai khi anh đến chỳng tụi đó làm việc xong ằ. Une autre interprộtation possible est que le procès a commencé avant l’arrivée et qu’il continue après. Cette interprộtation peut avoir une ộquivalente comme ô khi anh đến, chỳng tụi đó bắt đầu làm việc ằ. C’est pour cette raison que l’exemple (177) peut avoir deux traductions correspondantes en franỗais dont celle de ô Demain, quand vous arriverez, nous aurons fini de travaillerằ et ô Demain, quand vous arriverez, nous aurons commencộ à travailler ằ. Le choix de l’interprộtation et par consộquence de la traduction est dộterminộ par le contexte27.
Pourtant, nous ne partageons pas la conclusion sur la présence des marqueurs grammaticaux de temps et d’aspect en vietnamien comme l’ont fait Trần Ngọc Ninh (1974) et Đào Thản (1979). Par contre nous sommes favorables à la définition de la catégorie grammaticale proposée par Comrie (1985). En effet, une classe de mots sera définie comme une catégorie grammaticale lorsque leur emploi est systématique et qu’il crộe des diffộrences sộmantiques de faỗon signifiante. En raison de l’emploi facultatif des marqueurs ôđóằ, ôđangằ, ôsẽằ, nous ne les considộrons pas comme la catộgorie grammaticale de temps et/ou de l’aspect.
Pour la même raison précitée, nous ne sommes pas de même avis avec Trân Kim Phượng (2005a) et d’autres de considérer l’absence du marqueur comme un marqueur spécifique, le marqueur zéro. En effet, l’opposition entre la présence et l’absence des marqueurs ne crée pas de différences sémantiques particulières comme le prouve l’opposition suivante :
(178) Anh ấy ăn/ anh ấy đang ăn Lui manger/ Lui đang manger.
Il mange/ il est en train de manger.
Il existe un autre point à discuter. Nous trouvons que Trần Kim Phuong a raison de mentionner que dans la plupart des cas, l’absence de marqueur sert à indiquer les situations stables. Pourtant, nous en ajoutons les énoncés décrivant la vérité générale
27 Nous revenons sur ce sujet dans la partie traitant Marqueur ôđó ằ à la page 106
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comme dans les maximes, les dictons. Cette absence est aussi constatée quand le locuteur veut parler des faits spécifiques. Nous revenons sur la détermination des valeurs temporelles et aspectuelles des énoncés sans marqueur dans le chapitre suivant.
Par ailleurs, nous sommes du même avis que Cao Xuan Hao (1998, 2002) en rộfutant la valeur temporelle des marqueurs ôđó ằ, ô đang ằ. Cette rộfutation est bien justifiée par les exemples suivants :
(179) Ngày mai, khi tôi đến, anh đã đi khỏi nhà rồi.
Demain, quand moi arriver, vous đã sortir de maison rồi.
Demain, quand j’arriverai, vous serez sorti de la maison.
(180) Lúc đó, anh ấy đang làm việc.
À ce moment, lui đang travailler.
A ce moment, il travaillait, travaillera ou il travaille.
Le choix des formes verbales dans la traduction des énoncés (179) et (180)est dộpendant de la localisation de l’intervalle dộsignộ par le circonstanciel de temps ô Lỳc đúằ. S’il s’agit d’un intervalle antộrieur au moment de rộfộrence (celui de l’ộnonciation), nous avons la forme équivalente marquant le passé et l’aspect imperfectif. Ce sera l’imparfait dans ce cas. Par contre, s’il s’agit de la postériorité par rapport au moment de référence, les formes marquant le futur sont celles de choix.
Le cas de ôsẽ ằ est particulier. Nous ne pouvons pas rộfuter totalement sa valeur temporelle du futur car sa présence localise l’intervalle d’assertion derrière celui de référence comme dans l’exemple suivant :
(181) Ngày mai, anh sẽ đi Hà Nội.
Demain, moi sẽ aller Hanoi.
Demain je partirai pour Hanoi.
L’incompatibilité de ce marqueur avec les circonstanciels du passé ou du présent est un autre fait à noter :
(182) *Hôm qua, tôi sẽ đi Hànội Hier, moi sẽ aller Hanoi.
Cependant, nous reconnaissons que dans plusieurs cas, le marqueur ô sẽ ằ est dotộ à la fois d’une valeur modale et aspectuo-temporelle. Cette valeur est la plus constatée dans la
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structure hypothộtique ô nếu … sẽ ằ ou lors de la description d’un monde imaginaire.
Dans l’exemple suivant :
(183) Thị sẽ mở đường cho hắn.
Elle sẽ ouvrir route pour lui Elle lui montrerait le chemin (Chí Phèo)
(184) Chúng sẽ làm thành một cặp rất xứng đôi eux sẽ faire marqueur resultatif un couple très assorties Ils feraient un couple des mieux assorties (Chí Phèo).
Nous sommes d’accord avec la conclusion de Cao Xuan Hao (1998) et d’autres chercheurs sur l’absence des moyens grammaticaux de représentation temporelle en vietnamien. Cette prise de position est expliquée par plusieurs raisons. En premier lieu, l’emploi des marqueurs qualifiés par ces chercheurs comme marqueurs de temps est facultatif. De plus, ces marqueurs ont plutôt la valeur aspectuelle que temporelle. En outre, l’emploi des particules aspectuelles pour représenter le temps est aussi constaté dans plusieurs langues. Chung (1985) l’a prouvé avec le Lakhota Chamorro, Comrie (1985) pour le Burmese et Dyirbal ; Bohnemeyer (2002) avec Yukatek Maya; Shaer (2003) avec le West Greenlandic, Klein (2000) pour le Mandarin (chinois). Nous sommes en faveur de l’hypothèse que les informations temporelles sont représentées par les circonstanciels de temps, les adverbes ainsi que le contexte. Nous revenons sur ce point dans les chapitres qui suivent.
Notre dernière remarque porte sur le support des études sur la temporalité en vietnamien. En effet, la plupart des linguistes ont recours aux exemples pris des passages des textes ou des conversations ou des exemples fabriqués. Cette sélection peut avoir des impacts négatifs sur leurs conclusions. Certains auteurs dont Minh Ha Lo Cicéron (op.cit.), Pham Thu Hang (op.cit.), Pham Quang Truong (op.cit.) ont remédié à ce défaut en utilisant des corpus. Cependant, leurs corpus présentent des points discutables. En fait, le corpus de Pham Thu Hang et celui de Pham Quang Truong ont été établis à partir des fautes commises par les apprenants de franỗais. Il peut y avoir des diffộrences entre ces corpus et l’emploi courant. De plus, leurs analyses se font seulement au niveau qualitatif et non quantitatif. Ils reprennent les échantillons particuliers pour appuyer leurs conclusions. On se demande si la qualité et la méthodologie d’analyse sont susceptible de nous fournir une
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vision globale sur la temporalitộ en franỗais et en vietnamien et de là, à faire la comparaison.