CONCEPTS GENERAUX SUR L'ESPACE DE LA NOUVELLE
Qu’est-ce que la nouvelle ?
Le Dictionnaire Robert (1984) a fourni une acception littéraire de la nouvelle:
Genre qu’on peut définir comme un récit généralement bref, de construction dramatique (unité d’action), présentant des personnages peu nombreux dont la psychologie n’est guère étudiée que dans la mesure ó ils réagissent à l’événement qui fait le centre du récit [26 :823]
Afin de mieux comprendre ce que c’est la nouvelle, il est nécessaire de distinguer celle-ci du conte et du roman
Nous sommes favorables à la distinction de Pierre-Louis Rey selon laquelle le conte appartient plutôt à la tradition orale On le rencontre fréquemment dans des civilisations anciennes ou primitives Il est souvent destiné aux enfants Pour cette raison, il a volontiers un caractère moral [30 : 92]
La nouvelle apparaỵt sous ce nom à une époque ó la transmission des œuvres se fait essentiellement par écrit La morale n’en est pas forcément absente, mais il appartient plutôt au lecteur de la dégager
De plus, le conte évoque souvent une époque ancienne, voire très ancienne, ou qu’il est impossible de dater De nombreux contes commencent par la formule : ô Il y avait une fois ằ qui signifie exactement son contraire Le lecteur (ou l’auditeur) comprend qu’en réalité, il n’y a jamais eu, mais il accepte de faire comme si… A l’opposé du conte, la nouvelle raconte plutôt des événements récents, qu’il faut prendre au sérieux
Enfin, comme le conte se situe dans un autre temps, il fait appel à l’imagination, au merveilleux En revanche, la nouvelle adopte un aspect plus réaliste
Dans son livre Le roman et la nouvelle (2001), Pierre-Louis Rey a défini la nouvelle comme une œuvre en prose, brève ou très brève, due à l’imagination et qui raconte une histoire comportant des personnages Seule la longueur distinguerait donc la nouvelle du roman [30 :87]
Jusqu’au XVIIe siècle des nouvelles en vers de la Fontaine ont été publiés
La prose s’est donc imposée plus tard dans la nouvelle que dans le roman, mais elle est devenue constitutive du genre
Concernant la longueur de la nouvelle, ce critère est plus tardif : c’est à partir des XVIIIe – XIXe siècles qu’il peut être retenu Les nouvelles sont en très grande majorité plus brèves que les romans : tandis que les romans sont publiés isolément, les nouvelles sont d’ordinaire publiộes en recueils Ces recueils, tantụt reỗoivent le titre d’une des nouvelles qui les composent (La Garden Party (1992), de Katherine Mansfield), tantụt reỗoivent un titre diffộrent qui indique leur communautộ d’inspiration (Nouvelles orientales (1938), de Marguerite Yourcenar, ou L’Exil et le
Pourtant, l’auteur affirme que le critère de longueur n’a donc pas une valeur absolue, ce qui reỗoit notre approbation En fait, la nouvelle peut ờtre trốs brốve, celle de Maupassant n’ont parfois que quatre à cinq pages Elle peut être relativement longue : Colomba (1840), de Mérimée, compte plus de cent-cinquante pages, alors que L’Etranger (1942), de Camus, cataloguộ comme ô roman ằ, en compte un peu moins
La nouvelle est aussi une œuvre d’imagination Selon Segrais, la nouvelle doit un peu plus tenir de l’histoire que le roman C’est au nom de ce principe que La
Princesse de Clốves est parfois qualifiộe de ô nouvelle ằ
La nouvelle est une œuvre qui raconte une histoire La nouvelle semble répondre mieux encore que le roman à cette partie de la définition Au moins sa brièveté conduit l’écrivain à sacrifier des intrigues secondaires, greffées sur la principale Si la matière de la nouvelle est un épisode, celle du roman est une suite d’épisode La différence est nette quand, pour composer une nouvelle, un écrivain prélève une partie d’un de ses romans Le Saut du berger (1882), nouvelle de Guy de Maupassant est extraite de son roman Une vie (1883)
Colomba, Le Saut du berger racontent des événements extraordinaires De nombreuses nouvelles racontent un événément quotidien, en apparence minuscule
Dans La Ficelle (1883), de Guy de Maupassant, un homme qui se baisse pour ramsser un bout de ficelle sera soupỗonnộ d’avoir ramassộ en rộalitộ un portefeuille Comme dans Colomba, l’épisode reflète un caractère propre à une région : c’est parce qu’il s’est montrộ ô ộconome en vrai Normand ằ que maợtre Hauchecorne s’est exposộ à cette mộsavanture L’ộvộnement paraợt en lui-mờme insignifiant, mais en quelques secondes, c’est la rộputation – donc la vie – de maợtre Hauchecorne qui a basculộ
Il arrive enfin que rien ne se produise Dans Moloch (La Ronde, de J.M.G
Le Clézio, 1982), une jeune femme habite un mobile home avec son bébé et un chien-loup Le chien protège-t-il le bébé ou le menace-t-il ? Une hantise habite les vingt-cinq pages de la nouvelle, l’attente d’un événément qui ne se produit pas Grâce à un non-événement se libèrent des pulsions, des cauchemars, parfois le sentiment du rien
Quant aux personnages, les traits des héros de nouvelles sont généralement réduits à l’essentiel La notion même de parsonnage décline dans l’histoire de la nouvelle moderne (comme dans celle du roman) Chez Maupassant, le personnage est souvent davantage le jouet des événements qu’un véritable acteur
A ce propos, il est nécessaire de citer le tableau de Boll-Johansen qui oppose terme à terme les personnages, l’action, l’espace et le temps dans le roman et la nouvelle Chacun des niveaux observés révèle une spécificité de la nouvelle : unicité de l’événement, rapidité de l’action, fixité des personnages, économie référentielle Pourtant, nous trouvons qu’il serait extrêmiste si on considère que l’espace dans la nouvelle consiste à un seul lieu, et qu’il existe un seul couple de forces dans la nouvelle D’ó notre tableau synoptique que nous proposons ici tout en nous inspirant de le sien :
Plusieurs forces, mais moins de celles du roman
En titre de conclusion provisoire, la nouvelle se distingue du conte par son caractère écrit, récent et réaliste Elle se dissocie du roman principalement par sa longueur Mais cette distinction a une valeur relative, certianes nouvelles pouvant compter plus de pages que certains romans La forme de l’intrigue y est plus ramassée, souvent réduite à un épisode ; les personnages y sont plus typés.
Evolution de la nouvelle
1.2.1 Nouvelle traditionnelle franỗaise au XIXe siốcle
Au XIXe siècle, la nouvelle se divise en grands courants : nouvelle fantastique romantique, nouvelle fantastique naturaliste
Portés vers le rêve et l’irrationnel, les écrivains romantiques ont trouvé dans la nouvelle fantastique un genre d’expression privilégié Charles Nodier pratique un fantastique sérieux, qui rejette le vrai au profit du vraisemblable et du possible mais cet écrivain considère que le sommeil est non seulement l’état le plus puissant, mais encore le plus lucide de la pensée Dans La Fée aux miettes (1832), Michel, marié pendant le jour à une fée, subit chaque nuit les sortilèges d’une autre fée Les deux fées finiront par se réunir en une seule, image d’une réunification du moi d’abord écartelé entre la veille et le sommeil, entre le devoir et la volupté La vie a rejoint le rêve Le fantastique s’est ici heureusement résolu en merveilleux
La filiation du romantisme franỗais avec Hoffman est plus nette chez Théophile Gautier, dans La Cafetière (1831) Théodore croit avoir valsé avec
Angéla mais, entre ses bras, ses amis ne découvrent qu’une cafetière brisée Angéla, en réalité, est morte depuis deux ans Dans La Morte amoureuse (1836), un jeune prêtre, après avoir assisté une femme dans son agonie, est hanté dans ses rêves par son extraordinaire beauté, jusqu’à ce que soit déterré son cadavre On découvre alors que c’est à des gouttes de sans prélevées sur la gorge du prêtre que la jeune femme a dû cette espèce de survie nocturne Les vampires ont pour fonction première de faire peur, mais, plus profondément, ils figurent une hantise ancrée dans l’imagination de chacun de nous : l’idée d’une survie qui ne se ferait qu’aux dépens d’un être cher
L’amour lie avec la mort Dans Le Rideau carmoisi , première nouvelle des
Diaboliques (1874), de Jules Barbeu d’Aurevilly, Alberte, une jeune fille, impassible pendant le jour, rejoint chaque nuit en secret l’hôte de ses parents et connaợt avec lui le comble de la voluptộ Une nuit, elle meurt dans ses bras ô Diabolique ằ par les forces du Mal, dont elle emporte le mystốre dans la tombe, Alberte révèle en même temps au narrateur le Diable qui est en lui (donc en nous)
Mettant en jeu les angoisses fondamentales de l’homme, le fantastique survit au romantisme Une des nouvelles fantastiques les plus célèbres, Le Horla (1 re version, 1886 ; 2 e version, 1887) est l’œuvre d’un écrivain apparenté au naturalisme, Guy de Maupassant Un être invisible et redoutable hante le héros de la nouvelle jusqu’à lui dérober son reflet dans la glace
Dans la première version, Maupassant utilise un mode de récit traditionnel : un célèbtre médecin, le docteur Marrande, chargé d’examiner le patient, ouvre et ferme le récit Cette version conforme à une tradition du fantastique selon laquelle, avant de consentir à parler de mystère, il faut avoir épuisé les ressources de l’explication scientifique ; elle confirme aussi l’intérêt des naturaliste pour les sciences et pour l’expérimentation médicale
Dans la seconde version, Maupassant adopte la forme d’un journal intime tenu par le héros ; le lecteur se posera lui-même la question que posait le docteur
Dans cette version, il n’est plus question de diagnostic médical Nous nous posons directement l’angoissante question : la folie du héros ne serait-elle qu’une lucidité supérieure ? Et, s’il faut lui donner le nom de folie, n’est-elle pas aussi bien la nôtre ?
Il convient d’aborder dans ce courant le mise en évidence de la quête poétique du moi dans les nouvelles Sylvie (1853) de Gérard de nerval en est un exemple tangible L’événement décisif est la lecture d’un journal qui renvoie le narrateur (couramment appelộ ô Gộrard ằ par la critique) à ses annộes d’adolescence, qui l’ont vu balancer entre les vertus du cœur et celles de l’imagination Gérard a oublié l’affection de Sylvie, la petite paysanne, pour poursuivre une chimère, la belle Adrienne, qui s’est retirée dans un couvent et qu’il croira, plus tard, retrouver sous la forme d’une actrice Parvenu à l’âge mur, Gérard fait le compte des chances gaspillées et des illusions perdues Les époques du passé se brouillent au fil de l’intrigue, conduite par les puissances du rêve plutôt que par la raison
Comme dans certaines nouvelles fantastiques, le héros-narrateur aspire à une réunification de son moi Le moi n’existe pas en dehors des expériences vécues La personnalité de Gérard est inséparable des paysages du Valois qui ont faỗonnộ ses rờves
Prosper Mérimée et Stendhal sont les écrivains représentatifs de ce courant
Il porte un regard aigu sur la passion, cache toujours ses sentiments et se méfie de l’imagination Ainsi, les passions qui guident les hérọnes de ses nouvelles Carmen
(1847) ou de Colomba (1840) les conduisent à la mort Carmen préfère se laisser poignarder plutôt que de renoncer à la liberté Colomba n’aura pas de repos tant que les assassins de son père vivront D’ailleurs, ces passions sont décrites de l’extérieur, à l’aide d’un style précis et froid Comme Mérimée, Stendhal rejette le lyrisme Autorisant moins que le roman les débordements inutiles et préservant le mystère des héros, la novuelle se prête à cette esthétique de la froideur
Dans De la naissance de l’amour, Stendhal envisage le cas d’une jeune fille habitant un chõteau isolộ Du moment ú elle a aperỗu un jeune chasseur, elle va connaợtre les phases successives de la ô cristallisation ằ amoureuse Ce rộcit, menộ à la manière d’une démonstration, est destiné à illustrer les développements théoriques de l’essai De l’amour
Dans ce type de nouvelle, l’intrigue se limite l’évolution du sentiment amoureux La description du cadre et le portrait des personnages secondaires sont subordonnés à la conduite de l’expérience
1.2.2 Nouvelle moderne franỗaise au XXe siốcle
La nouvelle de la première moitié du XXe siècle continue à suivre les grands courants du genre Vers la fin du siècle, nous assistons à une rupture du genre Tout comme le roman, les courants de la nouvelle de cette période se brouillent en faveur des caractéristiques innovatrices et de la liberté stylistique des écrivains
1.2.2.1 Nouvelle de la première moitié du XXe siècle
Il existe encore pendant cette période un certain aspect fantastique Jusqu’à l’époque de Jules Verne, les aventures extraterrestres présentaient plutôt un caractère merveilleux Il y a fantastique quand nos convictions sur la nature humaine, sur la vie et la mort sont remises en cause
Howard Phillips Lovecraft (1890 – 1937) est l’écrivain le plus représentatif du fantastique moderne Ses fictions inquiètent moins par leurs projections dans l’avenir que par une réflexion sur le passé de l’homme Les pactes signés par nos lointains ancêtres avec d’autres intelligences de l’Espace et du Temps influent aujourd’hui encore sur notre existence
Quant à la nouvelle pyschologique, les nouvelles de Katherine Mansfield
(1888 – 1923) passent souvent pour des modèles du genre L’écrivaine choisit des moments privilégiés qui ouvrent des fenêtres sur des existences demeurant mystérieuses La qualité de fin psychologue se montre aussi dans les œuvres de Marcel Arland et de Jean Paul-Sartre Par exemple, dans L’Enfance d’un chef
(1938), l’intérêt du récit est concentré sur l’évolution de Lucien, type de ces esprits faibles qui, lors des années de montée du fascisme et du nazisme, ont affirmé leur personnalité en prenant gỏt à la dictature
1.2.2.2 Nouvelle de la deuxième moitié du XXe siècle
Espace de la nouvelle
1.3.1 Notion de l’espace de la nouvelle
Depuis Iouri Lotman, Gaston Bachelard et Jean Weisgerber, la représentation de l’espace dans le texte littéraire mobilise quantité de chercheurs
Ces travaux s’orientent tantôt du côté de la thématique et de la symbolique, tantôt de celui de la dichotomie narration/description ou des modèles structuralistes qui régissent la spatialisation textuelle Les critiques littéraires ont privilégié le genre romanesque Il apparaợt que seul ce dernier permet un dộploiement spatial digne d’intộrờt, de sorte que sa ô supộrioritộ mimộtique ằ a ộclipsộ l’autre genre narratif, soit la nouvelle
Qu’est-ce que c’est l’espace? L’espace est défini par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) comme un milieu idéal indéfini, dans lequel se situe l'ensemble de nos perceptions et qui contient tous les objets existants ou concevables
Nous constatons que comme toutes œuvres littéraires, la nouvelle préserve la présence d’un second niveau de signification ó les valeurs symboliques variables s’incarnent dans les lieux L’auteur met en évidence le fait qu’au sein du genre narratif bref, le lieu tendrait à disparaợtre dốs que s’impose l’action L’espace nouvellier constitue alors une ô rộalitộ ằ provisoire et fragile, mais possốde ses propres nouvelles règles La description de l’espace peut être utilisée pour des intentions diverses Les chercheurs littéraires se sont mis d’accord sur 3 fonctions principales de l’espace en tenant compte de la réalité que l’espace évoque, de l’utilité de ce cadre spatial pour l’action et des significations que celui-ci suggère
Daniel Grojnowski les a divisés en 3 types d’espace : Espace référentiel, espace fonctionnel et espace signifiant [17 : 78]
Le cadre spatial des nouvelles reprend en quelques sortes des sites, des paysages réels Il existe souvent un espace réel dont le décor de l’intrigue serait inspiré
Cette valeur ô documentaire ằ qui fait rộfộrence à un lieu prộcis de la rộalitộ renforce l’illusion du réel Il se voit clairement non seulement dans la nouvelle franỗaise mais encore dans la tendance nouvelliốre de quatre coins du globe Si E.Poe fait connaợtre milieux et lieux ộtranges des annộes 1830, Alphonse Allais milieux et lieux de la facộtie ô fin de siốcle ằ, Katherine Mansfield met en scốne la société anglaise des années 1920 (La Gardenparty, 1922), Grace Paley les préoccupations des intellectuels new-yorkais des années 1960 (Les Petits Riens de la vie, Rivages) A titre d’illustrations précises, nous ne pouvons pas nous passer des deux Maợtres du genre : P Mộrimộe et G de Maupassant dont nous choisissons ci-dessous deux passages représentatifs
La première phrase de Mateo Falcone esquisse un autre monde : ô En sortant de Porto-Vecchio et se dirigeant au nord-ouest, vers l'intộrieur de l'ợle, on voit le terrain s'élever assez rapidement, et après trois heures de marche par des sentiers tortueux, obstinés par de gros quartiers de rocs, et quelquefois coupés par des ravins, on se trouve sur le bord d'un maquis très étendu Le maquis est la patrie des bergers corses et de quiconque s'est brouillộ avec la justice ằ
Ce premier passage, présente le décor de l’aventure : l’aride maquis aux alentours de Porto-Vecchi - l’espace de l’aventure propice à l’évasion Mérimée témoigne un souci d’exactitude scrupuleuse dans la peinture de la Corse : la citation d’un nom propre précis, la description en détail d’un paysage propre à la région à l’époque, de la vie montagnarde en Corse, des bergers et des bandits qui vivent à côté des maquis et leur manière de vivre Cette entrée en matière invite le lecteur à un paysage aussi exotique qu’authentique
Guy de Maupassant est aussi un écrivain soucieux du décor réel La Normandie, ó l’auteur a des expériences vécues, apparaỵt souvent dans ses œuvres Dans la nouvelle Boule de suif (1880), Maupassant décrit la ville de Dieppe : ô Votre gộnộral en chef nous a dộlivrộ une permission de dộpart pour gagner Dieppe ằ Dans Les Contes de la Bộcasse (1883), Maupassant ộvoque la ville de Goderville : ô L’aventure fit mờme tant de bruit aux environs qu’il vint des messieux de Goderville pour voir ỗa.ằ Dans L'Odysộe d'une fille (1883), Maupassant dộcrit la ville de Rouen : ô Je gagnais la grand-route de Rouen Je me disais qu'à Rouen je pourrais me cacher trốs bien ằ Nombreux sont les lieux normands ó il passa, séjourna ou vécut Les observations qu'il rapporte nourrissent ses ouvrages Il n'est point de détail de la vie maritime que Maupassant n'ait observé
Citons un passage de l’auteur dans Garỗon, un bock !: ô Pourquoi suis-je entrộ, ce soir-là, dans cette brasserie ? […] D’un coup d’œil je cherchai une place ó je ne serais point trop serré, et j’allai m’asseoir à cơté d’un homme qui me parut vieux et qui fumait une pipe de deux sous, en terre, noire comme un charbon Six ou huit soucoupes de verres, empilées sur la table devant lui, indiquaient le nombre de bocks qu’il avait absorbộs dộjà ằ
On trouve que le nombre de bocks déjà consommés et le prix modique de la pipe en terre sont autant de petits faits vrais Cette description de lieu s’efforce de reproduire le monde réel en créant l’illusion que la brasserie décrit appartient au monde réel
Chaque écrivain a son traitement de l’espace différent, mais ses techniques de la représentation d’un lieu, la disposition d’un lieu dans un ensemble de l’histoire met en évidence la fonction de l’espace dans le déroulement de l’action Celui-ci joue un rôle important dans le déroulement de l’action Il permet à l’intrigue d’évoluer par des séparations, des rencontres…, donne des indices sur la suite du récit Un décor peut encadrer un épisode, des lieux différents annoncent l’articulation de plusieurs épisode
Au service du récit, la description de l’espace met en place le dispositif de l’action qui comprend un ensemble de lieux Par exemple, tout au long de Mateo
Falcone, Mộrimộe construit un dispositif qui comprend la maison du maợtre et ses abords plus ou moins proches : Mateo Falcone quitte sa maison pour aller visiter ses troupeaux avec sa femme Le ô bandit ằ venu de la plaine rejoint cette maison pour y trouver un refuge Fortunato – le fils unique de Mateo Falcone – le cache dans ses abords Par la suite, lorsque Mateo Falcone prend la décision de sacrifier son fils pour avoir trahi le proscrit, il s’ộloigne de la maison, marche ô quelque deux cents pas ằ et s’arrờte dans un ravin
Dans Une partie de campagne (Maupassant), le lecteur assiste à un changement d’espace en suivant l’histoire : les Dufour, avant de parvenir à l’auberge champêtre de Bezons, passent successivement d’un paysage urbain à un autre intermédiaire Paris, rejeté par les Parisiens, n’est relevé que par deux noms : la Porte Maillot et les Champs Elysées Puis, une fois passée la Seine, le paysage proprement campagnard apparaợt petit à petit sous le nom ô Bezons ằ : La rộgion est d’abord esquissé d’un point de vue dirigé sur la rivière ; puis longuement sur l’auberge A chaque moment du récit correspond un endroit précis qui se sert de fond nécessaire au développement de l’histoire
Pour cette valeur fonctionnelle, notons une prédilection de la nouvelle pour les lieux publics : trains (les nouvelles de Maupassant), gares (La Fille aux longs cheveux de Boll), bateaux (un paquebot dans Le Joueur d’échecs de Zweig), chambres d’hụtel (Chambres d’Annie Saumont), cafộs (Garỗon, un bock ! de Maupassant), restaurants, etc… Remplissant des fonctions données d’avance, ces lieux stéréotypés n’ont pas besoin d’être décrits aux lecteurs D’autre part, ils installent une situation de communication et déclenchent l’acte de narration à l’origine de l’histoire enchâssée Enfin, ces lieux communs favorisent la rencontre entre des personnages sur le plan psychologique, moral ou sociologique
La description de l’espace permet de caractériser le milieu social dans lequel évoluent les personnages Il faut noter que le décor de l’espace est à l’image d’un personnage et qu’il influe sur lui et le faỗonne Le caractốre d’un protagoniste nous est signifié à travers les détails matériels qui constituent le cadre de sa vie quotidienne
L’espace remplit une fonction symbolique Le rôle octroyé à l’espace dans la nouvelle n’est pas toujours aussi lisible Une lecture véritablement construite s’effocera de dégager, au-delà de l’anecdote rapporté, les possibles capacités symboliques de la localisation
Espace dans les nouvelles de Le Clézio
Son style ne s’approche pas non plus des nouvelles du XIXe siècle dont l’espace est un ộlộment ô documentaire ằ qui font rộfộrence souvent à un lieu précis de la réalité Il est difficile d’indiquer le nom de l’espace qu’évoque l’auteur Nous retournerons sur ce point avec plus de précision dans la partie suivante de notre mémoire
De plus, à la différence des auteurs contemporains, les œuvres de Le Clézio présentent certaines affinités avec les courants littéraires contemporains mais elle s’en détache aussi Elle subvertit les normes Si beaucoup de nouvellistes préfèrent les espaces stéréotypes et mettent en lumière leur valeur fonctionnelle, nous témoignons l’absence de ce type d’espace dans les œuvres de Le Clézio
A la question de ô Comment dộfinissez-vous la nouvelle ? ằ, si Francine Ghysen donne à la nouvelle certains traits ô L’intensitộ La tension La force : la nouvelle est une littérature, non de l’instant, comme on le croit souvent, mais des moments forts ằ, Le Clộzio y rộpond autrement A la diffộrence de beaucoup d’auteurs contemporains qui cherchent à susciter un intérêt anecdotique dans leurs
Le Clézio refusent tout recours à l’élément narratif, toute idée de récit Mais la place principale de la description dans l’œuvre le clézienne n’est pas une description pure des auteurs de nouvelle-nouvelle selon René Godenne, c’est en fait le fond sur lequel l’écrivain révèle les problèmes de la société L’auteur mène une écriture mettant en valeur la description et l’évocation de la nature pour but final d’aborder ses réflexions
Les éléments naturels jouent en fait un rôle majeur dans ses œuvres, à tel point que l’ộcrivain s’est confiộ au ô Magazine littộraire ằ en dộcembre 2006 : ô il m’est absolument impossible d’écrire un ouvrage sans penser à ces éléments Ils ont pour moi autant d’importance que la sociộtộ humaine ằ Il est donc clair que le milieu naturel fait partie intégrante de l’oeuvre leclézienne Il se passionne pour ces vastes étendues qui sont devenues ses thèmes récurrents de ses œuvres Ces espaces illimités mettent en place la conception des notions de liberté et d’éternité
Beaucoup de types de lieux sont fréquents chez Le Clézio A titre d’exemple, dans son ouvrage J.M.G Le Clézio: Vérité et légendes, Gérard de Cortanze a affirmé que les deux voyages majeurs de J.M.G Le Clézio étaient la mer et le désert [9 :
127] C’est la mer qu’on traverse pour aller en Afrique, c’est le désert qu’on explore Et la mer, toujours, pour revenir au point de départ : Nice Il a déclaré : ô Ce n’est pas un hasard qu’il y ait cette rencontre entre le fait de lire et celui de vivre au bord de la mer C’est lié à cette inquiétude que je ressens en bordure de Méditerranée Comme palliatif à l’inquiétude, peut-être, ou comme remède à la mort de la littérature D’un côté l’aspect magique de la littérature, de l’autre le monde mộditerranộen, crộateur et gộnộrateur de mythes ằ
Ce serait donc fort intéressant d’examiner l’incarnation de ces éléments dans
Mondo et autres histoires, de voir comment l’auteur renouvelle le traitement de ce sujet bien fréquent dans ses œuvres précédentes ainsi que le message que nous pourrions en déduire
Dans ce chapitre, nous avons étudié dans un premier temps la définition de la nouvelle Aprốs avoir tentộ de cerner les traits essentiels du genre ô nouvelle ằ à partir diverses définitions proposées par les ouvrages publiés, nous avons parcouru les caractộristiques principales de la nouvelles franỗaise du XIXe et du XXe siốcle
L’espace de la nouvelle est ensuite abordé dans notre travail La notion de l’espace de la nouvelle a été révélée avant un envisagement des fonctions qu’assume l’espace Les techniques de la description de l’espace ont été ensuite abordés Par son propre style, chaque écrivain peut sélectionner les procédés de la description : repères spatiaux, la qualification et un champ lexical pour créer une impression chez le lecteur
Ce premier chapitre nous permet de fonder une base théorique grâce à laquelle nous pouvons étudier les types de l’espace dans le recueil Mondo et autres histoires dans le deuxième chapitre ó une analyse des espaces sera mise en lumière.
TYPES D'ESPACE DANS LA NOUVELLE MONDO ET AUTRES
Comment classer les espaces ?
Le recueil de Mondo et autres histoires en 1978 comprend l’originalité d’une œuvre qui inaugure une phase nouvelle dans la production littéraire de Le Clézio A l’époque précédente, Le Clézio voyait dans la mort un accomplissement, celui du retour à l’infini et à l’éternel de la matière Dans Mondo et autres histoires, l’atmosphère change : l’enfance et l’adolescence ne portent plus le visage de la vieillesse On peut considérer ce recueil comme l’essai philosophico-poétique qui renouvelle la vision du monde de l’auteur Chez Le Clézio, il est impossible de sộparer le narrateur du penseur : jamais Le Clộzio ne fait de ô l’art pour l’art ằ, jamais il n’écrit un roman ou une nouvelle pour le seul plaisir de raconter ou en vue de quelques recherches formelles, soit dans le procédé expressif, soit dans la structure narrative Toutes les œuvres de Le Clézio tendent à exprimer une vision du monde et de la place de l’homme dans le monde Les écrits de Le Clézio s’orientent vers une philosophie de type traditionnel, s’efforỗant de sauver les valeurs de la civilisation humaniste contre les déformations et les exaspérations de cette civilisation Le Clézio a toujours défendu les valeurs individualistes, de liberté, de dignité, de pensée qui fondent l’homme véritable
C’est à la lumière de cette vision, Le Clézio a construit le recueil Mondo et autres histoires selon la structure traditionnelle de tous les récits d’initiation Le héros du conte peut être considéré comme l’acteur d’un rituel initiatique dont les étapes se succèdent au fil du récit : passage difficile d’un monde à un autre, purification, franchissement d’une porte, mort rituelle, etc… Mircea Eliade a observé que les initiations dans le sens traditionnel du terme ont disparu depuis longtemps en Europe ; mais on sait aussi que les symboles et les scénarios univers imaginaires [11 : 246 – 247] Les initiations se manifestent sur plusieurs aspects des récits Tout d’abord, elles se traduisent à travers la structure de l’ensemble de huit récits : Mondo, Lullaby, La montagne du dieu vivant, La roue d’eau, Celui qui n’avait jamais vu la mer, Hazaran, Peuple du ciel, Les bergers
Dans le recueil de Le Clézio, le récit Mondo l’ouvre et le récit Les bergers vient le clore Mondo raconte l’apparition dans une ville d’un étrange petit bonhomme jusque-là inconnu, qui cherche à se faire accepter dans un monde réglé par les lois et l’autorité, un monde civilisé mais ignorant la vraie vie de liberté Au contraire, dans Les bergers, un jeune homme formé à la vie moderne s’introduit dans l’espace et l’existence libre du nomadisme pastoral Les deux héros de ces récits sont contraints au renoncement : les deux univers de la réalité moderne et du rêve de la vie simple se montrent incompatibles
Entre ces deux récits, les autres progressent par paires : Lullaby et La montagne du dieu vivant présentent un moment décisif dans l’adolescence d’une jeune fille ou d’un jeune garỗon, celui de l’initiation à la vie cosmique et de la communion avec le rythme de l’univers : deux expériences choisies et conclues dans la liberté s’y racontent
Pour l’histoire La roue d’eau et Celui qui n’avait jamais vu la mer, la plénitude du bonheur s’acquiert encore dans l’évasion, mais par celle du rêve qui annule la tristesse de la routine Juba sort de sa condition de berger, s’identifie à l’historique et à la fois légendaire : Juba, roi d’Yol, époux de Cléopâtre Séléné ; Daniel quitte son lycée pour une longue fugue, comme Lullaby, mais sans jamais revenu de ses anciens camarades au point de leur fournir une initiation par procuration
Hazaran et Peuple du ciel annoncent une nouvelle progression Le vieux
Martin possède la puissance de voir dans l’au-delà, d’atteindre jusqu’à Dieu, tandis que Petite Croix, l’aveugle, en se livrant sans réticence aux sensations, découvre en elle-même la beauté du monde naturel dont elle semblait irrémédiablement séparée
La cohérence organique de ce recueil se base sur l’exploration de la géographie poétique autant que sur l’unité des expériences qui font vivre les personnages de l’univers de Le Clézio
Ces huit récits racontent les voyages réels ou imaginaires des huit protagonistes qui traversent de divers espaces à la recherche de l’ailleurs, du bonheur et de la liberté Ils sont vraiment les personnages en quête Pour examiner la structure de la quête réalisée par le héros, nous pouvons appliquer un schéma actantiel proposé par Greimas : dans tout système signifiant, comme le récit, il existe une structure qui prend appui sur ce que font les personnages en tant que forces agissantes, d’ó le concept d’actant, une notion qui, à la différence du terme de personnage, recouvre à la fois des êtres concrets et abstraits Ces actants sont pour Greimas au nombre de six:
- Le sujet (S) ou héros, qui cherche à conquérir un objet de valeur ;
- L’adjuvant (A), terme qui recouvre l’ensemble des personnages ou des concepts qui aident le sujet dans sa quête ;
- L’opposant (Op), terme qui recouvre l’ensemble des personnages ou des concepts qui font obstacle au sujet dans sa quête ;
- La destinateur (D 1 ), qui attribue le bien visé par le sujet ;
- L’objet (O), poursuivi par le sujet dans sa quête, sa valeur peut-être sociale, culturelle ou mythique ;
- Le destinataire (D 2 ), recouvrant l’ensemble des personnages à qui l’objet de la quête est destiné [21 : 77]
Le destinateur pousse le sujet à accomplir l’action
Le destinataire est le bénéficiaire de l’action du sujet Pour qui?
Le sujet est le héros, celui qui veut accomplir une action
Les adjuvants aident le sujet
Les opposants contrarient l’action du sujet
L’objet est le but de l’action Que veut le sujet?
Schéma actantiel de l’ensemble des huit récits initiatiques dans Mondo et autres histoires
Ce schéma montre clairement la volonté, le désir des héros-enfants La vie monotone, le hasard, l’instinct et l’espoir les poussent à aller à la recherche de la liberté, du salut Les expériences vécues dans le monde naturel, primitif lui permettent de se sentir épanouis, heureux pénétré de toute la vie universelle, on ne connait pas la solitude de la société urbanisée, hypercommercialisée En effet, la logique du temps, du lieu, de l’action, vont pair avec une conception particulière du personnage Les traits caractéristiques des récits initiatiques imposent le classement des types de l’espace Dans ces huit récits, l’espace prend non seulement la valeur référentielle, fonctionnelle, mais aussi la valeur symbolique Les espaces de vivre s’opposent vraiment aux espaces de rêves Et ces deux espaces sont explorés d’une faỗon approfondie dans les parties ci-dessous
Adjuvant: Monde naturel (Désert, mer, montagne)
Monde civilisé, hostile avec des contraintes, l’impossibilité de communication avec les autres
En qualité de l’espace référentiel, la géographie de Le Clézio est évoquée dans les huits récits initiatiques Divers indices suggèrent que l’univers de Mondo et Lullaby est celui d’une ville méditerranéenne, proche de la frontière italienne, assez semblable à Nice, mais il pourrait s’agir aussi bien de tout port frontalier de culture occidentale Daniel, en revanche, est un garỗon de la terre, fils de paysan, enterrộ dans un lycée de campagne, loin de la mer, en France vraisemblablement, en Europe à coup sûr L’histoire d’Hazaran se passe sur les bords marécageux d’un estuaire ó s’étale largement un bidonville : la population immigrée qui s’est installộe mal nommộe ô Digue des Franỗais ằ, ô habitộe par des Italiens, Yougoslaves, Turcs, Portugais, Algộriens, Africains ằ [H : 191], fait penser au Sud de la France, ce qui n’empêche pas le lecteur de songer à d’autres bidonvilles, plus gigantesques, du continent américain, auxquels Le Clézio fait allusion dans son éloge des peuples pauvres, établis en cercles autour des villes modernes Le mont Reydarbarmur que gravit Jon se situe en Islande, le pays des sagas chères au Le Clézio passionné pour la littérature des origines Juba s’occupe de l’irrigation des terres dans une zone aride de l’ancienne province romaine de Maurétanie, en Algérie, ó traverse le fleuve Azan A travers les traces de la description du paysage, Marotin reconnaỵt un désert quelconque du Nouveau-Mexique là ó Petite Croix passe ses journées à contempler le bleu [27 : 16] ainsi que la vallée de Genna ó évoluent Gaspar et ses quatre compagnons se trouverait dans des régions de mesas latino- américaines, ó la mer et le désert sont proches Bref, la géographie de Mondo et autres histoires forme une unité paradoxale Elle nous semble disparate, indécise
2.2.1 Villes pour les personnages-enfants
En tant qu’univers entourant les personnages, l’espace est un des problèmes fondamentaux de la nouvelle et devient un sujet de prédilection des nouvellistes Ils prennent conscience de son importance fonctionnelle En qualité de l’espace fonctionnel, les espaces de vivre des personnages-enfants sont un décor, un cadre qui les caractérisent et représentent la vision du monde de Le Clézio
L’état d’anxiété de Le Clézio face à l’urbanisme moderne se voit dès notre première lecture de ses œuvres La ville sous ses yeux est un endroit qui implique des menaces: ô Je suis fascinộ par la ville, par les agressions de la ville Une ville c’est un amoncellement d’êtres humains qui se battent les uns les autres, qui cherchent à se dominer les uns les autres et mon regard s’accroche à tous les détails de cette domination […] Ces choses-là me troublent et m’exaspốrent ằ [25 : 54 – 55]
Cette ville, fondamentalement, est d’un caractốre menaỗant : Mondo, tout comme les chiens perdus de la ville a pour peur permanente des Ciapacan au mystérieux nom de démon mexicain ; des enfants sans collier sont un avatar de la police et de l’école La ville n’accepte la liberté que soumise à la réglementation En elle rốgnent les reprộsentants de l’ordre social : le commissaire et ses policiers, ô les hommes en uniforme ằ [M : 52], l’Assistance publique, l’ộcole ou le Lycộe de Lullaby ou de Daniel, la Directrice, le Proviseur, les professeurs, les surveillants
En effet, le monde de la ville, symbole concret et parfait de la civilisation contemporaine et du modernisme, est pour les personnages des nouvelles un espace perverti Ses lois privent l’homme de sa liberté Elle est décrite comme un labyrinthe, une vaste prison qui dépersonnalise et piège les citoyens, le transforme en véritable esclave
La ville n’est peut-être pas autre chose pour les esprits à la recherche de leur émancipation qu’une prison [L : 90] L’école s’est inscrite parmi les milieux carcéraux bien qu’on y promeut la notion de la liberté L’espace scolaire, de nature carcéral, ne mène pas les enfants à la liberté et à un développement complet Les règles fondées de l’établissement, ses bordures et ses autorités deviennent pour les mineurs un monde étouffant, duquel il faut s’évader A ce niveau, dans son article, Konatộ avance qu’ô Ils sont persuadộs que les valeurs et les idộes rộpandues dans ce monde sont fausses et inefficaces, car elles ne leur permettent pas de vivre heureux et en harmonie avec l’univers ằ (2006) N’est-il pas significatif que la premiốre formalité remplie par Gaspar à son retour dans le monde moderne soit de se présenter au bureau de la gendarmerie ? ô Cher Ppa, je voudrais bien que tu viennes reprendre le réveille-matin.Tu me l’avais donné avant que je parte de Téhéran et maman et sœur Laurence avaient dit qu’il était très beau Moi aussi je trouve très beau, mais je crois que maintenant il ne me servira plus C’est pourquoi je voudrais que tu viennes le prendre Il te servira à nouveau ằ [L : 83]
La lettre que Lullaby écrit à son père est évocatrice Son renvoi du réveille- matin s’explique par son refus de se soumettre à une institution enfermant l’être
Espaces de rêves
Les personnages en mouvement dans les huits récits initiatiques quittent les villes modernes et se dirigent vers le monde naturel Le voyage a une fonction très importante Le Clézio décrit les tentatives de fuite qui se sont réalisées dans l’espoir de se distancier de la ville occidentale et de chercher une existence meilleure Celle- ci est constituée par les lieux naturels, primitifs : le désert, la montagne, la mer
Le désert se présente dans Mondo et autres histoires sous des formes variées
Ce sont à première vue des terres arides qui exigent l’irrigation ou des espaces que menacent la sécheresse ou les vents de sable A plusieurs reprises, le narrateur ộvoque la ô terre dure ằ ou ô durcie ằ, ú dominent la poussiốre, le sable Le sol sur lequel Petite Croix passe ses journộes se caractộrise par sa ô terre durcie ằ, c’est ô un pays sans hommes, un pays de sable et de poussiốre ằ, ú ô la poussiốre de sable faisait une poudre douce comme le talc ằ Le dộsert est extộrieur au village, si aride qu’il est abandonné par l’humain : ô Le gens de la vallộe sont loin, maintenant Ils sont partis [ ] au milieu du dộsert […] Ils vont droit sur la route noire, à travers les champs desséchés et les lacs de mirages … ằ [PC : 221 – 223]
Dans La roue d’eau, le dộsert est une rộgion de terre sộchộe, ô poussiộreuse ằ [RE : 150], mờme lorsqu’elle reste proche d’un fleuve ; c’est une ô terre rouge […] ravinée de sillons, [qui] montre ses blocs de glaise sèche, ses cailloux aigus qui brillent ằ [RE : 152] et forme des ô champs dộnudộs ằ [RE: 152] et forme des ô champs ằ dộnudộs ằ [RE : 154]
Le dộsert ne se rộsume pourtant pas à du sable ô brillant comme de la poussiốre de cuivre ằ Dans le dernier conte du recueil, c’est aussi ô la grande plaine de pierres ằ, ô la grande ộtendue de pierres et de sable ằ [B : 251], ô la plaine semộe de rochers brỷlộs ằ [B : 250], avec ses buissons, ses ộpineux Le type de la plaine du dộsert semble ờtre la ô grande plaine de rochers, avec l’herbe qui poussait en son centre ằ [B : 257]
Le paysage dộsertique peut devenir aussi menaỗant et dangereux La petite Khaf a du mal à franchir ô les feuilles coupantes de l’herbe ằ, et pousse des cris de dộtresse : ô Elle courait à petits pas, en protộgeant sa figure avec ses avant-bras
Elle avait dû tomber plusieurs fois, parce que sa chemise et ses jambes étaient couvertes de terre ằ [B : 266 – 267] C’est un endroit ú cohabitent les enfants et les chiens sauvages qui ô erraient entre les dunes, à la recherche de nourriture C'ộtaient de petits chiens maigres avec un dos arquộ et de longues pattes ằ [B : 250]
Souvent, le ô vent violent et plein de menace ằ arrive en ô hurlant à l'intộrieur des cavernes ằ [B : 307], ce qui prộvient une tempờte de sable effrayant
Mais le désert ne se réduit pas à la terre aride et à la chaleur Il se présente aussi sous des côtés divers qui offrent aussi à nos protagonistes du bonheur épuré Dans Les bergers, les enfants dépendent de cette terre ó les troupeaux de moutons et de chèvres nourissent les enfants C’est là ó les enfants s’amusent ensemble, s’entraident et passent des moments d’admiration de la nature côte à côte Il semble que les enfants ne forment qu’un avec la terre, qu’ils n’ont pas besoin d’autre chose pour survivre Le récit nous emmène dans l’univers de joie des enfants au bonheur simple.
Le désert, dans l’âme de celui qui sait le regarder, possède une beauté exceptionnelle Le dộsert s’offre alors à l’admiration L’espace ne paraợt plus répondre aux proportions communes, il semble d’une autre nature et toutes les limites, toutes les frontières habituelles s’estompent [B : 260] Dans Les bergers, le récit s’ouvre sur une longue description du désert et de sa faune : scarabées, gerboises, lièvres des sables, renards ou serpents du désert, sans oublier les scorpions ou ô le petits animaux inconnus dộtala[nt] dans les creux de sable ằ [B :
249] Le désert offre aux bergers une synthèse des propriétés de la mer et de la montagne Ce dộsert-ci est avant tout ô le pays des dunes ằ, et c’est par là qu’il ressemble à la mer En effet, ô le vent poussait les dunes ằ et ô les dunes se mouvaient lentement, imperceptiblement, pareilles aux longues lames de la mer ằ [B : 248 – 249] Dans ses conversations avec P Lhoste, Le Clézio commente le mot ô sable ằ en ces termes : ô C’est le dộsert, la mer minộrale, la pierre devenue mer et c’est fascinant ằ [25 : 42] Se retrouvent ici les blocs de la montagne de Jon qui fait rappeller à Gaspar les rochers surplombant la mer ou la montagne [B : 259 -260], les marches des collines de Mondo, les méandres des fleuves, les vagues et les ondoiements de la mer, ainsi que l’infini à perte de vue que permet l’horizon marin
En une telle description, le désert n’est ni plus ni moins dangereux que la mer ou la montagne, mais le récit, en se développant, laissera l’impression qu’il s’y mène une impitoyable lutte pour la vie En un sens, l’Islande de Jon est un paradis à côté de la vallée de Genna dans laquelle le lecteur serait tenté de voir une image de la Terre promise et du paradis terrestre
En un mot, le désert dans Mondo et autres histoires se montre tout à la fois aride et séduisant, dangereux et paisible, réel et surréel Cet espace littéraire ó se déroule le récit contient un aspect symbolique C’est le lieu de l’absence, du vide au sens premier, mais il n’est pas néant : En réalité, il est le lieu ó le personnage, libéré de l’accessoire, peut partir y trouver l’essentiel, de la vérité et de l’authenticité Il est le lieu du silence, de l’intériorité, de la liberté, ó l’individu peut se replier sur soi et établir une communion avec la nature L’abandon de Gaspar illustre la réalité selon laquelle la vie dans la ville moderne est impossible, et que le vrai monde est celui du désert
Le personnage Gaspar dans Les bergers reconnaợt le rụle nourricier et rénovateur de la nature Il vit dans son monde de rêve, il a perdu la notion du temps : ô A Genna, le temps ne passait pas de la mờme faỗon qu'ailleurs Peut-ờtre mờme que les jours ne passaient pas du tout Il y avait les nuits, et les jours, et le soleil qui remontait lentement dans le ciel bleu, et les ombres qui raccourcissaient, puis qui s'allongeaient sur le sol, mais ỗa n'avait plus la mờme importance Gaspar ne s'en souciait pas Il avait l'impression que c'était tout le temps la même journée qui recommenỗait, une trốs trốs longue journộe qui n'en finirait jamais.ằ [B : 274 – 275]
C’est également un espace qui a une fonction narrative Il confronte le personnage principal à des étapes de sa quête du bonheur Son accomplissement personnel et à des révélations sur la vie et la mort qui lui feront accéder à son être vộritable et des sentiments que le monde moderne oblitốre Le ô dộsert ằ dans la nouvelle assume donc de multiples fonctions : lieu narratif et objet de descriptions réalistes qui concourent à l’illusion romanesque, il est aussi partie prenante dans la vie des personnages, lieu de leur initiation et de leur évolution Univers à la fois sans pitié et onirique, ambivalent dans ce qu’il propose à l’homme, il permet de se libérer des contraintes et de l’inutile pour partir en quête de la vraie vie, métaphore de la recherche spirituelle de soi qui oriente les parcours dans leur errance et leurs épreuves
La mer, quant à elle, est omniprésente dans le recueil Mondo consacre la journée à côté de la mer Pour lui, l’image des bateaux qui y voguent ainsi que les histoires des pays lointains de l’autre côté de la mer incarnent sa liberté et sont source d’émerveillement La mer est aussi sa chère maison auprès de laquelle il dort la nuit Et comme il décharge les bateaux en échange de quelques pièces pour manger, il la considère comme sa nourricière Pour Lullaby, la mer est source de bonheur, lieu ó elle aime arriver quand elle abandonne sa vie citadine, c’est auprès d’elle qu’elle trouve ses joies Lullaby ộprouve l’impression ô d’ờtre sur un bateau, loin au large, là ú vivent les thons et les dauphins ằ [L : 86] La jeune fille est prờte à vivre son rêve d’indépendance Daniel, quant à lui, il consacre sa vie à la recherche de la mer, il souhaite la voir plus que tout Le gamin est prêt à laisser sa vie derrière lui pour rejoindre cet espace immense
L’influence marine est suprême Bien qu’il y ait une parenté existant entre les deux lieux poétiques, le désert, qui pourrait sembler l’espace le plus radicalement opposộ à la mer, n’y ộchappe pas Dans le dộsert des Bergers, ô de temps en temps on entendait la mer, le grondement sourd des vagues de l’océan qui venaient s’effondrer sur le sable de la plage Le vent apportait la voix de la mer, jusqu’ici, par bouffộs… ằ ; ô Le bruit rugissait de la mer arrivait comme à travers un brouillard… ằ ; ô Le brouillard montait de la mer, en suivant le lit des torrents secs ằ [B: 248 – 250] Les gestes de Jon lors son escalade sur la Montagne du Dieu vivant deviennent ô lents comme ceux d’un nageur ằ [MDV: 130] Il avance vers le haut de la montagne, ô comme un grand vaisseau de lave ằ [MDV: 129] Dans sa communion cosmique sur la montagne, Jon, ô perỗut un autre bruit, un bruit de mer profonde ằ [MDV: 135] Dans son rờve d’Yol, Juba ô ộcoute la rumeur de la mer ằ, ô un bruit trốs sourd, qui se mờle aux roulements du tambour… ằ [RE :157] Mờme du haut de son promontoire, Petite Croix essaie d’imaginer la mer ô ú tout est toujours bleu ằ avec ô plusieurs sortes de bleus ằ [PC: 228]
ART DU LANGAGE DANS LA DESCRIPTION DE L'ESPACE
Point de vue narratif et description de l’espace
Ce qui est d’abord fondamental pour le bouleversement de la narration et de la description d’une nouvelle, c’est ce qui concerne le point de vue narratif, autrement dit la focalisation dans le récit, d’après G.Genette Il distingue, dans le récit à la troisième personne, trois possibilités logiques de focalisation : la focalisation zéro, la focalisation interne, la focalisation externe Parmi les trois types, la focalisation interne choisit de donner au récit un pouvoir tout à fait magique, et qui est propre à l’œuvre littéraire Pénétrer dans l’intériorité du personnage, le monde de la nouvelle et ses constituants sont alors perỗus par une subjectivité ou par plusieurs subjectivités successives ou alternantes La focalisation interne pourra facilement se repérer, puisqu’elle se manifeste par la présence de verbes subjectifs (sentiments, émotions, pensées, etc) à la troisième personne
G.Genette dit alors que le récit est focalisé sur le sujet du verbe de perception
Pour représenter les deux espaces opposées dans le recueil Mondo et autres histoires, Le Clézio a choisi le type de focalisation qui se montre efficace dans le traitement de l’espace Notre analyse du type de focalisation se base sur les critères ci-dessus Elle nous permet d’affirmer que Le Clézio a appliqué la focaliation interne au traitement de l’espace dans les huit récits de ce recueil Les descriptions des espaces différents sont présentées selon le point de vue du narrateur-personnage qui raconte l’histoire et observe, voit et perỗoit l’univers qui l’entoure
Le monde naturel est vu par les yeux d’un enfant qui s’appelle Mondo Pour lui, la lumière la plus fortifiante est celle du crépuscule matinal, une lumière froide qui incite à la communion avec les éléments de la nature : ô Quand le soleil ộtait un peu plus haut, Mondo se mettait debout, parce qu'il avait froid Il ôtait ses habits L'eau de la mer était plus douce et plus tiède que l'air, et Mondo se plongeait jusqu'au cou Il penchait son visage, il ouvrait ses yeux dans l'eau pour voir le fond Il entendait le crissement fragile des vagues qui déferlaient, et cela faisait une musique qu'on ne connaợt pas sur la terre ằ [M :32]
Le lecteur se trouve uni à la destinée de Jon dans La montagne du dieu vivant Avec lui, il pourra découvrir l’univers des singes de la pauvreté, du caractère merveilleux d’une nature riche en promesse d’amour : ô Jon n'en avait jamais vu de semblable C'ộtait un ruisseau limpide, couleur de ciel, qui glissait lente-ment en sinuant à travers la mousse verte Jon s'appro-cha doucement, en tâtant le sol du bout du pied, pour ne pas s'enliser dans une mare Il s'agenouilla au bord du ruisseau ằ [MDV :125]
Dans La roue d’eau, la description de l’espace gagne en vigueur, en crédibilité, parce que le lecteur peut pénétrer dans le rêve de Juba, personnage- légendaire d’Yol, dont il est le roi, qui se construit dans la lumière ascendante et se défait dans les cercles blancs de la musique quand monte l’ombre des soirs : ô Maintenant, dans la musique lente des roues, dans la lumiốre ộblouissante, quand le soleil est au plus haut dans le ciel, Yol est apparue, encore une fois Elle grandit devant Juba, et il voit clairement ses grands édifices qui tremblent dans l'air chaud
[…] La ville flotte sur les champs déserts, légère comme les reflets du soleil sur les grands lacs de sel ằ [RE : 156- 157]
La focalisation interne est élaborée par le narrateur – protagoniste qui possède le don le plus subtil de savoir déchiffrer les choses, la matière, le monde, non en les imaginant, mais en les vivant, en les assimilant par une expérience directe Lullaby trouve l’extase dans la lumière ; une curieuse transposition se produit d’abord : au lieu que ce soit le soleil qui tombe sur elle C’est elle qui en secrète les rayons : ô Les rayons de lumiốre sortaient d'elle, par ses doigts, par ses yeux, sa bouche, ses cheveux, ils rejoignaient les ộclats des rochers et de la mer ằ [L : 98]
Le désert, une terre invivable, s’offre alors à l’admiration de qui sait le regarder A travers la perception du narrateur-personnage, le désert devient l’image du paradis terrestre La description de l’espace se devient subjective et prend une valeur symbolique : ô Ici le ciel ộtait grand, la lumiốre plus belle, plus pure Il n'y avait pas de poussière […] Gaspar et les enfants regardaient sans bouger la plaine lointaine, et ils sentaient une sorte de bonheur dans leurs corps ằ [B : 260]
La technique de la mise en abyme implique souvent un changement de narrateur dans le récit Hazaran L’auteur intègre un court récit raconté par Martin dans le récit principl raconté par Alia Narrateur-personnage secondaire Martin évoque la région Hazaran comme le pays des merveilles [H : 204-205]
Pourquoi Le Clézio laisse-t-il les protagonistes mineurs contempler leur univers au lieu de prendre la parole lui-même ou de choisir la perspective de narration neutre ? Il faut d’abord comprendre la nature de notre sujet ainsi que la considération de Le Clézio envers ce type de personnages A la différence des écrivains de son temps, Le Clézio s’intéresse particulièrement aux enfants et remarque que ceux-ci sont porteurs de réflexions plus grandes que celles des aldultes Le Clézio considère que la vulnérabilité des mineurs devant les mutations sociales est pareille à celle des adultes, si non plus Choisissant huit enfants comme protagonistes de huit nouvelles, l’auteur confie à ses personnages mineurs une perception du monde cosmique à leur faỗon, avec toute leur nạvetộ et subjectivitộ, sans contrainte, sans aucune trace de l’être humain civilisé Seuls ces enfants, ennuyés de la vie moderne, osent quitter leur propre monde profane pour se rendre dans la nature ó ils cherchent à résoudre les questions préoccupant leurs esprits
Le monde des adultes est un monde corrompu, réduit aux apparences et, un monde qui a perdu toute pureté Un tel monde altéré n’est plus libre Les enfants, au contraire, se rapprochent de la vérité parce qu’ils ne cherchent pas à manipuler leurs songes Ils sont le reflet de l’innocence de la vie, incarnent la complexité d’un être pur devant l’adulte corrompu et la capacité de livrer toutes les sensations dans leur état naturel afin de percevoir leur environnement le mieux possible, et ainsi, de se libérer des contraintes du monde civilisé d’une manière propre à eux
Marotin constate: ô Dans Mondo et autres histoires, l’atmosphốre change : il est désormais possible de dépasser, au moins pour un temps les limites de la vie banale, dộrisoire, grimaỗante ( ) Mondo et autres histoires possốde une couleur et une musique propre : celles de la beauté du monde et du bonheur vécu au rythme de l’univers et de ses ộlộments ằ [27 : 11]
Ce choix du type de focalisation exerce une influence capitale sur les procédés descriptifs tels que les verbes, les indices spatiaux et les champs lexicaux.
Verbes
Au fil des nouvelles, nous constatons aisément l’aspect omnisensoriel du paysage Pour une intégration totale dans l’univers, les personnages doivent mobiliser l’ensemble de leurs sensations corporelles, d’ó l’instance des verbes de perception
Observons la quantité abondante de ce type de verbes à travers chaque nouvelle :
Nouvelle regarder voir entendre écouter sentir
Le grand nombre des verbes de perception traduit la perception du monde naturel par les narrateurs-personnages et suggère directement leurs sentiments, leurs émotions
L’écrivain utilise le prisme des protagonistes enfantins afin d’interpréter son projet de mise en scène de la rencontre entre l’homme et le cosmos car seuls ces personnages, avec leur regard en constant éveil, ont la capacité de se mettre à l’écoute des paroles de ce monde Il met en valeur cette perception de l’espace des enfants par toutes leurs sensations En opposition avec l’approche du monde trop influencée par la raison et les éléments sociaux de la civilisation humaine, les jeunes enfants cherchent le bonheur pur dans la nature, en plongeant dans l’environnement et ouvrant tous les sens
Ces sensations forment ainsi le point de départ de la poésie leclézienne
Une abondance d’évocations sensorielles reflète une idée prédominante dans l’écriture leclézienne car pour lui, seuls les sens permetttent une expression authentique de l’existence
La focalisation interne nous permet de voir l’univers à travers l’ensemble des sensations des narrateurs mineurs, autrement dit leur vision, leur odorat, leur ouùe, leur toucher Chez Le Clộzio, l’approche du monde est fondộe sur les sens et sur un rapport physique et sensoriel au monde L’auteur affirme que la magie est dans tout ce qu’on voit, tout ce qu’on touche, tout ce qu’on sent Sur la terre, dans la vie, tout est magique La magie, c’est de sentir, d’entendre, de voir Une abondance d’évocations sensorielles reflète donc une idée prédominante dans l’écriture leclézienne Seuls les sens permettent une expression authentique de l’existence Ce sont également les sens qui permettent à l’homme de vivre la communion avec l’univers Cette communion forme le sujet d’une écriture fondée sur la richesse des sens, soulignée par des sensations qui se mêlent aux sujets et se confondent : les odeurs se mêlent ainsi à la vision du paysage : ô Mondo pensait aux collines qui brỷlaient, partout, autour de la ville C'ộtait comme s'il était assis au bord de la route, et qu'il voyait les champs de braise, les grandes flammes rouges, et qu'il sentait l'odeur de la résine et de la fumée blanche qui montait dans le ciel ằ [M : 72]
Odeurs, bruits, touchers et visions communiquent ainsi dans une écriture destinée à exprimer l’union intense entre l’homme et la matière L’odorat se confond alors avec le sentiment, les bruits se confondent avec les couleurs et deviennent ô lumineux ằ, le toucher se confond avec la lumiốre, dans une ộcriture qui tend à doubler l’intensité des sensations à travers une double expression Il en résulte une technique d’écriture qui vise à montrer les objets dans leur apparition immédiate et à conférer à cette apparition une symbolique Au lieu de disserter sur le monde, Le Clézio nous le présente de manière physique, tangible et concrète à travers la description minutieuse des détails Le monde est ainsi présenté physiquement à travers ses nombreux constituants presque invisibles La vraie réalité réside en effet dans le détail infime qui contient une multitude de sens L’originalité de la présentation des réflexions sur le monde réside dans le refus des grandes intrigues pour illustrer les grands thèmes de l’existence C’est en revanche dans le détail infime, les événements miniatures qu’il trouve l’illustration de ses réflexions
La nature représente ses aspects divers à travers ses odeurs L’impression dominante est une belle nature en harmonie avec l’homme Pour Mondo, c’est l’odeur de l’arbre qui sent fort [M : 44], des arbustes dans la nuit [M : 64], à tel point que le garỗon trouvait que ô La nuit, tout sent bon ằ [M : 64]
Pour Lullaby, l’odeur de l’herbe ô qui sent le miel ằ [L : 92, 99] devient obsộdant Gaspar, lui, sentait l'odeur ô de la terre mouillộe sur les murs de la maison ằ [B : 268] Or, la terre mouillộe dans cette situation dộsertique est signe de la vie Cette sensation olfactive si douce revèle une communion entière entre l’être humain et la nature A l’exception d’un seul cas ó l’odeur de la résine et de la fumée blanche provoquée par l’incendie susceptible d’éclater facilement sur les collines [M :72] nous laisse une impression angoissante, le milieu naturel est décrit avec beaucoup de gentillesse et douceur
Dans ce corpus, les verbes ô regarder ằ et ô voir ằ sont significativement sur- employés par Le Clézio par rapport aux autres verbes de perception En effet, tous ces sens se synthétisent dans le regard, qui permet de nous faire voir un tableau concret et tangible car le regard est capable de capter les paroles d’un cosmos perceptible dans les éléments Chez Le Clézio, la contemplation concrétise un désir de fusion avec les forces cosmiques et constitue le point de départ d’une réflexion Ce regard explique une prédominance de personnages observateurs dans les nouvelles, destinées à illustrer l’ouverture à un monde qui nous parle
Toute scốne contemplộe par les personnages leclộziens illustre en effet une faỗon de regarder qui reflète une approche du monde C’est la contemplation amoureuse qui amène les personnages à des états extatiques, ó l’élan physique se confond avec la quête spirituelle
L’usage des temps verbaux constitue un des aspects les plus frappants du style de l’écrivain et un des éléments compositionnels les plus évidents de l’ouvrage Après avoir étudié les passages descriptifs de l’espace dans le recueil, nous en déduisons que l’imparfait et le présent sont les temps verbaux dominants
Après avoir constaté leur fréquence, nous nous attacherons à l’examen de leurs valeurs Nous essaierons d’expliciter les éléments qui conduisent au choix de ces temps pour montrer à quel point l’auteur use des possibilités de l'emploi des temps
La mise en relief des scènes descriptives de Le Clézio dans le recueil se revèle à travers la présence intense de l’imparfait par rapport aux autres temps Sur le tableau ci-dessous, observons la statistique qui montre le nombre des formes temporelles de l’imparfait dans les huit récits :
Le premier constat tiré concerne la grande fréquence de l’utilisation de l’imparfait au service des scènes descriptives dans Mondo et autres histoires, ce qui est bien inscrit dans la valeur sémiologique traditionnelle de l’alternance Imparfait/Passé simple dans le contexte littéraire Si la temporalité close du passé simple renvoie à l’expression de l’action et de sa succession dans la progression narrative, la temporalité ouverte de l’imparfait, ou l’aspectualité sert aux descriptions de tout l’arrière-plan physique et psychologique Ce temps par excellence de la description, aide à la compréhension mais ne fait pas avancer l’histoire, ne ô borne ằ pas le procốs indiquộ par le verbe
Harald Weinrich dans son livre Grammaire textuelle du franỗais explique l’importance du relief temporel de l’imparfait qui se trouve au arrière-plan
L’imparfait est le temps fondamental de la description qui contribue à ralentir le rythme narratif : ô Enfin, tou au long du rộcit se prộsentent beaucoup d’occasion de rộcapituler de faỗon descriptive la situation, telle qu’elle s’est modifiộee pas à pas dans les ộtapes narratives, ou bien d’y insérer d’autres informations utiles en s’y attardant plus ou moins longtemps Ces procédés confèrent à l’histoire un tempo narratif ralenti (ô lento ằ) [33 :130]
Le Clézio décrit l’espace à travers la perception du narrateur-protagoniste Lullaby qui est entrée dans un univers de la sensation complètement renouvelé : ô Elle connaissait bien son bruit, l'eau qui clapote et se dộchire, puis se rộunit en faisant exploser l'air, elle aimait bien cela, mais aujourd'hui, c'était comme si elle l'entendait pour la première fois Il n'y avait rien d'autre que les rochers blancs, la mer, le vent, le soleil C'était comme d'être sur un bateau, loin au large, là ó vivent les thons et les dauphins ằ [L : 86]
Il ne se passe rien dans ce monde naturel merveilleux : voilà le sens de la description C’est donc le tempo narratif ralenti
En effet, dans le recueil Mondo et autres histoires, les scènes décrivant l’errance des personnages sont très longues et occupent beaucoup de place textuelle alors que le récit des protagonistes se réduit à de brefs résumés Le vécu antérieur des huit protagonistes est évoqué très sommairement tandis que les promenades dans la nature sont dộcrites d’une faỗon dộtaillộe Lullaby est le rộcit d’une adolescente dont l’histoire est très sommaire L’écrivain fait le temps de narration mesuré par ligne, page, paragraphe de ce récit :
- 3 pages : présentation brève sur la situation familiale du personnage Lullaby
- 29 pages : Voyage à la mer de Lullaby
- 3 pages (à la fin du récit) : Rencontre avec la direction pour expliquer son absence
Champ lexical
Comment l’auteur a – t - il manipulé son capital lexical pour exprimer la fuite des protagonistes ? Le Clézio a mis en relief le monde naturel et le monde civilisé en construisant des champs lexicaux propre à chaque société L’opposition de ces deux mondes détermine le choix d’images chez Le Clézio qui puisées dans la société urbaine moderne, sont là pour valoriser davantage les images naturelles
Pour sculpter cet espace, des champs lexicaux se rapportant à l’école, la maison, la périphérie, les infrastructures urbaines ont une présence insistante :
- L’école : cours du Lycée, dortoir, cour, professeurs, surveillants, inspecteurs, convoquer, rộciter la leỗon, bureau du Proviseur, bõtiment…
- La ville : murs, caniveaux, rues (avec leurs noms bizarres), voitures, camions, autos, grosses voitures américaines, vélomoteurs, églises, routes, klaxon, supermarchés, jardins, aéroport, musique, films, magasins, la police, trottoir, soute, cargo, train de marchandises, villas, place, camionnettes, marché, arroseur public, ordures, chaussée, rue, raccourci, magasin, kiosque à journaux, banc, escalier, blocs de ciment rectangulaires, enfants perdus, allộes, maợtre, halls des immeubles, boợtes aux lettres, minuterie, miroir, ascenseur, porte, foule, bouton, sonnette d'alarme, les réverbères, les vitrines, un journal, camions citernes, avenues, pancartes, rumeur, bureaux,…
- La périphérie : huttes de planche, papier goudronné et de la terre battue, marécages, estuaire du fleuve, tôle ondulée, fil de fer, bouts de chiffon, digue, cabanes, la pompe d’eau douce…
- La maison : portes, fenêtres, lit, draps, oreillers à fleurs, chambre, lames des stores, table, feuille de papie, réveille-matin, enveloppe, livres, armoire, tiroir, chaise…
La description minutieuse à maintes reprises de cet espace fermé dans l’ensemble des nouvelles provoque chez le lecteur l’impression d’un monde étouffant ó la vie n’existe pas, ó ces êtres vivent une vie dépourvue de création dans un milieu ó tout est actificiel, réglé, non-orginel
Heureusement, cette ville offre des espaces à part Sous le prisme des enfants, des endroits de plaisir jalonnent cet espace urbain s’avérant si hostile Avec son õme d’enfant, Mondo s’ộmerveille sur les halls des immeubles, avec les boợtes aux lettres, le bouton de la minuterie, les escaliers et la rampe de bois cirée sont pour lui l’objet d’une attentive curiositộ, et ô un tour d’ascenseur ằ lui donne autant à rêver que les chevaux de bois : l’espace de quelques secondes, il s’imagine dans un bateau et mờme dans un avion ; cette petite ô promenade ằ est tout un ô voyage ằ [M : 35-37]
Malgré le caractère carcéral de la ville, notre petit protagoniste fréquente ses endroits préférés : les jardins publics ó il trouve des retraités pour lui lire quelques magazines illustrés ; la place du marché ó il se rend utile, gagne sa pitance, plus heureux assurément que les enfants ou les vieux qui doivent se contenter de ramasser fruits et légumes tombés, parce qu’il a droit, en plus, aux pommes et bananes que la grosse Rosa prend à l’étal pour les lui offrir Surtout il aime circuler parmi les camionnettes bleues, ou regarder le camion rouge des pompiers qui fait des jets d’eau énormes La cour de l’immeuble ó Pipo rempaille les chaises, les terrasses de café ó le Cosaque joue de l’accordéon, les parvis d’église ó il aide vieux Dadi à mendier, et surtout l’esplanade ó le Gitan donne avec Dadi et le Cosaque des représentations publiques au cours desquelles Mondo fait la manche sont aussi des lieux préférés de Mondo C’est ici aussi qu’est garée la vieille Hotchkiss, qui vaut toutes les voitures neuves du monde… A partir de ces lieux de la marginalité sociale et artistique, la ville semble métamorphosée, elle laisse entendre ô les autos [qui] roulaient en faisant un bruit doux comme l’eau ằ [M : 30]
Aux frontières de la ville s’ouvre un autre espace marginal : la plage et les collines Dans l’histoire de Mondo, la plage est d’autant plus attirante qu’elle annonce la mer, et les collines, la montagne La plage assume une fonction sociale de divertissement : c’est là ó se passent des batailles de cerfs-volants, le spectacle des dimanches de grand vent [M : 52-54] Les collines, que Mondo aperỗoit de la plage, comme si les marges établissaient spontanément des relations entre elles pour un regard disponible Ces paysages deviennent magnifiques sous la lumière du matin qui les rend plus proches, et sous les rayons du soir qui engagent Mondo à partir pour leur découverte [M : 32 et 39] De là-haut, la ville reprend un aspect acceptable Elle devient une invitation au rêve Elle est éblouissante et magique
Mondo peut y admirer les lumières de la ville qui lui offriront le spectacle d’une ô grande lueur rose en forme de champignon ằ [M : 66] Si elle rapetissait Mondo dans la grande presse urbaine, au contraire, depuis la colline, c’est elle qui présente des dimensions diffộrentes Alors la vie ô n’est pas effrayante, pas ộtouffante Elle est semblable à une danse, mais immobile… ằ Telle est la magie du regard passionné que seuls les petits peuvent en avoir
Bien que le caractère de la ville soit nuancé sous le regard pur et optimiste des petits, cet espace reste tout de même un espace fermé qui s’oppose à l’espace ouvert, celui de l’évasion Un riche lexique du monde naturel est mobilisé : celui des animaux, de la lumière, du silence et de la voix
Les animaux occupent une place majeure dans la création du monde littéraire de Le Clézio Dans tous les plans décrits, qu’ils soient collectifs ou individuels, l’auteur fait référence aux animaux et leur attribue une grande importance dans le cycle de la vie animale et humaine La présence humaine se partage l’espace littéraire leclézien avec la présence animale Au moins 50 types d’animaux sont évoqués dans le corpus (serpent, mouettes, oiseaux de mer, mollusques, coquilles blanches, bêtes, cétacés, animaux endormis, étourneaux, pigeons voyageurs, poissons, crabes, chiens, colombes, sternes, oiseaux, hippocampes, coquilles, chat tigré, requin, éléphant, thons, dauphins, moutons, renards, lézards, chèvres, chauves-souris, bœufs, crevettes, anémones de mer, les crustacés, patelles, poulpe, merle, rossignol, mésange, couleuvre, orvet,…)
Le Clézio mentionne les insectes avec une particulière insistance Il met en scốne ceux-ci d’une faỗon obsộdante Guờpes, criquet, salamandre, mouches, moustiques, insecte pilote, papillons insectes, vers, moucheron, abeilles sauvages, araignées, sauterelles, fourmis, libellules, scarabées, scorpion, insectes-feuilles, insectes-brindilles,… rien que la quantité du nombre d’insectes prouve l’omniprésence temporelle et spatiale de ceux-ci
La révélation incessante d’une présence cachée peut signifier pour l’homme un apprivoisement des lieux étrangers dans lesquels il se trouve : le grincement connu du criquet donne à toute place un air familier, berce comme une présence amie (ô C’ộtait bien de dormir comme cela, au pied de l’arbre qui sent fort (…) tout entouré de chaleur et de paix, avec la voix stridente du criquet qui allait et venait sans cesse ằ [M : 44]) Aussi le cri de l’insecte peut-il ờtre entendu comme un appel, voire comme un essai de communication avec les hommes ; manifestation de l’indicible harmonie entre le ciel, la terre, et les êtres qui l’habitent
C’est pourquoi, lorsque le jeune Mondo parcourt, la nuit, le jardin d’une vieille vietnamienne qui l’a recueilli, et qu’il découvre avec elle la beauté du ciel, le chant lacinant du criquet les accompagne dans leur contemplation, comme s’il s’agissait du bruit même des étoiles [M : 64]
De plus, il constitue dans Mondo une composante essentielle des spectacles familiers qui sont autant de miracles à contempler et que nous ne savons plus voir : les guêpes du marché donnent vie à la scène, nous renvoient aux fruits mûrs, aux odeurs multiples, et à tout le monde secret qu’elles ont investi avant nous L’insecte, comme le jeune héros de la nouvelle, exprime la joie de vivre grâce à une pénétration profonde du réel [M :13]
Le recueil montre le caractère impérieux et universel de la présence des lumiốres Le seul mot ô lumiốre ằ est ộvoquộ 501 fois dans l’ensemble du recueil
Un lexique abondant est utilisé pour décrire avec précision toutes sortes de lumière
- Noms : les reflets du soleil, petites flammes, la lumière du soleil, la lumière du soleil éphémère, la lumière des réverbères, la lumière des maisons, une auréole, les lumières électriques, la lumière d’or, éclairs, la lumière du jour, la lueur, des feux pleins de violence, le miroitement la lumière (de l’astre), …
- Verbes : étinceler, éblouir, s’allumer, éclairer, briller, rayonner, scintiller, réverbérer, envoyer, (le soleil) frapper fort (sur la mer), tourbillonner, jaillir, vibrer, apparaợtre, allumer, brỷler et faire mal,…
Langage enfantin
Ce qui rend encore plus spécifique les œuvres du recueil, c’est que quel que soit le monde décrit, nous constatons un vocabulaire simple Malgré la dimension du message qu’ils transmettent, les mots utilisés sont très familiers et n’appartiennent pas à un langage savant Ces mots cours offrent au lecteur une lecture aisộe Le Clộzio avoue mờme que ô c’ộtait possible de le faire lire aux enfants ằ Mờme si le public enfantin ne perỗoit pas toutes les intentions de la création littéraire, car c’est un livre que Le Clézio a écrit comme une question philosophique, les petits arrivent certainement au moins à comprendre l’aventure des protagonistes En lisant ce recueil, non seulement le jeune public éprouve l’impression d’être en train d’écouter le conte de la bouche même de l’auteur, il pénètre aussi dans le monde de merveilles et de magie ó les protagonistes le guident C’est une des caractéristiques de la littérature pour la jeunesse
Pourquoi un tel choix ? En fait, le recueil est considéré comme témoin du virage du style d’écriture de l’auteur A savoir qu’au début de la carrière littéraire de l’ộcrivain, dans la pộriode ô nouveau roman ằ, nous nous trouvons devant un vocabulaire abondant L’écriture expérimentale des années 1960 de l’auteur est en fait trốs ô riche ằ en vocabulaire Il y a chez lui une volontộ manifeste de sortir des formes conventionnelles de la littérature
Au milieu des années 1970, l’écriture de J.M.G Le Clézio change Mondo et autres histoires est le premier livre de l’auteur qui s’écarte thématiquement des précédents et marquent la rupture de l’œuvre également par ce changement Le Clézio nous introduit à cette époque dans un nouveau monde Il quitte ici le milieu urbain avec ses autos, ses grands magasins et ses rues pour s’intéresser à un univers plus magique, plus lumineux, plus beau, celui des enfants Ce regard enfantin influence les choix lexicaux et syntaxiques Il y développe alors un style et un langage proches de celui de l’enfant L’auteur abandonne ainsi les nombreuses expérimentations langagières et le gỏt des excentricités lexicales pour adopter un style d’écriture beaucoup plus sobre et épuré L’écriture est désormais caractérisée par un vocabulaire très réduit qui tend vers le dépouillement
En effet, les pensées des adultes, ayant un esprit de système développé, sont traduites dans un langage articulé Inventeur de la technologie, l’être humain se croit intelligent et adopte un appétit de domination mais en fait, il est esclave de ses créations Le dépouillement de l’écriture reflète l’image de la langue de l’écrivain dépourvue d’innovation Mondo et autres histoires constitue une sorte de plaque tournante, ộtape de la pensộe et de l’ộcriture leclộziennes ô Il faut quitter le monde ộtabli, le monde compliquộ et sộrieux des adultes ằ ộcrit-il dans la prộface de l’Inconnu sur la terre Les mots utilisés par les petits enfants-fées de Mondo et autres histoires ont un pouvoir magique : ils ouvrent, sans peine, l’accès à un univers qui n’est plus hostile mais merveilleux
En état de grâce, l’enfant sauvage utilise les mots simples, proches du monde primitf, qui lui permettant de s’aventurer jusqu’au cœur du paysage, dans ce que offre la vie quotidienne d’extraordinaire, dans les gestes les plus intimes Pourtant, il faut savoir regarder les choses autour de soi avec le regard pur des enfants afin de sentir ce merveilleux Si les personnages donnaient l’impression de fuir ou de courir vers quelque chose dans les ouvrages précédents, dans ce recueil de nouvelles, les enfants, par leur capacité de communion avec l’univers, sont arrêtés et assez heureux là ó ils sont Les protagonistes de ce recueil restent donc inactifs, mais satisfaits d’être devant des espaces ouverts comme la mer, le plateau, la montagne et le ciel.
Figures de style
Ces quelques 335 syntagmes comparatifs qu’un examen de textes permet de repérer immédiatement donne une idée de l’importance de la présence de cette figure dans l’écriture de Le Clézio
Pour ces huit textes qui comptent 310 pages, 415 unités exprime la similitude, une proportion très significative Toute séquence phrastique de comparaison, établit entre les deux membres constituants une relation analogique référentielle ô Quand les enfants furent assez loin, à peine grands comme des insectes noirs sur la plaine des rocher […] ằ [B: 256] ; ô On marchait dans l’espace, comme suspendu dans le vide parmi les amas d’ộtoiles ằ [B : 247]
Dans la nature sémantique des outils comparatifs existe une valeur qui s’identifie en tant que marqueur de la modalisation dans l’énoncé ; autrement dit, l’actualisation discursive du narrateur/héros dans l’analogie est la formulation linguistique d’une perception analysộe ô comme ằ, ô comme si ằ, ô pareil à ằ et beaucoup d’autres termes reliant le comparé (Cé) au comparant (Ca) sont toujours l’indice d’une interprétation perceptive de la sensation, signal de l’activité réfléchie du narrateur
Dans le présent corpus, la quasi-majorité des outils comparatifs est ô comme ằ Ce mot de comparaison qui dộfinit le rapport mutuel s’instaurant entre les entités co-présentes, avec sa modestie phonétique, est l’outil de base de toutes les comparaisons Très souvent utilisé dans le récit, cet outil simple correspond au niveau de langue des personnages mineurs Par leur sens, les comparaisons rendent perceptible l’existence d’une compréhension subjective, d’un regard témoin Le narrateur/héros assume la représentation imaginaire générée par la mise en relation des deux réalités, si disparates soient-elles : ô Il y avait une drụle de lumiốre dans ses yeux, comme un sourire qui ne voulait pas trop se montrer ằ [B : 255] ô Il aimait bien les dessins qu’ils laissaient dans la poussiốre, de petits chemins sinueux et fins comme les barbes des plumes d’oiseaux ằ [B : 287]
Les comparaisons prennent une importance majeure car elles permettent de créer des images neuves sans craindre l’exès Tout l’art de l’écriture consiste à restituer les sensations et expériences qui sortent de l’ordinaire La lumière pet devenir bruit Daniel en ộcoute ô tous les craquements secs, les claquements, les chuintements, et, prốs de ses oreilles, le murmure aigu pareil au chant des abeilles ằ [CQ : 183] Petite Croix la connaợt sous une forme beaucoup plus apaisộe : ô Cela fait un bruit très doux sur le sol, comme un bruissement de balai de feuilles, ou un rideau de gouttes qui avance ằ [PC : 224, 225] La comparaison, en effet, vise à bannir les perceptions réductrices de l’univers Le rêve se tisse ainsi au réel [27 : 132]
Bref, l’usage insistant des comparaisons modalisộes par ô comme ằ nous confirme que l’auteur a confié le point de vue du narrateur à ses personnages- enfants Il nous reste à exploiter les motifs et à analyser les Ca afin de mettre en évidence l’espace sous les yeux de ces héros
Il faut tenir compte aussi de la présence ou de l’absence du motif On appelle motif la qualité commune qui unit Cé et Ca La présence du motif est donc en principe la marque d’une volonté de clarté En revanche, quand la comparaison n’est pas motivée, tous les sèmes du Ca sont implicitement convoqués La comparaison est moins claire et se rapproche de l’identification atténuée
L’association Cé – Ca peut même être énigmatique
Quand le motif est exprimé, son analyse est un élément important pour déterminer la fonction de la figure ; quand il est saisi dans une acception purement dénotative, et qu’il est pertinent au Cé et au Ca, la comparaison ne produit pas d’effet de surprise La comparaison est classique, le motif vient renforcer et éclairer les liens Cé – Ca Il n’est pas rare que le motif soit métaphorique La comparaison intervient alors comme un élément d’explication
Dans cette partie, nous choisissons de réaliser la statistique sur le corpus de
Les bergers – le récit contenant le plus grand nombre de comparaison
Nous apercevons que la plupart des formes exprimant la ressemblance ont comme pivot un morphème verbal ou adjectival D’autres constructions ó le motif est un morphème nominal sont peu nombreuses ô Les sabots martelaient la terre dure, et cela faisait un bruit qui roulait et grondait comme la mer ằ [B : 259] ô Ses yeux brillaient comme de petits miroirs tandis qu'il regardait vers les enfants ằ [B : 264] ô Il partait en courant à travers les herbes Le lộvrier bondissait derriốre lui en aboyant, rapide comme une flốche ằ [B : 280]
Nous constatons aussi que Le Clézio s’oriente plutôt vers la comparaison classique dans laquelle le motif objective et renforce le lien Cé – Ca La simplicité de cet usage reflète la nạveté des enfants L’auteur ne cherche pas une esthétique de la surprise et de l’étrangeté car sous les yeux des mineurs la vie n’est pas un labyrinthe Les comparaisons ne deviennent donc pas énigmatiques
Comme nous l’avons précisé dans la partie précédente, le gỏt classique de l’auteur dans ce recueil impose des images dans lesquelles Cé et Ca ne sont pas trop éloignés : ô Les deux garỗons se glissaient à travers les hautes herbes comme des serpents, sans bruit ằ [B : 273] ô Alors, ils montaient tous les deux ensemble dans le ciel, devenus lộgers comme des plumes ằ [B : 285]
La comparaison joue dans ces exemples parmi beaucoup d’autres, son rôle de marqueur hyberbolique, mais elle n’est pas fondée sur la recherche d’un écart L’auteur ne demande pas pour la comparaison des rapports Cé-Ca imprévus et frappants
Un des trajets essentiels de la comparaison leclézienne mène du monde humain au monde de la nature Particulièrement, les Ca sont très souvent des animaux Le tableau ci-dessous nous montre comment ceux-ci sont présents dans le recueil :
M L MDV RE CQ H PC B Elements naturels
La multiplication des comparaisons contenant l’élément naturel est en effet une nostalgie d’un univers originel, visible dans une prédominance d’images naturelles destinées à évoquer un paysage urbain ; il s’agit là d’une sorte d’embelissement des référents urbains, métamorphosés par le regard du protagoniste Il en est ainsi pour les éclaires pâles que Lullaby contemple barres de néon [L : 113] ; la foule allait et venait des feuilles mortes [L : 112] ; les gens des insectes caparaỗonnộs [PC : 223],…
Le fait d’insister sur ce facteur prouve encore une fois que l’espace est construit sous un regard pur des enfants Seule une âme sans trouble peut voir son milieu de vie sous cette forme tangible, vivante et heureuse Images modernes et images naturelles se confondent Ces images reflètent un système métaphorique qui tend à valoriser l’élémentaire et l’originel grâce à l’utilisation fréquente d’images animales, végétales et minérales
Pour acquérir à un monde idéal, l’auteur doir recourir à l’imaginaire des mineurs sans lequel il est difficile de s’échapper de la réalité cruelle
La comparaison a été aussi utilisée dans l’évocation de l’espace intérieur – extộrieur de la nouvelle Lullaby L’ộtat de rờverie de la fillette dans la phrase ô Elle regardait seulement le blanc du papier, et elle pensait que peut-être quelque chose allait apparaợtre, comme des oiseaux dans le ciel, ou comme un petit bateau blanc qui passerait lentement ằ [L : 82] est une hypothốse d’une apparition heureuse de
Lullaby, probablement le retour de son cher père L’espace intérieur de la salle s’ouvre vers l’espace extérieur, abstrait dans la pensée de la fille
Phrases
Concernant la complexité et la longueur des phrases, nous constatons dans ces huit nouvelles une abondance de phrases courtes peu complexes, ainsi que des phrases réduites à un seul monèmes Nous y trouvons une grande fréquence de phrases avec la structure : sujet + prédicat sans subordination ou avec une subordination primaire ainsi que des syntagmes nominaux Prenons l’exemple ó l’utilisation du segment ô Il y a ằ est exclusive pour ộnumộrer les sujets dans l’espace : ô il y a beaucoup d'arbres, des fleuves tranquilles, des champs trốs verts et un ciel doux Auprès des maisons, il y a ces tours pointues, couvertes de tuiles rouges et vertes […] [M : 51] La structure ô Nom + comme + Nom ằ est trốs souvent utilisée (216 cas) Un segment qui s’associe habituellement à une syntaxe orale et à un style simple est ici destiné à évoquer une surabondance thématique, à grouper des mots différents autour d’une idée commune, l’espace ; des objets, des noms authentiques de villes et de produits sont ainsi juxtaposés dans le but d’une saturation nominale Les critiques ont parfois dit que les courtes phrases des nouvelles de Mondo et autres histoires semblent avoir été écrites par des enfants
Ce changement dans l’écriture et plus précisément dans le rythme du récit n’est pas un effet du hasard mais le fruit d’une longue réflexion de Le Clézio et d’une volonté d’aboutir à une simplicité, celle d’une vérité pure et simple En fait, le lecteur connaợt l’ộcriture leclộzienne de la premiốre pộriode relevant du nouveau roman, et caractérisée par des phrases longues Dans ses premiers livres on trouve narratif est dominé par le martèlement et la saturation nominale afin de mettre en évidence une situation d’étouffement de la vie humaine contemporaine
Dans ce recueil qui marque une rupture dans l’écriture de l’auteur, et ó les enfants assument le rôle du narrateur, l’auteur choisit une écriture qui vise la musicalité plus que le drame L’usage réduit de la virgule témoigne aussi de ce changement : Le Clézio abandonne la phrase complexe pour un langage simple et pur Cette écriture convient parfaitement aux jeunes narrateurs Le rythme narratif est capable de traduire des impressions souvent sensorielles et subjectives Les intrigues dramatiques se trouvent supplantées par des contemplations L’écriture vise à constituer idéalement, magiquement un monde enfin réuni selon le désir et le cœur de l’écrivain qui se montre avant tout poète Il s’agit ici d’une structure incantatoire
En effet, la recherche d’un langage simple, dénudé et pur reflète une véritable philosophie de vie Le rythme syntaxique et narratif de Le Clézio met en évidence une situation d’étouffement, et son opposé, un ailleurs originel, ó l’homme serait en communion avec la nature et le forces cosmiques, dans un rythme incantatoire
L’étude des procédés descriptifs nous a permis de mettre en évidence l’art de la représentation de l’espace dans le recueil Mondo et autres histoires de Le Clézio
L’auteur a utilisé la focalisation interne en mettant l’accent sur le rôle des narrateurs-protagonistes, des enfants, des adolescents qui observent, décrivent et perỗoivent à leur propre maniốre l’espace de vie et l’espace de rờve L’abondance des formes temporelles de l’imparfait et du présent représente les traits caractéristiques de la description de ces espaces et détermine les fonctions différentes des espaces dans les nouvelles Grâce à ces outils verbaux, Le Clézio souligne la puissance de la perception très subjective du sujet enfantin, ce qui traduit la vision du monde de l’écrivain, car nous voyons les marques du regard subjectif du narrateur, qui sont surtout liées à la présence de connotations [7 : 110]
Le monde civilisé considéré comme espace fermé et hostile, le monde naturel comme espace ouvert devenant espace idéal, terre promise pour l’homme
Au niveau du lexique, le vocabulaire concernant l’espace urbain est moins riche que celui de l’espace naturel Une description de l’espace ó les éléments naturels dominent donne au lecteur un message d’espoir Il y a même des lieux originels qui possèdent une dimension mythique Ces lieux contribuent à la reconstitution du monde des origines ó tout était pur, pas usé par l’érosion du temps ni détruit par l’action humaine Même l’image de la ville, malgré ses aspects sombres, contient en elle-même l’idée du plaisir et du bonheur
Bref, les images de Le Clézio évoquent la nostalgie d’un univers originel A la fréquence d’images puisées dans les éléments s’ajoute une valorisation lexicale : des lexiques tirés des règnes minéral, végétal et animal imprègnent cette écriture à travers comparaisons et métaphores qui valorisent le physique au détriment de l’intellect ; les références à l’homme sont supplantées par l’évocation des éléments
Un renversement de la hiérarchie métaphorique s’opère ainsi dans une écriture qui fait subordonner l’homme, ses pensées et ses expressions aux règnes des éléments naturels de l’univers
La littộrature franỗaise ne peut pas se passer de la grande potentialitộ d’expression du franỗais En fait, toute conduite verbale que ce soit sur le plan lexical, morphologique ou syntaxique, est orientée vers un but d’expression Le Clộzio, un grand ộcrivain franỗais vivant au XXe siốcle dộtermine cette potentialitộ dans son art de langage pour traduire des interrogations philosophiques sur l’existence de l’homme dans le monde
Dans le but de montrer une piste d’exploration des textes littéraires, nous avons donc choisi comme corpus Mondo et autres histoires, un recueil de nouvelles de Le Clézio publié en 1978 pour notre analyse des procédés de description de l’espace Le Clézio - un écrivain dont l’avidité de renouveler son écriture ne s’épuise jamais n’est pas exempté de cette séduction Dans ce recueil, la manière de traiter l’espace est un élément important pour traduire sans cesse la question humaniste de l’auteur sur la position de l’homme dans la société actuelle Les traits caractéristiques des types d’espaces et l’art de représentation des espaces dans ces récits sont donc notre sujet d’étude
D’abord, nous avons construit une base théorique solide sur la nouvelle et la description de l’espace de ce genre Les fonctions de l’espace et les divers procédés appliqués dans la description de l’espace ont été clarifiés et mis en relief dans le premier chapitre Ces outils théoriques permettent d’explorer d’une manière approfondie les espaces des nouvelles et de déterminer leur sens
Ensuite, à partir de la vision poétique du monde de l’auteur selon laquelle les valeurs originelles sont valorisées, en faisant recours à l’analyse des schémas actantiels des récits, nous constatons que Le Clézio a construit ses nouvelles sous forme des récits d’initiation ó le personnage est l’acteur d’un rituel initiatique A travers cette étude, le rôle de l’espace dans l’interprétation du message du récit a été mis en évidence Nous avons donc pu classer les espaces du recueil en deux espaces opposés: espaces de vivre et espaces de rêves A part les valeurs référentielle et fonctionnelle, la valeur symbolique de ces deux types d’espaces tient une place déterminante dans la transmission du message de l’œuvre L’homme moderne va sans cesse à la recherche de la liberté, du bonheur Les expériences vécues du personnage dans le monde naturel, primitif lui permettent de se sentir épanouis, heureux pénétré de toute la vie universelle, on ne connait pas la solitude de la société urbanisée, hypercommercialisée
Dans la dernière partie, nous avons exploré des outils linguistiques au service de la description de ces espaces La focalisation interne avec les narrateurs- protagonistes qui sont les enfants, les adolescents renforce la force de la perception des espaces L’abondance des formes temporelles de l’imparfait et du présent constitue le ralentissement du rythme narratif et évoque les scènes imaginaires
Alors, la description domine la narration
Les lexiques tirés des règnes minéral, végétal et animal imprègnent cette écriture à travers comparaisons et métaphores qui valorisent le physique et la poétique au détriment de l’intellect La recherche d’un langage simple et pur correspondant au rythme syntaxique et narratif met en lumière une situation d’étouffement, et son opposé, un ailleurs originel, ó l’homme serait en communion avec la nature et le forces cosmiques
En terme de conclusion, notre travail, consiste en une identification des procédés appliqués dans la description de l’espace d’une œuvre littéraire, en mobilisant à la fois les trois compétences culturelle, linguistique et textuelle Cette méthode est donc une preuve tangible d’une bonne stratégie de l’analyse de textes littéraires Cette piste d’études est donc adéquate pour une implication pédagogique dans l’enseignement de la littộrature franỗaise au Dộpartement de langue et de culture franỗaises L’aboutissement à un enrichissement sur le plan linguistique et socioculturel grõce à cette maniốre de maợtrise de la langue est souhaitộ Le travail peut forcément être élargi sur d’autres éléments des textes dans le but de décrypter les messages des œuvres
1 Aron, Paul Le dictionnaire du Littéraire Paris : Puf, 2002
2 Baudelaire Notes nouvelles sur Edgar Poe (1859) Paris : Seuil, 1968
3 Benveniste, Emile Problèmes de linguistique générale Paris : Gallimard,
4 Bessière, Jean Espace et ubiquité romanesque chez Raymond Queneau, Espaces romanesques Paris : Puf, 1982
5 Boncenne, Pierre "J.M.G.Le Clézio s'explique" Ecrire, Lire et en parler, mode d'emploi Paris : Robert Laffont, 1985
6 Borgomano, Madeleine La littộrature franỗaise du XXe siốcle Paris:
7 Catherine Formilhague, Anne Sancier-Château Introduction à l’analyse stylistique Paris : Ed Dunod, 1996
8 Cavallero, Claude Le Clézio témoin du monde Paris : Calliopées, 2009
9 de Cortanze, Gérard J.M.G Le Clézio: Vérité et légendes Paris : Editions du Chêne, 1999
10 Dutton, Jaqueline Le chercheurs d'or et d'ailleurs Paris : L'Harmattan,
11 Eliade, Mircea The Quest, premiốre ộdition anglaise 1969, en franỗais, La Nostalgie des origines, La Nostalgie des origines Paris : Gallimard, 1971
12 Evrard, Franck La nouvelle Paris : Seuil, 1997
14 Ghysen, Francine Annie Saumont: l'art de la pointe siècle Le Mensuel littéraire et poétique 1994
15 Godenne, Renộ La nouvelle franỗaise Paris: Presses universitaires de France, 1974.